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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Le salaire de la trahison

France : Un dirigeant syndical ayant négocié les retraites obtient une promotion lucrative

Par Kumaran Rahul et Alex Lantier
12 janvier 2008

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Jean-Christophe Le Duigou, 59 ans, secrétaire confédéral de la CGT (Confédération générale du travail) en charge des retraites et spécialiste des questions économiques, réintégrera bientôt le ministère des Finances pour profiter d’une belle hausse de salaire et d’une retraite confortable.

Cette nouvelle a particulièrement choqué et indigné les travailleurs car Le Duigou avait récemment supervisé les négociations sur les retraites avec l’Etat, lesquelles avaient imposé des réductions massives aux travailleurs de la fonction publique bénéficiant des régimes spéciaux de retraite. Le Duigou a aussi exprimé publiquement un soutien équivoque au projet de supprimer la durée légale de 35 heures hebdomadaires de travail, ce qui permettrait aux employeurs d’allonger jusqu’à 48 heures la durée légale de travail hebdomadaire.

Selon des révélations faites par le quotidien de centre gauche Le Monde et le magazine l’Express, Le Duigou reprendra son ancien poste de directeur divisionnaire des impôts. Il percevra aussi un salaire de conservateur des hypothèques. Pour ces deux postes, il recevra un salaire de 9000 euros nets par mois, « l'un des mieux payés de Bercy », selon un commentaire du Monde.

Interviewé par L’Express, Le Duigou a dit qu’il était « depuis 37 ans fonctionnaire des impôts et syndicaliste ». Il a expliqué que « des accords conclus dans la Fonction publique au début des années 80 prévoient que l'administration puisse mettre des syndicalistes à disposition de leurs organisations, et que leur carrière n'en soit ni avantagée, ni désavantagée. C'est exactement mon cas, qui suis au même grade depuis 15 ans. »

Comme si cela ne suffisait pas, Le Duigou prendra sa retraite juste avant le changement de la loi sur les retraites qu’il a contribué à négocier et qui augmente au-delà des 40 ans actuels le nombre d’annuités nécessaires pour avoir droit à une retraite à taux plein. Comme il l’a dit au Monde, « J'aurai alors 61 ans et les quarante annuités qui me permettront de bénéficier d'une retraite à taux plein. » Sa retraite sera calculée sur les six derniers mois de salaire.

Le Duigou est l’exemple même de toute une couche de dirigeants syndicaux qui mènent une vie qui s’intègre sans accroc aux échelons élevés de l’Etat français. D’après le quotidien économique Les échos, « Jean-Christophe Le Duigou est considéré comme le numéro 2 de la centrale. Il en est l'ambassadeur en titre auprès des pouvoirs publics, des patrons, voire des médias. Membre du bureau confédéral, l'organe de direction de la CGT. » Il a également siégé à une grande variété de conseils, dont le Conseil économique et social et le Conseil d'orientation des retraites.

Sa récente analyse de la réforme de la durée légale du travail hebdomadaire a montré qu’il est en accord avec le programme d’attaques des acquis sociaux, du gouvernement. Il ne s’y est pas opposé, mais a critiqué le gouvernement pour l’avoir introduit de façon brutale, ce qui pourrait provoquer la classe ouvrière à réagir : « Il faut laisser le temps au débat social de se développer, que les gens s'approprient le contenu des réformes. Sinon, il va y avoir une réaction du type "on veut passer en force d'en haut" et ce qui est au crédit du président, son volontarisme politique, peut facilement se retourner. On irait alors sans doute à des formes de confrontation sociale. »

Le Duigou fait partie de toute une communauté de permanents à la direction de la CGT qui sont devenus des membres accrédités des groupes de réflexion et des institutions sociales de l’Etat français, travaillant en étroite collaboration avec les hauts fonctionnaires. Par exemple, en 2004, le dirigeant de CGT-Textile, Christian Larose avait participé à la formulation du rapport de l’ancien directeur du Fonds monétaire international (FMI) Michel Camdessus, qui avait été utilisé par le gouvernement pour préparer la législation du Contrat première embauche (CPE.)

Tandis que les révélations concernant Le Duigou sortaient au grand jour, la CGT publiait ses comptes officiels pour 2006, soulignant ses liens avec l’Etat français et la bureaucratie para-étatique. C’était une première pour la CGT, qui selon la loi Waldeck-Rousseau de 1884 concernant le financement des syndicats, n’est pas tenue de publier ses comptes. D’après la CGT, sur un budget total de 111 millions d’euros en 2006, plus de 25 millions provenaient des caisses de l’Etat et de la sécurité sociale.

Il faut considérer ces chiffres avec beaucoup de précautions, car de nombreux éléments donnent à penser qu’ils sont fortement sous-estimés. D’après un rapport gouvernemental de 2006 par le conseiller d’Etat Raphaël Hadas-Lebel, compilé avec la participation des principaux syndicats, le budget 2003 de la CGT tournait autour de 220 millions d’euros, dont 75 millions (34 pour cent) seulement provenaient des cotisations des syndiqués. Le rapport estime la proportion des cotisations des syndiqués dans le budget des autres principales fédérations-  CFDT, FO, CFTC et CGC - à respectivement 57, 50, 20 et 40 pour cent. Certaines estimations d’universitaires placent ces pourcentages encore plus bas.

Apparemment la CGT n’a pas estimé nécessaire de faire correspondre sa déclaration du budget de 2006 d’un montant de 111 millions d’euros avec les estimations de Hadas-Lebel. Mais comme la CGT elle-même l’a reconnu, la publication de ces chiffres est avant tout une tentative d’étouffer les soupçons croissants de l’opinion publique selon lesquels ce budget est directement financé par divers fonds illicites ou quasi illicites.

Ceci avait été souligné en octobre dernier par le scandale Gautier-Sauvagnac, où il avait été révélé que l’Union des industries et métiers de la métallurgie (l’UIMM, un composant majeur de la fédération des employeurs, le MEDEF) supervisait un vaste réseau de fonds secrets. Des représentants de l’UIMM avaient suggéré que ces fonds étaient versés aux syndicats, alors que des enquêtes criminelles au sein du MEDEF étaient promptement étouffées par le gouvernement.

En rendant ses chiffres publics, la CGT écrit : « Le scandale des fonds secrets de l'UIMM a même été avancé comme prétexte à une clarification du financement des organisations syndicales ce qui est un comble... Il n'y a rien à cacher et la CGT a décidé de publier ses ressources. » La CGT n’a pas expliqué pourquoi elle a attendu trois mois avant de publier son budget 2006, ni n’a dit quand (ou si) le budget 2007 serait rendu public.

A en croire la CGT, elle reçoit 10,4 millions d’euros de subventions directes de l’Etat, 9,9 millions d’euros pour superviser les projets de sécurité sociale et d’assurance, 4,9 millions pour sa participation dans des conseils de travaux, 2,5 millions pour sa participation au Conseil économique et social et 3,8 millions d’euros pour la publicité dans ses tracts et ses publications.

Quelle que soit la fiabilité de ces chiffres, la CGT elle-même reconnaît recevoir un soutien massif de l’Etat. Ce soutien n’est pas fortuit, mais profondément ancré dans des processus historiques, notamment, comme le montrent les livres de la CGT, dans les institutions, au niveau de l’entreprise et au niveau de l’Etat, crées au moment de la libération de la France du joug de l’Allemagne nazie, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. A l’époque, l’autorité de l’Etat s’était effondrée dans une bonne partie du pays. Des insurrections libéraient les villes françaises du régime nazi avant même l’arrivée des armées alliées, tandis que s’organisaient de façon spontanée et à grande échelle des comités ouvriers dans les usines, notamment dans celles où les patrons avaient ouvertement collaboré avec les nazis.

A l’époque, le Parti communiste français stalinien (PC) désarmait politiquement les travailleurs. En accord avec la politique du Kremlin consistant à diviser le monde entre blocs capitaliste et soviétique, il présentait aux travailleurs le slogan « Produisez ! Produisez ! Produisez ! », les encourageant à retourner au travail et à laisser la politique entre les mains des dirigeants du PC et de la bourgeoisie.

Si la bourgeoisie française, sous la conduite politique du général de Gaulle, tolérait ces institutions sociales, ce n’était pas par charité ou par compassion. Le but était de stabiliser le capitalisme français — déchiré par la réalisation d’énormes bénéfices engendrés par le marché noir qui sévissait sous le régime nazi, le bas niveau de vie des masses et la tension qu’exerçait sur l’infrastructure dévastée du pays l’approvisionnement des immenses armées alliées — et de lui fournir une base sur laquelle planifier une reprise économique. Le but ultime était de détourner la menace d’une révolution socialiste qui se serait basée sur les comités d’usines et les groupes armés de résistance.

Le gouvernement légiféra sur la création de la Sécurité sociale en 1945, centralisant une grande variété de systèmes d’assurance et d’auto-assistance qui s’étaient développés dans des industries particulières pendant la grande dépression et l’occupation nazie. Ces systèmes sont financés par les impôts collectés par l’Etat, mais continuent d’être supervisés par les représentants des syndicats et de la direction, les soi-disant « partenaires sociaux. » Les représentants syndicaux sont payés pour participer à ces organisations.

Les comités d’entreprise furent juridiquement créés en février 1945, pour remplacer les comités ouvriers qui avaient vu le jour dans les usines de nombreuses régions de France. Ils représentaient en fait un recul significatif pour les travailleurs, car ils n’avaient de pouvoirs que purement consultatifs, et non pas une autorité exécutive.

Le Conseil économique et social fut crée par la Constitution de la Quatrième République en 1946, pour étudier et superviser l’administration des institutions de la Sécurité sociale. Il fut tout d’abord présidé par Léon Jouhaux, ancien représentant de la CGT qui avait contribué à fonder le syndicat Force ouvrière (FO), une scission d’avec la CGT et en partie financé par le gouvernement américain.

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis, néanmoins la CGT, de par ses trahisons répétées des luttes de la classe ouvrière, a vu le nombre de ses syndiqués passer de 4 millions à la Libération à 560 000 aujourd’hui. Ces institutions jouent à présent un rôle essentiel dans son financement, l’aidant à surmonter l’effondrement des cotisations.

Les lois fondamentales du marxisme, comme l’impossibilité absolue de défendre le niveau de vie des travailleurs sur la base d’une collaboration avec la bourgeoisie, s’expriment à nouveau dans le programme politique du président Nicolas Sarkozy, soutenu par la bourgeoisie française toute entière. Dans une telle situation, cette récompense reçue par Le Duigou illustre, on ne peut plus clairement, les objectifs et les attitudes des dirigeants syndicaux. 


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