Pour les élections nationales de mars, le PSOE
(Parti socialiste ouvrier espagnol) a retiré l'extension du droit à
l'avortement de son programme.
Le PSOE a, une fois de plus, capitulé devant
l'Église catholique et le parti d'opposition de droite, le Parti populaire
(PP). Sa décision est intervenue après une manifestation à Madrid le 31
mars, organisée par la Conférence des évêques, au cours de laquelle les auditeurs
se sont succédés pour dénoncer la politique du gouvernement sur l'avortement et
la famille comme une rupture du consensus établi lors de la « transition »
entre la dictature du général Francisco Franco (1939-1975) et les formes
parlementaires de gouvernement en 1978. Les Accords entre l'Église et l'État,
signés en 1979, étaient un de ces arrangements fondamentaux.
Contrairement au PSOE, l'Église a complètement
abandonné l'approche circonspecte qu'elle avait adoptée dans ses relations avec
les partis politiques depuis la chute de Franco. Durant les quatre dernières
années, elle a accentué ses attaques publiques contre le PSOE, qui était arrivé
au pouvoir en profitant de l'opposition massive de la population au soutien du
PP à l'invasion de l'Irak et à la prétendue « guerre contre le terrorisme ».
Le PSOE a tenté d'apaiser la discorde et de
rétablir le consensus de l'ère post-franquiste pour stabiliser le régime
bourgeois, mais cela s'est révélé impossible.
Depuis la manifestation anti-avortement, le
PSOE demande que la Conférence des évêques s’excuse auprès du
gouvernement et retire ses accusations publiques. Le secrétaire à
l'organisation du PSOE, José Blanco, a déclaré à propos de la manifestation, « J'avais
l'impression que c'était un rassemblement du PP dirigé par des cardinaux »
et il a accusé Église de « s'éloigner des fondements essentiels de la démocratie ».
Il a ajouté que la critique du PSOE par les
évêques constituait une « attaque extrêmement sérieuse » de l'Église
contre les institutions démocratiques de l'État, quelque chose d’« inédit »
depuis que l'Espagne est passée à la démocratie, il y a trente ans. Blanco a
affirmé, « Nous nous opposerons à cette offensive de la hiérarchie
ecclésiastique, qui constitue le premier acte de la campagne électorale du PP »
et « [nous] ne ferons aucunement marche arrière sur les législations qui
ont étendu les droits des Espagnols ».
La vice-présidente du PSOE Maria Teresa
Fernandez de la Vega a incité ses collègues à faire passer une loi avant les
élections qui, sans étendre le droit à l'avortement, renforce les droits
existants en matière de protection de l'anonymat des patientes, et à la
combiner avec la promesse verbale d'étendre le droit à l'avortement si le parti
était réélu. Une telle proposition faisait partie du programme pour les
élections de mars 2004, mais elle a été discrètement abandonnée.
Les remarques de Blanco ne signifient pas que
le PSOE se prépare à une confrontation avec l'Église, ce sont plutôt des appels
adressés à la hiérarchie de l'Église pour qu'elle réalise les conséquences
déstabilisatrices de sa campagne.
Blanco a dit que les évêques devaient « relire
les évangiles », il a insisté pour que l'Église « évolue ». Ses
commentaires ont été repris par le Christian Network [Réseaux
chrétiens], une association de près de 150 organisations catholiques, qui a
accusé dans un de ses communiqués la Conférence des évêques d'ignorer les
profondes difficultés que rencontrent les familles. Le communiqué déclare « Ils
ont ignoré la réalité de nombreux catholiques qui, avec des visions
différentes, vivent et expérimentent la vie de famille, mais suivant les mêmes
valeurs des évangiles »
Rachel Mallavibarrena Martinez de Castro, la
porte-parole de Somos iglesia (Nous sommes l'Église), a déclaré, « Il
semble que ce débat sur la famille ne s'est concentré que sur l'avortement, le
divorce, et le mariage homosexuel » au lieu du travail et de l'égalité.
Le PSOE s'est joint à une section de l'Église
catholique pour changer l'orientation politique de la Conférence des évêques. Le
groupe Redes christianas [Réseaux chrétiens en Espagne] a imploré Église de
retourner à ses campagnes dites traditionnelles en faveur de l'égalité entre
hommes et femmes et pour la « démocratie », et ils ont déploré la
nouvelle vision de la famille qui est promue par l'Église comme quelque chose
de « monolithique » et qui n'est en accord qu'avec certaines sections
de l'Église. Ces sections comprennent les représentants les plus âgés de la
Conférence des évêques et du Vatican, dont le Pape.
La fracture dans les rangs du clergé n'est
qu'un pâle reflet de la profonde hostilité populaire à la position politique
actuelle de l'Église et à son rôle dans la société. La Conférence des évêques
et le Vatican ont répondu à ces appels en invoquant le spectre d'un complot socialo-maçonnique,
dénonçant les sections de l'Église comme étant influencées par le sécularisme,
et en ressuscitant les slogans que l'Église utilisait quand elle soutenait le
mouvement national fasciste de Franco en 1936.
Dans un entretien accordé au journal polonais
l'Hebdomadaire catholique du dimanche, le 11 janvier, intitulé « Le
spectre de la révolution espagnole » l'archevêque de Tolède, Antonio
Canizares Llovera, a critiqué Zapatero pour sa « mise en place d'un
programme séculier, dont le fondement est l'idéologie laïque. Vous pouvez
observer ce phénomène partout en Europe. » Il a enchaîné, « Parfois,
les gens ne se rendent pas compte de la puissance de cette influence, et ils
sont asservis par cette idéologie. C'est pourquoi l'Église espagnole mène une
mission de nouvelle d’évangélisation intensive. Nous sommes d'accord
avec la déclaration de Jean Paul II selon laquelle l'Espagne doit être
évangélisée et doit évangéliser. »
L'entretien se terminait par un assaut contre
l'influence de la franc-maçonnerie dans le gouvernement du PSOE, « la
sécularisation de la société et de la culture qui est aussi adoptée par l’Église,
qui a fait que nous n'avions que peu d'énergie pour évangéliser... En Espagne,
un récent livre de l'écrivain protestant César Vidal vient d'être publié. Son
titre est Los masones : la historia de la sosiedad secreta mas poderosa
[Les Franc-maçons : Histoire de la plus puissante des sociétés secrètes],
publié par Planeta. Entre autres choses, le livre étudie l'influence maçonnique
sur les grands événements de l'histoire espagnole récente, en particulier
depuis l'élection en mars dernier du Parti socialiste ouvrier espagnol... la
Franc-maçonnerie est responsable de la diffusion de la laïcité parce qu'elle
affirme que Dieu qui s'est révélé lui-même en Jésus-Christ ne peut être pris en
compte. Grâce aux moyens que les francs-maçons ont à leur disposition, ils ont
pu pénétrer les milieux de l'administration étatique et de la culture. »
Pourquoi Église catholique ressuscite-t-elle ses
slogans pro-fascistes et quelles sont les impulsions sociales profondes contre
lesquelles elle réagit ? Cela a été résumé par le Pape Benoît XVI le 30
novembre dans son Spe Salvi (Sauvé par l'espoir), la deuxième partie d'un
triptyque d'encycliques dans lequel il déclarait que l'humanité ne serait pas
sauvée par la science ou la révolution sociale, mais uniquement par le Christ.
Il y affirme « Un monde qui est obligé de
créer sa propre justice est un monde sans espoir. » La pauvreté ne
pourrait pas être éradiquée de la surface de la Terre. « Nous devons faire
tout ce que nous pouvons pour arrêter la souffrance, mais la bannir du monde
n'est pas en notre pouvoir », a écrit le Pape. « Seul Dieu en est
capable. » Il a reconnu que le monde moderne a été formé par la Révolution
française de 1789 et la Révolution russe de 1917, et inspiré par les travaux de
Marx, et pour l'essentiel il en a appelé à toutes les religions pour s'unir
dans le combat contre l'émergence de nouveaux mouvements, en particulier dans la
jeunesse, inspirés par ces conceptions éclairées et scientifiques.
Le Premier ministre José Zapatero a tenté de
restaurer l'autorité rapidement déclinante de l'Église. Quand les Accords entre
Église et l'État ont dû être renouvelés à l'automne dernier, le PSOE avait
l'opportunité de couper le soutien financier à Église catholique, mais il a
préféré renouveler l'essentiel des accords. Au lieu de s'opposer à la
béatification sans précédent par le Vatican de 498 prêtres catholiques tués
quand l'Église soutenait le fascisme pendant la guerre civile de 1936 à 1939,
il a légitimé la cérémonie en y envoyant des représentants du gouvernement qui
étaient des membres éloignés des familles de deux des prêtres béatifiés.
En décembre dernier, Zapatero a annoncé le
retour en politique de José Bono Martinez, qui avait pris sa retraite de
ministre de la Défense l'année dernière. Il a été nommé directeur de la
campagne électorale du PSOE. Bono est le plus connu des conservateurs
catholiques du PSOE, il a passé des années à réconcilier les politiques du PSOE
avec les enseignements de la bible. Peu après que le PSOE soit arrivé au
pouvoir en 2004, Bono a déclaré qu'une « guerre » entre l'Église
catholique et le gouvernement ne pourrait profiter qu'au PP et qu'un tel
conflit serait un combat que le PSOE ne souhaitait pas. Ces déclarations
répondaient aux avertissements faits par la droite selon lesquels le
sécularisme ne devait pas être utilisé contre les croyants.
Le recul du PSOE sur le droit à l'avortement
n'a fait qu'enhardir la droite, qui, d'après un article du 17 janvier dans El
Païs, prépare un grand rassemblement contre l'avortement avant les
élections. « Les graves persécutions des dernières semaines contre les
cliniques d'avortement qui sont supposées avoir enfreint les termes du Code
pénal ont dépassé les limites du zèle administratif et judiciaire, elles sont
entrées sur le terrain du fondamentalisme religieux, du particularisme éthique,
et des politiques sectaires... Plusieurs associations catholiques, connues pour
leur agressivité dans la campagne contre les cliniques d'avortement, préparent
pour la fin février, à quelques jours seulement des élections, une
manifestation de masse "pour la vie et contre l'avortement". »
Le 30 janvier, la Conférence des évêques
espagnols a publié un communiqué intervenant ouvertement dans les élections. Le
communiqué incitait les catholiques à ne pas voter aux élections de mars pour
les partis politiques qui ont des relations avec les terroristes ou qui soutiennent
le mariage homosexuel. Le communiqué déclarait que, bien que « les catholiques
puissent soutenir et adhérer à divers partis, il est aussi vrai que tous les
programmes [électoraux] ne sont pas également compatibles avec la foi et les
exigences chrétiennes dans la vie. »