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WSWS : Nouvelles et analyses : Amérique du Sud

Questions troublantes sur le sauvetage de Betancourt

Par Bill Van Auken
15 juillet 2008

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Alors que des politiciens de droite sur trois continents profitent des éloges d’une soi-disant brillante opération de sauvetage d’otages détenus par les guérilleros des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) réalisée le 2 juillet, certains doutes ont été émis quant à la véritable nature de cette opération.

La libération d’Ingrid Betancourt, Franco-colombienne et ancienne candidate à la présidence, de trois « entrepreneurs » militaires américains sous contrat avec la compagnie Northrop Grumman et de onze autres otages a été exploitée pour restaurer la politique discréditée de l’administration Bush en Amérique latine, faire un héros d’Alvaro Uribe, le président colombien impliqué dans le trafic de drogue et les massacres paramilitaires, et raviver la faible popularité du président de droite français, Nicolas Sarkozy.

Même le sénateur John McCain, le candidat à la présidence du Parti républicain, qui avait organisé une visite en Colombie (simple coïncidence ?) la journée avant la libération des otages, a pu faire son numéro. Alors qu’il était en Colombie, il a été mis au courant par Uribe, lui permettant ainsi de s’associer avec l’opération qui allait être menée.

Pratiquement rien ne peut distinguer McCain de son opposant démocrate sur la question de la Colombie. Le sénateur Barack Obama a fait sa propre déclaration de soutien à l’opération, qualifiant les FARC d’ « organisation terroriste » et donnant son appui au gouvernement colombien pour qu’il ne fasse « aucune concession » aux guérilleros. Malgré tout, si Uribe pouvait rendre un service politique, ce serait sans aucun doute aux républicains, lui qui est depuis six ans le plus proche allié de l’administration Bush en Amérique latine.

Ce que toutes ces personnes ont tenté d’exploiter est l’indéniable sympathie du public pour Betancourt, une mère de deux enfants gardée prisonnière dans la jungle durant six ans, et les autres otages. De plus, elles présentent l’opération colombienne comme un brillant coup des services de renseignement — décrite par certains comme étant sortie tout droit d’un film d’Hollywood — dans la « lutte mondiale contre le terrorisme ».

Bien sûr, la sympathie générée par les représentants gouvernementaux et les médias autour de Betancourt, pas seulement en Colombie, mais aux Etats-Unis, en France et à travers l’Europe, ne se rend pas jusqu’à de nombreux autres qui ont été kidnappés et emprisonnés dans de pires conditions. Il existe après tout un autre endroit en Amérique où des centaines de personnes ont été faites prisonnières durant six ans, torturées et brutalisées après avoir été enlevées. Ces prisonniers, séquestrés sans accusation, ont peu de chance d’être libérés de la même façon, étant emprisonnés par l’armée américaine à Guantanamo Bay.

Et, notons-le, les centaines de prisonniers politiques qui croupissent dans les prisons colombiennes ou qui ont été enlevés par les organisations paramilitaires de droite qui sont intimement liées au gouvernement et aux forces armées n’ont pas profité d’une attention semblable. Leurs origines sociales sont généralement bien différentes de celles d’une personne ayant étudié en France comme Ingrid Betancourt, la fille d’un ancien ministre du gouvernement et le produit de l’oligarchie colombienne.

En ce qui concerne l’opération elle-même, la comparaison avec Hollywood pourrait être involontairement révélatrice. Selon la version officielle de l’armée colombienne, des espions auraient réussi à infiltrer le mouvement de guérilla et à « tromper » les dirigeants des FARC en leur faisant croire que les commandos d'élite portant des t-shirts de Che Guevara et les pilotes militaires étaient en fait des travailleurs humanitaires, des guérilleros et des journalistes qui faisaient partie du plan établi par les FARC eux-mêmes pour transférer les otages à un autre endroit par hélicoptère.

Selon les commentaires, un des éléments qui auraient participé au succès de l’opération fut que « pas un coup de feu ne fut tiré ».

Il est difficile de croire que des guérilleros d’expérience rendraient les plus importants otages des FARC à des inconnus arrivés en hélicoptère. Toutefois, ce qui rend cette version tout particulièrement douteuse est tout le dossier de l’armée colombienne dans lequel rares sont les occasions où « pas un coup de feu n’a été tiré ». En fait, elle a mené l’une des opérations les plus sanglantes de l’hémisphère durant des décennies, alimentée au cours des dix dernières années par 5,4 milliards de dollars en aide militaire des Etats-Unis.

Entre 2002 et 2007, les groupes de défenses des droits de l’homme ont documenté les meurtres extrajudiciaires de près de 1000 civils par l’armée du pays, en plus des 3500 meurtres et disparitions orchestrés par les unités paramilitaires de droite — qui opèrent de façon routinière avec le soutien de l’armée. C’est en décembre 2002 que le gouvernement colombien a conclu un cessez-le-feu avec les paramilitaires, les disculpant essentiellement de leurs crimes, qui ont causé la plupart des morts et des blessés civils de la longue guerre civile du pays. Néanmoins, les assassinats et les massacres ont continué.

Pendant la même période, les guérilleros — autant les FARC qu’une organisation plus petite, le ELN — avec qui aucun cessez-le-feu n’a été conclu, n’ont été responsables que d’à peine la moitié des morts civiles causées par les paramilitaires.

De plus, le gouvernement Uribe n’a pas montré d’intérêt pour la libération pacifique des otages dans le passé. En fait, la dernière tentative par les négociateurs français pour garantir la libération de Betancourt et des autres fut interrompue en mars, lorsque l’armée colombienne organisa un raid transfrontalier sur le camp des FARC en Equateur, tuant le chef de la guérilla Raul Reyes, qui fut apparemment ciblé dans le but de bloquer toute entente. La famille de Betancourt avait régulièrement exprimé la crainte que les actions d’Uribe auraient comme conséquence la mort d’Ingrid Betancourt.

Ce sont ces faits historiques qui donnent de la crédibilité aux comptes rendus circulant en Europe qui jettent un doute sur le récit héroïque raconté à Bogota.

Citant une source « proche des évènements », la radio publique suisse a rapporté que la liberté des otages avait été achetée avec une rançon de 20 millions de dollars et que « toute l’opération qui a suivi après était une mise en scène. » La raison politique pour l’organisation d’une telle mise en scène est claire. Autant le gouvernement Uribe que l’administration Bush ont classifié les FARC comme étant une « organisation terroriste » et ont insisté pour dire qu’ils rejettent toutes négociations avec de tels groupes.

Selon le rapport provenant de la Suisse — dont le gouvernement a été impliqué dans les négociations pour la libération des otages, tout comme celui de la France et de l’Espagne — Washington a joué un rôle de premier plan dans l’organisation de l’entente.

Le rapport a ajouté que l’accord fut réalisé en utilisant une femme capturée d’un des chefs de la guérilla comme un intermédiaire. Selon ce rapport, elle fut renvoyée au camp des FARC et a persuadé son mari de changer son allégeance pour de l’argent.

En France, où Betancourt est arrivée vendredi en héros, Dominique Moisi, un des plus hauts experts en politique étrangère du pays, a semblé appuyer cette version des faits. Il a dit à la télévision française que c’était « probable » que l’argent avait garanti la coopération des chefs des FARC. « Ils furent achetés afin de les faire changer d’avis, comme des chefs de mafia », a-t-il dit.

Pendant ce temps-là, Mediapart, le site web français de nouvelles fondé par l’ancien éditeur en chef du journal Le Monde et d’autres journalistes, a rapporté que la libération n’était « pas un accomplissement de l’armée colombienne, mais était due à la capitulation d’un groupe des membres des FARC » suite à « des négociations directes par les services secrets colombiens avec le groupe de la guérilla qui tenait Betancourt captive ». Citant des sources colombiennes, il rapporte qu’Uribe avait dit à un groupe en mai dernier qu’une remise d’otages était en train d’être négociée. Mediapart a ajouté que le gouvernement Sarkozy avait accepté d’offrir un sanctuaire aux ex-guérilleros en France après leur remise.

Le gouvernement a accès à de grands montants d’argent fournis par Washington afin d’acheter les guérillas et de les faire changer de côté. Cela était clair en mars dernier lors du meurtre du chef des FARC, Ivan Rios : son garde du corps l’a tué et a ensuite présenté sa main droite tranchée aux autorités afin de recevoir une récompense de 2,5 millions de dollars américains.

Une autre version, de sources proches des dirigeants des FARC, affirme que l’opération du gouvernement colombien avait été montée après que les FARC eurent eux-mêmes conclu une entente avec les négociateurs européens et se préparaient à libérer les otages, soit le même week-end ou le suivant. Le but de l’intervention, selon cette version, était de faire de la libération un succès médiatique pour le gouvernement plutôt que pour les FARC.

Peu importe les détails exacts de cette étrange « opération de sauvetage », la libération de Betancourt, des mercenaires américains et des autres, pour laquelle Uribe et ses alliés américains prennent le crédit, est un autre signe de l’ampleur de la crise dans laquelle se trouvent les FARC.

Plongeant ses racines dans le Parti communiste colombien, les FARC sont nées dans la guerre civile qui a saigné le pays pour une période débutant en 1948 connue sous le nom de « La Violencia » et qui a été la plus grande lutte armée terrestre des Amériques depuis la révolution mexicaine.

Formées en 1964, les FARC se sont toujours basées sur la perspective stalinienne de la subordination des luttes des travailleurs et des paysans à l’aile « progressiste » de la bourgeoisie nationale. Les FARC ont utilisé l’action armée dans la campagne (à leur zénith, elles contrôlaient 40 pour cent du territoire colombien dans les années 1990) comme moyen de faire pression sur le gouvernement. Leur perspective dans la période récente a été de forcer le gouvernement à entreprendre des négociations avec elles, prenant la voie empruntée par les autres groupes de guérilla d’Amérique latine qui est de se transformer en parti politique bourgeois.

Bénéficiant d’un faible soutien au sein des travailleurs urbains de Colombie, les FARC se sont basées sur une couche de la paysannerie, devenant de plus en plus dépendantes des taxes imposées aux cultivateurs de coca en échange de leur protection. Comme l’État bourgeois, l’armée et les organisations paramilitaires, elles sont corrompues par les immenses revenus que génèrent la production et le trafic de la drogue.

Les coups qu’ont subis les FARC dans la période récente n’ont pas eu d’impact sur le flot de cocaïne. Selon le rapport mondial sur les drogues de l’ONU, la culture du coca a augmenté de 27 pour cent l’an dernier. La défaite de groupe de guérilla signifie seulement que ce sont les autres acteurs de l’État et du secteur privé qui collectent leurs revenus.

Incapables d’offrir une véritable alternative politique ou sociale à l’oligarchie colombienne, le mouvement de guérilla a été de plus en plus décrit par l’establishment comme la source plutôt que comme le symptôme de la longue crise et du bain de sang que connaît ce pays. Alors qu’il ne semble pas y avoir de voie progressiste hors de l’impasse, Uribe a pu se former une base d’appui en promettant d’imposer l’ordre d’une main plus ferme.

Il ne fait aucun doute que le supposé succès de l’armée dans cette opération sera utilisé par Uribe pour consolider sa dictature présidentielle et pour détourner l’attention des multiples crises politiques que connaît son gouvernement.

Le président et ses proches supporteurs sont profondément impliqués dans le scandale parapolitica, qui a exposé les liens entre eux et les organisations paramilitaires de droite responsables de massacres et de l’assassinat de milliers de personnes. Au moins 33 membres de l’actuel Congrès colombien sont présentement sous arrêt et 60 autres sont sous enquête, presque tous des partisans d’Uribe, pour avoir entretenu de tels liens. Le président lui-même a été impliqué dans l’un des plus sauvages massacres des années 1990.

De plus, la libération des otages a eu lieu un peu plus d’une semaine après que la plus haute cour de Colombie eut statué que le président colombien avait obtenu une modification de la constitution pour lui permettre d’obtenir un autre mandat en 2006 en soudoyant les membres du Congrès. Le jugement, qui a résulté en la condamnation d’un des législateurs, soulève des doutes sur la légitimité du second mandat d’Uribe. Le président colombien a réagi en appelant à un autre vote, essentiellement comptant sur un référendum populaire pour aller à l’encontre d’une décision constitutionnelle. Les soupçons se font plus persistants qu’il voudra utiliser cette manœuvre pour se donner un troisième mandat.

(Article original anglais paru le 7 juillet 2008)


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