Une vie humaine est infiniment précieuse, selon
l’administration Bush, à moins que l’on ne se rende compte que
garder un individu en vie pourrait réduire les profits.
Associated Press a révélé le 10 juillet que l’Agence
de protection de l’environnement (EPA) du gouvernement américain avait
réduit la « valeur d’une vie statistique » de 7,8
millions $ cinq ans plus tôt à 6,9 millions $ aujourd’hui. La
« valeur d’une vie statistique » fait référence à la supposée
valeur dont profite la société à sauver une vie « générique ».
Les agences fédérales, lorsqu’elles considèrent de
nouvelles lois, « compare les coûts à la valeur des vies sauvées par la
loi proposée », note AP, donc « moins élevée est la valeur
d’une vie aux yeux du gouvernement, moins nécessaire est le besoin
d’une réglementation ».
L’agence de presse en souligne ensuite les
implications : « Prenons par exemple une loi hypothétique qui
coûterait 18 milliards $ à faire respecter, mais qui préviendrait la mort
de 2500 personnes. A 7,8 millions $ par personne (l’ancienne
valeur), la valeur des vies sauvées dépasserait les coûts. Mais à 6,9
milliards $ par personne, la réglementation coûterait plus cher que les
vies qu’elle sauverait et pourrait donc ne pas être adoptée. »
Les « bénéfices » discutés ici représentent la
survie d’un certain nombre d’êtres humains ; les
« coûts » sont la réduction des revenus corporatifs.
La réduction de la valeur d’une vie américaine
déterminée par l’EPA aura pour conséquence une diminution des
restrictions sur la pollution, plus de dangers pour les consommateurs et
d’autres fléaux semblables des grandes compagnies. W. Kip Viscusi de
l’université Vanderbilt, un expert en la matière, a affirmé au
média : « Personne ne l’avait jamais réduite [la valeur
d’une vie statistique]. » Il a déclaré que la plupart des chercheurs
croient que la valeur devrait généralement augmenter.
Sans surprise, l’EPA n’a pas annoncé
publiquement la nouvelle valeur. Seth Borenstein de AP n’a découvert le
changement qu’après avoir étudié les analyses coûts-bénéfices du
gouvernement sur une période de plus de douze ans.
S. William Becker, directeur exécutif de la National
Association of Clean Air Agencies, a commenté : « Il semble
qu’ils aient truqué les comptes en ce qui concerne la valeur d’une
vie... Ces décisions sont littéralement une question de vie ou de mort. »
Et Dan Esty, un haut représentant de l’EPA dans
l’administration de Gorge H.W. Bush et présentement directeur du Yale
Center for Environmental Law and Policy, a déclaré à Associated Press :
« On peut difficilement imaginer que le motif est autre que
politique. »
L’EPA a procédé aux changements en deux étapes. En
2004, l’agence a réduit la valeur d’une vie humaine de 8 pour cent.
« Ensuite », écrit AP, « dans un jugement réglementant la
pollution ferroviaire et maritime de l’air rendu en mai, l’agence
n’a pas ajouté l’ajustement normal pour l’inflation annuelle.
Avec ces deux changements, la valeur d’une vie humaine a chuté de 11 pour
cent en dollars d’aujourd’hui.
OMB Watch note aussi que « la Maison-Blanche de Bush,
par exemple, est plus qu’enthousiaste de rejeter les réglementations
proposées si les coûts monétaires dépassent les bénéfices monétaires »,
comme elle l’a fait récemment dans une affaire impliquant le recyclage de
contenants de pesticides. Dans cette situation, Susan Dudley, à la tête de
l’Office of Information and Regulatory Affairs de la Maison-Blanche a
écrit le 3 juillet à l’EPA, admettant « que la gestion illégale et
incorrecte de ces contenants de pesticides pouvait être dangereuse. Cependant,
il n’est pas certain que la mise sur pied de ce programme de recyclage
entraîne une réduction significative de la gestion incorrecte de ces
contenants.
« De plus, l’analyse de l’EPA du
programme proposé indique que les coûts quantifiés imposés par le programme de
recyclage proposé excédera les bénéfices quantifiés par plus de deux
ordres de grandeur. » Un nombre X de gens peut tomber malade ou mourir,
mais une industrie est épargnée de dérangements et de coûts—un échange
raisonnable.
L’Agence de protection de l’environnement, établie en 1970 par
l’administration Nixon, n’a jamais été en mesure de remplir son
mandat. La grande entreprise américaine dépense de grands montants
d’argent, en soudoyant les politiciens des deux principaux partis et en
faisant du lobbying, pour bloquer ou vicier les régulations environnementales.
De plus, des coupures budgétaires à répétition ont réduit la capacité de
l’EPA à enquêter sur les problèmes et le moral est apparemment à son plus
bas.
Sous l’administration Bush et son équipe de fanatique du libre marché,
l’agence est devenue, dans les mots d’une critique libérale :
« un outil de la Maison Blanche qui est désespérément compromis et traversé
par les scandales » (www.scienceprogress.org).
En avril, le Syndicat des scientifiques concernés a rapporté les résultats
d’une enquête de 1600 scientifiques de l’EPA et a trouvé « une
agence sous l’assaut des pressions politiques. » Soixante pour cent
des répondants ont dit qu’ils avaient personnellement vécu de
l’obstruction politique dans leur travail lors des cinq dernières années.
Plus de la moitié ont révélé qu’ils n’avaient pas la permission de
partager leurs résultats avec les médias.
Un mois plus tôt, en mars 2008, les syndicats représentants 10 000 employés
de l’EPA ont envoyé une lettre à l’administrateur Stephen Johnson,
alléguant qu’il use de représailles contre les personnes qui tirent la
sonnette d’alarme et les représentants du syndicat, qu’il
« abuse de notre bonne nature et de notre confiance » et qu’il
ignore les Principes d’intégrité scientifique de l’agence. La
lettre faisait suite à la décision de Johnson en décembre 2007 d’empêcher
la Californie et seize autres états d’implanter de nouvelles restrictions
sur l’émission de gaz à effet de serre par les automobiles et les
camions.
Le magazine Nature, aussi en mars, a fait un éditorial qui disait que
« L’Agence de protection environnementale des Etats-Unis perd
rapidement ce qui lui reste de crédibilité. L’administration Bush a
toujours montré plus de zèle à protéger les intérêts des grandes entreprises
que l’environnement… Mais, l’actuel administrateur de
l’agence, Stephen Johnson, un toxicologue vétéran de l’EPA qui fut
promut en haut des échelons en 2005, a gradué avec un insouciant dédain pour la
loi, la science et les propres règles de l’agence—ou, semble-t-il,
les protestations angoissées de ses propres subordonnés. »
La décision d’abaisser la « valeur de la vie statistique »
survient dans ce contexte.
La notion qu’un coût peut être posé sur la valeur de la préservation
de la vie humaine est répugnante de bout en bout, quoique appropriée à un
système où tout attribut ou activité humains est réduit à des termes
quantitatifs, à des dollars et à des cents.
De façon notoire, en 2002 (aussi montré par Borenstein de l’AP),
l’EPA en est venue à la conclusion que la valeur des personnes âgées
était de 38 pour cent moindre que celle des personnes de moins de 70 ans. Les
protestations du public ont fait changer d’avis l’agence.
Un officiel de l’EPA, Al McGartland, a défendu la diminution de valeur
de la vie humaine par l’agence en expliquant que ce geste reflétait « les
préférences du consommateur ». McGartland a commenté : « C’est
notre meilleure estimation de ce que les consommateurs sont prêts à payer pour
réduire des risques similaires pour eux-mêmes. » Jack Wells, économiste en
chef du département américain du Transport, a dit au Washington
Postque c’était une « idée
bizarre » que de jauger de la vie en termes de coût, « Mais si vous y
pensez, les gens font exactement cela à tout moment… Nous pourrions
éliminer beaucoup des morts [sur les autoroutes] en imposant une limite de
vitesse de 15 kilomètres/heure. »
Ces arguments sont fallacieux. La vie quotidienne implique certains risques,
qu’on ne peut jamais complètement éliminer. Toutefois, il n’y a pas
de « consommateurs » qui « préfèreraient » avoir la
possibilité d’être malade à cause de la négligence d’une compagnie.
Cela est un crime social qui est imposé à la population et qui peut être
entièrement éliminé avec les mesures appropriées. Dans le système capitaliste,
où l’être humain est subordonné à la recherche du profit, une certaine
portion de la population est inévitablement sacrifiée dans des accidents industriels
ou parce qu’elle est en contact avec des matériaux toxiques, que l’eau
ou l’air est empoisonné, qu’il est impossible de se faire soigner,
et le reste.
L’EPA fait des analyses du risque depuis le milieu des années 1970.
Lisa Heinzerling, professeur de droit à Georgetown University, explique que « le
rapporte coût-bénéfice n’a jamais été non biaisé. De faibles valeurs pour
la vie humaine, des coûts évalués à une valeur monstrueusement élevée, la
négligence de facteurs dont il ne faut pas tenir compte, un préjugé favorable
pour la déréglementation, tout ceci est là depuis le début… [L]es biais
de l’analyse coûts-bénéfices ne sont pas un effet pervers. Ils sont la
manifestation d’une philosophie incrustrée qui est profondément hostiles
aux « arguments » des environnementalistes.
Le Washington Posta
présenté un exemple de la façon de penser des officiels du gouvernement sur
cette question : « Ils pourraient savoir, par exemple, qu’une
nouvelle mesure diminuant la pollution sauvera 50 vies par année, même s’ils
ne savant pas qui seront ces 50 personnes. L’EPA décidera si les vies
sauvées valent le coût du sauvetage et il aide à établir la valeur en dollars
de chacune des vies sauvées. »
Il faut se rappeler que l’on parle ici de l’administration —
qui lorsqu’elle tente de détourner l’attention de ses crimes et d’obtenir
un appui populaire, fait appel à la religion et aux « valeurs »
— qui proclame comme sa première priorité est la « vie humaine
individuelle ». Le régime Bush a tout fait en son pouvoir pour que l’accès
à l’avortement soit aussi difficile que possible et pour décourager l’usage
des moyens contraceptifs.
Bush, suivant en cela Ronald Reagan et son père, a proclamé chaque année que
le troisième dimanche de janvier était « Jour national du caractère sacré
de la vie humaine » dans le but de souligner l’anniversaire de la
décision de la Cour suprême nommée Roe vs Wade qui a légalisé les avortements
aux Etats-Unis.
Lors du « Jour national du caractère sacré de la vie humaine » de
2008, Bush a déclaré « Nous reconnaissons que chaque vie a une dignité
inhérente et une valeur inestimable. Nous réaffirmons notre détermination
inlassable à défendre les membres les plus faibles et les plus vulnérables de
notre société. »
Le défenseur des plus faibles et des plus vulnérables a présidé à plus de
152 exécutions au Texas, se moquant publiquement des appels à la clémence d’une
condamnée et a commencé une guerre et une occupation illégales qui a résulté en
la mort d’un million d’Irakiens.
Bush a souvent fait du caractère sacré de la vie un thème de la « lutte
mondiale contre le terrorisme ».
Par exemple,
« Nous valorisons la vie ; les terroristes la détruisent sans vergogne. »
(novembre 2001)
« La ligne de division dans notre monde ne se trouve pas les nations,
pas plus que les religions et les cultures. La ligne de division sépare deux
visions du la justice et de la valeur de la vie. » (mars 2004)
« Je crois que c’est une force que nous valorisions chaque vie,
que chaque personne est précieuse. » (avril 2006)
Peut-être que quelques ajustements pourraient être faits à l’avenir
aux commentaires de Bush pour qu’ils soient plus en ligne avec les
actions de EPA. Quelque chose comme : « Nous valorisons chaque vie
humaine, en autant que sa préservation n’interfère avec les opérations
des industries pétrochimiques et plastiques, des centrales électriques, de l’industrie
automobile ou des industries de pâtes et papiers ou plus généralement qu’elle
empêche le système de la libre entreprise d’être bien rodée. »
(Article original anglais paru le 23 juillet 2008)