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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Les deux visages de Barack Obama

Par Bill Van Auken
16 février 2008

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Mardi, lors de sa soirée victorieuse des « primaires du Potomac » du Maryland, de Virginie et de Washington DC, et devant un auditorium bondé à l’Université du Wisconsin, le sénateur de l’Illinois et candidat à l’investiture démocrate Barack Obama a prononcé un discours remarquable par sa démagogie populiste, non seulement sur la question de la guerre en Irak, mais aussi sur celle des conditions sociales aux Etats-Unis.

Le rassemblement au Wisconsin est le plus récent d’une série d’événements de campagne qui ont attiré d’importantes foules, constituées en majorité de jeunes — 20 000 à l’Université du Maryland et 17 000 à Virginia Beach à la veille des primaires de mardi — et où l’on a vu Obama arborer son visage public plus « à gauche ».

Le sénateur de l’Illinois a les instincts d’un agitateur et tente d’offrir aux foules ce qu’il sent qu’elles désirent. Au Wisconsin, il a fait le lien entre les « profits records » d’Exxon et l’augmentation des « prix à la pompe », provoquant ainsi des applaudissements nourris. Il a discuté des accords commerciaux qui « exportent des emplois à l’étranger et forcent les parents à entrer en compétition avec leurs adolescents pour un salaire minimum chez Wal-Mart ». Et il s’est engagé à être un « président qui sera à l’écoute de Main Street, et pas seulement Wall Street ; un président qui va être aux côtés des travailleurs, pas seulement lorsque c’est facile, mais aussi quand les temps sont durs ».

Abordant la question de l’Irak, il a déclaré que « nos soldats sont envoyés, une période de service après l’autre, dans une guerre que nous n’aurions jamais dû autoriser et qui n’aurait jamais dû être menée », et il a ridiculisé ceux qui « utilisent le 11-Septembre pour s’attirer des votes par la peur ».

Il a discuté ensuite de la détérioration des conditions sociales auxquelles font face les Américains ordinaires : « le père qui part au travail avant l’aube et qui ne peut dormir durant la nuit, se demandant comment il va payer ses factures » ; « la femme qui me dit travailler de nuit après une journée complète d’université et qui ne peut toujours pas payer les soins de santé pour une sœur qui est malade » ; le retraité « qui a perdu sa pension lorsque la compagnie à laquelle il a donné sa vie a fait faillite » ; et « l’enseignant qui travaille chez Dunkin Donuts après les cours pour seulement être en mesure de boucler son budget ».

Pour faire face à ces problèmes, il promit des baisses d’impôts aux travailleurs, des réformes en santé, de meilleurs salaires et un gouvernement qui allait « protéger les pensions et non les bonus des directeurs généraux ».

Reprenant la rhétorique de Martin Luther King, il conclut son discours par le serment que « notre rêve ne sera pas remis à plus tard, on ne nous bloquera pas notre futur, et le temps du changement est venu ».

Ces discours sembleraient comporter des éléments qui pourraient soulever un questionnement sur l’establishment du Parti démocrate et les intérêts de la grande entreprise qu’il représente. Les digressions rhétoriques d’Obama pourraient sembler mener en zones dangereuses. Après tout, le Parti démocrate a été un partenaire indispensable pour les politiques de guerre et de réaction sociale de l’administration Bush.

Mais cette rhétorique populiste des primaires n’est qu’un visage d’Obama. Il en possède un autre qui est solidement tourné vers ces mêmes intérêts corporatistes qu’il critique publiquement et qui ont versé des dizaines de millions de dollars à sa campagne.

Le jour qui a suivi les primaires du Potomac, BusinessWeek a publié un document spécial intitulé : « Est-ce qu’Obama est bon pour les affaires ? » Même si l’article ne donne aucune réponse directe à la question, l’attitude adoptée par le magazine d’affaires semble être un « oui » mitigé, basée en grande partie sur les discussions privées que le sénateur de l’Illinois tient avec des gens haut placés de Wall Street et du monde des affaires tout en faisant des appels en public pour le « changement. »

Conséquemment, BusinessWeek a écrit que dimanche dernier, après qu’il eut appris sa victoire au caucus démocrate du Maine, Obama s’est assis devant son ordinateur pour échanger des courriels avec Robert Wolf, le PDG de UBS America et un de ses plus importants « donateurs » de Wall Street, responsable du versement de millions de dollars en dons provenant de multimillionnaires pour financer ce qu’Obama appelle son « mouvement. »Selon des estimés du Center for Responsive Politics, 80 pour cent de l’argent amassé par la campagne d’Obama l’année dernière provenait de donateurs affiliés au patronat, Wall Street en tête. Plus de la moitié du total amassé était formé de dons dépassant les 2300 $.

En plus de Wolf, Obama est régulièrement en contact avec Warren Buffet, la personne au deuxième rang aux Etats-Unis quant à sa richesse, avec près de 52 milliards $. Parmi ses principaux conseillers économiques, on trouve Gustave Goolsbee, professeur à l’université de Chicago, fervent défenseur connu de la politique de libre marché.

Le soutien de Volcker

De tous les appuis qu’a reçu Obama, celui qui est peut-être le plus significatif malgré qu’il soit très peu commenté est l’appui de Paul Volcker, qui avait été nommé président de la Réserve fédéral par le président démocrate Jimmy Carter en 1979 et qui demeura au poste de président de la banque centrale américaine durant près de sept ans sous l’administration républicaine de droite de Ronald Reagan.

Volcker est celui qui a instauré le régime de taux d’intérêt élevé demandé par les sections dominantes du capital financier au nom de la lutte contre l’inflation. Sa politique monétaire était inextricablement liée à l’offensive contre la classe ouvrière lancée avec le congédiement des contrôleurs aériens et la destruction de la grève de PATCO et qui se poursuivit avec la fermeture de larges sections de l’industrie de base et par l’imposition de la pire crise économique depuis la grande dépression des années trente. L’effet ultime de ces politiques a été un vaste transfert de la richesse hors des mains des masses laborieuses vers une mince couche de l’élite financière, un processus qui se poursuit jusqu’à ce jour.

Dans une déclaration annonçant son soutien à Obama, Volcker notait qu’il avait auparavant évité l’implication politique partisane. Il a dit qu’il était poussé à intervenir maintenant non pas « à cause des turbulences dans les marchés », mais à cause « de l’étendue et de la profondeur des défis auxquels notre nation fait face tant sur le plan intérieur qu'extérieur ». Il ajouta, « Ces défis demandent une nouvelle direction et une nouvelle approche. »  Le leadership d’Obama conclut-il, sera capable de « restaurer la confiance requise dans notre vision, notre force et nos objectifs partout dans le monde. »

Larry Kudlow, un expert de droite et ancien conseiller économique de l’administration Reagan, a commenté cet appui plus tôt ce mois-ci, affirmant qu’il avait déjà rédigé les discours de Volcker et l’a décrit comme « un grand Américain... un conservateur classique... un homme de rectitude fiscale et monétaire ».

Volcker, a noté Kudlow, « n’aurait pas donné cet appui sur un coup de tête, croyez-moi. Il ne participe jamais à ce genre de décisions politiques ». Il a terminé en posant la question suivante : « Est-ce que Volcker serait le nouveau Robert Rubin [un initié de Wall Street qui a dirigé la politique économique de l’administration Clinton] ? Serait-il possible que M. Volcker donne d’une certaine façon des cours à Obama ? Serait-il possible qu’Obama soit plus conservateur financièrement qu’on ne l’aurait pensé ?

Voilà les véritables relations qui sont établies en coulisse alors qu’Obama prononce ses discours de gauche sur le podium. Ceux comme Volcker voient le sénateur de l’Illinois comme un véhicule utile afin de réaliser d’importants changements qui n’ont pas pour but d’améliorer les conditions de vie des masses de travailleurs, mais plutôt de défendre les intérêts mondiaux du capital financier américain.

Sans doute croient-ils qu’Obama, qui serait le premier président africain-américain des Etats-Unis, est le mieux équipé pour faire face aux dangers posés par une crise économique perpétuelle et des tensions économiques grandissantes. Qui d’autre que lui est le mieux placé pour demander des sacrifices encore plus grand à la classe ouvrière, au nom de l’unité et du « changement » ? Au même moment, il présenterait un nouveau visage au monde, espérant que cela aiderait l’impérialisme américain à se sortir des débâcles de la politique étrangère et de l’isolation mondiale croissante qui sont l’héritage de l’administration Bush.

En tenant compte de ces liens avec la grande entreprise, la rhétorique de la campagne d’Obama concernant la pauvreté et l’inégalité sociale implique un niveau de cynisme et de démagogie vraiment renversant. Ses promesses incessantes de changement ne sont pas liées à un quelconque programme qui remet fondamentalement en question les intérêts de profits des grandes entreprises et de Wall Street.

Au contraire, il propose une politique fiscale conservatrice, il se range derrière une approche d’« utilisateur-payeur » et met l’accent sur la nécessité de réduire la dette et les déficits. Le fait de prendre les rennes du pouvoir avec un déficit presque record de 400 milliards de dollars hérités de l’administration Bush prédit déjà un programme d’austérité.

Mercredi dernier, le candidat a visité l’usine de General Motors à Janesville au Wisconsin et a mis de l’avant un soi-disant programme de création d’emploi en investissant dans les infrastructures et les nouvelles sources d’énergie pour un total de 210 milliards $ au cours des dix prochaines années. Si l’on prend en considération la profonde crise à laquelle est confronté le capitalisme américain, ce montant n’est qu’une goutte dans l’océan — et cette goutte sera vite évaporée en prenant en compte les demandes pour réduire le déficit.

Ceux qui ne veulent rien dire sur le capitalisme doivent aussi demeurer silencieux lorsque vient le temps de parler de pauvreté et de chômage. On ne peut s’attaquer de façon sérieuse à l’un ou l’autre sans confronter la propriété privée des forces productives de la société et l’immense inégalité sociale qu’elle crée. La défense des emplois et du niveau de vie, le droit à un logement, des soins et une éducation corrects pour des centaines de millions d’Américains ne peut se réaliser qu’au moyen d’une large redistribution de la richesse des super riches vers les larges masses des travailleurs.

Clairement, les Wolf, les Buffet, les Volcker et leurs semblables soutiennent Obama parce qu’ils savent qu’il n’a aucunement l’intention d’aller même un peu dans cette direction.

Quant à la question de la guerre, ceux qui voient dans la campagne d’Obama une façon de mettre un terme au militarisme américain seront amèrement déçus. Le sénateur de l’Illinois a promis de ne pas réduire le colossal budget de l’armée américaine, qui consomme à lui seul 700 milliards annuellement, mais plutôt de l’augmenter. Il a appelé au recrutement de 65 000 soldats pour l’armée et de 27 000 marines supplémentaires. Il a promis d’envoyer plus de soldats sur le terrain de la « lutte contre le terrorisme », le prétexte inventé par l’administration Bush pour justifier la « guerre préventive », c’est-à-dire l’agression militaire visant à affirmer l’hégémonie américaine sur les régions riches en pétrole du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.

Quant à l’Irak lui-même, ses promesses de mettre fin à la guerre sont démenties par sa promesse de laisser les forces américaines en Irak pour défendre les « intérêts américains » et pour y mener des « opérations de contre-terrorisme », une formule qui signifie que des dizaines de milliers de soldats américains et de marines continueront à occuper l’Irak et à réprimer sa population pour encore de nombreuses années à venir.

Dans la mesure où la rhétorique d’Obama suscite des attentes dans la population, et il semble bien qu’il en soit ainsi, elles seront irrémédiablement trahies. En toute probabilité, ceci ne se produira qu’une fois la période des primaires terminée et qu’Obama doive alors affronter la droite républicaine aussi bien que des éléments au sein du Parti démocrate qui demandent qu’il clarifie son programme. S’il devait gagner les élections en novembre, il serait à la tête d’une administration qui défend sans défaillir les intérêts de l’oligarchie américaine tant au pays qu’à l’étranger.

Ceux qui se tournent vers la campagne électorale d’Obama pour réaliser des changements progressistes aux Etats-Unis et pour mettre fin au militarisme américain à l’étranger trouveront que le Parti démocrate et le monde financier et corporatiste qu’il représente ne permettront ni l’un, ni l’autre.

Ces objectifs nécessaires ne peuvent se réaliser qu’au moyen d’une rupture nette d’avec les démocrates et tout le système bipartite d’un côté et la mobilisation indépendante de la classe ouvrière en construisant un mouvement socialiste de masse.

(Article original anglais paru le 15 février 2008)


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