Mercredi soir s´est achevée la première année du Congrès (Chambre
des représentants et Sénat) contrôlé par les démocrates. Une année marquée par
une capitulation générale devant la politique de l'administration Bush. Sur les
principales questions, celles où les électeurs qui ont donné aux démocrates la
majorité au Congrès en novembre 2006, attendaient un changement (la guerre en
Irak, la détérioration du niveau de vie de la population laborieuse, la
protection sociale, les attaques croissantes sur les droits démocratiques),
ceux-ci ont montré qu'ils étaient pour l'administration Bush.des collaborateurs
et non des adversaires.
Le dernier acte important de cette session parlementaire fut
le vote d´un budget et d´une législation fiscale qui montrent le gouffre qui
sépare les classes dans la société américaine et soulignent le rôle joué tant
par démocrates que par les républicains dans la défense des intérêts de
l'aristocratie financière.
Cette loi de finance à hauteur de 555 milliard de dollars
couvre le budget de 11 des 12 départements fédéraux jusqu'à la fin de l'année
fiscale, le 30 septembre prochain. Le Sénat a approuvé la loi mardi par 76 voix
contre 17. Une forte majorité parmi les démocrates a rejoint les républicains
dans le soutien d´une législation qui respecte à la lettre les indications données
par la Maison Blanche.
Financement de la guerre en Irak
Le Sénat a voté par 70 voix contre 25 en faveur d'un
supplément budgétaire de 40 milliards de dollars au financement d'ensemble de
la guerre en Irak sur la base d'un amendement introduit par le président de l´Armed
Service Committee, le démocrate Carl Levin du Michigan. Le Sénat a rejeté par
71 voix contre 24 un amendement destiné à fixer une date pour le retrait des
troupes américaines d'Irak. Cet amendement a obtenu cinq voix de moins qu´en mai
dernier où il avait déjà été soumis au vote du Sénat.
La loi régissant le financement de la guerre pendant les
premiers mois de 2008 a été approuvée par la Chambre des représentants par 272
voix contre 142. Presque tous les députés républicains ont voté en faveur de cette
loi, une majorité de démocrates votant contre afin de maintenir l´apparence
« antiguerre » de ce parti. Le soutien à la loi de la part d'une
forte minorité de députés démocrates (78 en tout) a garanti son passage, ce que
souhaitait la direction démocrate.
Ce vote représente la troisième débâcle au moins pour la
soi-disant opposition des démocrates à la guerre depuis que l'actuel Congrès a
pris ses fonctions. La Chambre et le Sénat ont déjà passé une loi d'urgence
pompant 150milliards de dollars dans les guerres d'Irak et d'Afghanistan en mai
dernier, après que Bush ait répondu à des mois de protestations creuses de leur
part par une escalade régulière des opérations militaires en Irak.
La loi de finance est liée à une date en septembre prochain pour
la présentation d´un rapport devant le Congrès par de hauts responsables de
l´armée et de la politique extérieure sur l´escalade militaire. A la suite du
rapport présenté par le général David Petraeus et l'ambassadeur Ryan Crocker,
des sénateurs démocrates ont organisé quelques « votes test » sur des
amendements antiguerre à propos du Defense Appropriation Bill, ont perdu chacun
des votes et ont finalement abandonné tout effort dans ce sens.
Attaque des droits démocratiques
L´activité des démocrates a été tout aussi négative dans ce
domaine que dans les autres questions politiques d'importance qui ont dominé la
session parlementaire cette année. Sur la question des droits démocratiques la
principale inquiétude des parlementaires démocrates a été qu'on les taxe de
« mollesse dans la question du terrorisme » s’ils s’opposaient
à ce que la constitution américaine ne soit mise en lambeaux par
l'administration Bush.
Ils n’ont rien fait pour révoquer le Patriot Act ou pour
forcer l'administration Bush à fermer le camp de concentration de Guantánamo
Bay. En aout dernier, le Congrès a approuvé la législation à titre transitoire donnant
à la National Security Agency et d'autres organes de sécurité des pouvoirs très
fortement accrus pour ce qui est des écoutes téléphoniques et autres forme de
surveillance électronique à l'intérieur des Etats-Unis. Les démocrates ont aussi
promis de lancer en janvier la législation permettant d'étendre ces pouvoirs
indéfiniment.
Les démocrates n'ont rien fait pour interdire l'usage de la
torture par les services de renseignements américains ou pour revenir sur les
lois ouvertement anticonstitutionnelles adoptées il y a un an et éliminant le
droit d'habeas corpus pour les prisonniers retenus à Guantánamo et dans
les prisons secrètes situées hors des Etats Unis. La direction démocrate du
Congrès a aussi capitulé devant la campagne raciste anti immigrés lancée par
des stations de radios droitières, faisant obstacle à une législation qui, tout
en étant plein de mesures réactionnaires à caractère répressif, aurait ouvert
la voie à une légalisation du statut de quelques-uns des millions de
travailleurs sans papiers vivant actuellement aux Etats-Unis.
Ils ne se sont montrés agressifs que dans un cas :
lorsqu´ils ont voulu faire partir le ministre de la Justice Alberto Gonzales,
qui a chuté sur le scandale du licenciement de responsables judicaires des
Etats qui ne s´étaient pas joints à sa campagne visant des responsables et des
candidats démocrates. Mais une fois que Gonzales eut démissionné, les
parlementaires démocrates ont loyalement confirmé Michael Mukasey pour lui
succéder malgré le refus de celui-ci de qualifier de torture le « waterboarding »
et de le déclarer illégal du point de vue du droit américain et international.
La seule « réalisation » législative dans le
domaine des libertés civiles a été une régression : le passage de la législation
permettant de mettre en œuvre certaines des recommandations faites par la
commission d'enquête sur les attentats du 11 septembre auxquelles s'était
opposée l'administration Bush et qui comprenaient des mesures de sécurité
accrues dans les ports, les aéroports et d'autres plaques tournantes dans les
transport et des moyens financiers accrus pour les polices locales.
Quand à l'assertion des démocrates selon laquelle ils
auraient défendu les intérêts socio-économiques de la population travailleuse,
(leur fonds traditionnel de démagogie dans les années d'élections), la seule « réalisation »
du 110 e Congrès fut la première hausse en dix ans du salaire minimum garanti.
Le Congrès n'a pas annulé le veto de Bush contre une extension du State
Children’s Health Insurance Program (Programme d´Etat pour l´assurance
maladie des enfants) ni son veto contre le financement de la recherche sur les
cellules souche.
Avec l' « Omnibus Budget Bill » voté cette
semaine, les démocrates tant au Congrès qu´au Sénat ont abandonné tout effort
pour augmenter les dépenses publiques générales pour ce qui est des services sociaux
au delà de ce qui avait été proposé par la Maison Blanche en février dernier.
Pour se conformer à la dépense maximale proposée par Bush, les démocrates ont
soit renoncé à augmenter les dépenses proposées soit réduit certains programmes
sociaux afin de payer pour l´ augmentation d'autres programmes.
La débâcle des démocrates a été tellement complète que le
dirigeant de la minorité du Congrès, John Boehner, un républicain de
l’Ohio, s’est vanté de ce que la loi de finance était meilleure que
tout ce qu’il avait vu pendant les dix sept ans qu’il avait passé
au Sénat, ce qui inclut les douze années où ce furent les républicains et non
pas les démocrates qui avaient la majorité au Congrès.
Tout en suivant à la lettre les recommandations de
l’administration Bush en matière budgétaire, le Congrès et le Sénat ont encore
voté 48 milliards de dollars supplémentaires de réductions fiscales pour les
ménages à hauts et moyens revenus affectés par l´Alternative Minimum Tax (AMT) introduite
en 1969 et destinée à taxer les riches, mais non indexée sur l´inflation.
Une proposition de financement de cette réduction d´impôt par
l’augmentation de la taxe sur les milliardaires des fonds d´investissements
a bien été votée à la Chambre des représentants mais elle a été bloquée après
une vigoureuse campagne de lobbying qui a obtenu le soutien de figures démocrates
telles que Max Baucus du Montana, président du Finance Committee et de Charles
Schumer de New York, président des démocrates au Campaign Committee du Sénat.
Le Sénat avait déjà bloqué une augmentation d´impôt pour les
opérateurs de fonds d´investissements, puis il avait rejeté mardi une version
différente de la loi AMT qui aurait permis de financer la réduction fiscale en
fermant les paradis fiscaux dont se servent les fonds d’investissement. Et
la Chambre des députés a voté mercredi, à une majorité de 352 contre 64, une
exemption d’impôt pour vingt deux millions de familles qui seraient
tombées sous la loi AMT cette année, sans compenser d’aucune manière la
perte que cela représentait, augmentant par là le déficit fédéral et la
pression pour réduire plus encore les dépenses sociales l´année prochaine.
Dans les récentes années une loi de finances « omnibus »
de dernière minute était pour le Congrès devenue l’instrument pour
imposer des changements de politique contre l´opposition du président. Cette
année cependant, la direction démocrate du Congrès a retiré chaque mesure à
laquelle avait objecté la Maison-Blanche. Ces mesures comprennent un arrêt de
l´interdiction d´aide américaine à des organisations comme Planned Parenthood,
qui soutiennent l´avortement en tant que mesure de planning familial à
l´étranger, une extension du Davis Bacon Act qui requiert le paiement de salaires
syndicaux pour les projets de construction financés par l´Etat au niveau
fédéral et un relâchement de l’embargo commercial vis-à-vis de Cuba.
Il est utile de comparer les actes du Congrès démocrate de
2007 à ceux du Congrès républicain qui prit ses fonctions en 1995. Chacune des
majorités nouvellement élues faisait face à un président de l’autre bord.
Les républicains ont cependant cherché de façon agressive une confrontation
avec la Maison-Blanche de Clinton. Ils votèrent un budget basé sur leurs
propres priorités comprenant des coupes majeures de l’assurance maladie
et d´autres programmes de protection sociale et puis, après une suite de vetos de
la part de Clinton qu´ils ne purent surmonter, ils obtinrent temporairement
l’incapacité du gouvernement fédéral pour imposer leur cours. Lorsque
Clinton obtint des gains politiques à la suite de cette confrontation se
faisant réélire facilement en 1996, les républicains lancèrent une suite d´enquêtes
et autres attaques législatives qui trouvèrent leur apogée en décembre 1998
dans une procédure d´« impeachment » contre Clinton.
Les démocrates ont agi de façon diamétralement opposée. Nancy
Pelosi annonçait quelques jours seulement après la victoire démocrate en
novembre 2006, qu´il n´y aurait pas d´effort pour déclencher à l’encontre
de Bush une procédure d’« impeachment » pour sa guerre illégale
contre l´Irak ou pour ses attaques de la constitution aux Etats-Unis mêmes. Un « impeachment »
n´était pas à l´ordre du jour, avaient déclaré les dirigeants démocrates.
Plus significatif encore a été le fait que les démocrates ont
renoncé à utiliser le seul moyen constitutionnel d´imposer une fin de la
guerre en Irak, une interruption des moyens financiers votés par le Congrès
pour la guerre. Se servir du « pouvoir de la bourse » n´exigeait pas
de passer outre le veto présidentiel ou bien surmonter une obstruction de la
part du Sénat, les prétendus obstacles institutionnels cités sans cesse par les
démocrates aujourd´hui pour excuser le fait qu’ils n’ont pas mis un
terme à la guerre.
Un Congrès qui aurait effectivement résolu d’en finir avec
la guerre aurait permis aux lois de finances courantes d´expirer et ne les
aurait pas renouvelées. L´autorisation pour les dépenses en faveur de la guerre
aurait expiré le 30 septembre 2007, quelles qu´aient été les actions entreprises
par les républicains au Congrès ou par la Maison-Blanche.
Le leader de la majorité démocrate du Congrès, Steny Hoyer, a
d’emblée rejeté un tel cours, avant même que les députés démocrates ne
prennent leurs fonctions en janvier dernier. La présidente de la Chambre des
représentants, Nancy Pelosi et la direction démocrate du Sénat toute entière
l’avaient suivi, entreprenant au lieu de cela une suite interminable de
protestations pour la forme qui n´a abouti à rien et qui ne pouvait mener à rien
obtenir, comme ils le savaient bien avant de commencer. Il y eut plus de 50
votes sur des résolutions « antiguerre » au Congrès et au Sénat cette
année. Mais la Maison-Blanche a tout simplement ignoré ces démonstrations d´impuissance,
et envoyé 35.000 soldats supplémentaires en Irak y entraînant une énorme augmentation
de la violence.
Après ce dernier abandon des poses antiguerres des démocrates,
le chef du groupe démocrate au Sénat, Richard Durbin de l’Illinois, a admis
que même avec une majorité démocrate plus importante, ceux-ci n’auraient
pas empêché le financement de la guerre. « Il y aura toujours des
démocrates qui s’opposeront à la guerre mais qui ne soutiendront pas un
arrêt du financement de la guerre » dit-il, décrivant sans le vouloir, le
comportement des démocrates sous une future administration Clinton ou Obama.
Le Washington Post a résumé son passage en revue au
vitriol du 110e Congrès par ce commentaire : « Les efforts pour changer la
politique iraquienne de Bush ont pris l’allure de la charge de Pickett à
Gettysburg ». La déroute a en effet été de cet ordre, avec pourtant cette
différence : les confédérés à Gettysburg avaient effectivement eux, essayé de
gagner. »
Les démocrates ont obtenu une majorité au Congrès à cause de
l’opposition populaire à la guerre en Irak, mais ils n’ont jamais
véritablement partagé cette opposition. Le Parti démocrate, tout comme le Parti
républicain est un instrument de l’élite dominante américaine et qui
défend les intérêts de l’impérialisme américain
Bien qu’il existe de fortes divisons au sein de
l’élite dominante quant à la politique étrangère de l’administration
Bush, qui est largement considérée comme incompétente et irresponsable,
celles-ci touchent à la tactique et à la méthode et non pas aux questions de
principe. Une future administration démocrate, si elle prenait ses fonctions en
janvier 2009, continuerait l’occupation de l’Irak et les efforts
destinés à établir l’hégémonie américaine sur le Moyen-Orient y compris
sur le golfe persique et ses ressources pétrolières vitales.