Le gouvernement iranien cherche à repousser
le moment où il devra répondre aux dernières exigences qu’il suspende ses opérations
d’enrichissement de l’uranium alors qu’il est sous la menace de nouvelles
sanctions économiques de l’Union européenne et que des discussions sur des
frappes unilatérales par les États-Unis ou Israël sont en cours.
Le samedi 14 juin, le haut
représentant de l'Union européenne pour la politique extérieure, Javier Solana,
a transmis à l’Iran une « offre » conjointe
des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne, de la
Chine, de la Russie et de l’Union européenne (UE). La proposition demandait à
l’Iran de « suspendre l’enrichissement et ses activités de traitement [de
l’uranium] » et de se soumettre ses installations nucléaires à des
inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). En
échange, les grandes puissances offriraient d’aider l’Iran à développer une
industrie de l’énergie nucléaire, dont le combustible proviendrait de
l’étranger, ainsi « que des étapes vers une normalisation des relations
économiques et commerciales ».
L’Iran a toujours déclaré que son usine de
Natanz n’avait pas d’autre objectif que de générer de l’uranium faiblement
enrichi pour des centrales nucléaires produisant de l’électricité. Un rapport
présenté par seize agences du renseignement américaines, le National Intelligence Estimate (NIE) et rendu public en décembre
dernier stipulait que l’Iran n’a pas eu de programmes d’armement nucléaire
depuis 2003 et, même s’il avait un, qu’il ne pourrait produire d’armes avant
2015. Le dernier rapport de l’AIEA en mai n’a pas présenté de preuves que
l’Iran avait un programme de développement d’armes nucléaires depuis 2004.
L’offre du samedi 14 juin est basée sur
l’accusation de l’administration Bush que le gouvernement iranien ment. Les
grandes puissances ont déclaré qu’elles « reconnaissaient le droit de
l’Iran à faire usage de l’énergie nucléaire exclusivement à des fins pacifiques
en conformité avec ses obligations en vertu du traité de non-prolifération
nucléaire (TNP) ». Cela ne les empêche pas de demander encore une fois que
l’Iran mette fin au traitement du combustible nucléaire qui est essentiel au
fonctionnement d’un réacteur nucléaire (ce qui est autorisé en vertu du TNP),
jusqu’à ce que « la confiance internationale dans la nature exclusivement
pacifique du programme nucléaire iranien soit rétablie ».
Les puissances européennes, la Russie et la
Chine jouent ici un rôle semblable à celui qu’ils ont joué lorsque l’Irak niait
les accusations américaines qu’il possédait des « armes de destruction
massive ». Plutôt que ce soit les Etats-Unis qui soient forcés de prouver leurs
accusations de programmes d’armement secrets, il revient à l’Iran de prouver
son innocence. On a dit à Téhéran que la seule façon que l’Iran peut prouver
ses intentions pacifiques est de cesser le développement de son industrie
nucléaire et de se soumettre à un régime dans lequel il dépendra du bon vouloir
des autres puissances pour obtenir le combustible nucléaire.
Que l’offre soit plutôt un ultimatum a été
démontré par le président américain George Bush et le premier ministre
britannique Gordon Brown le lundi suivant. Brown a déclaré que si l’Iran
n’acceptait pas cette offre, alors les pays membres de l’UE se joindraient aux
États-Unis pour imposer des sanctions économiques encore plus dures qui
toucheraient directement les opérations de la principale banque d’État de
l’Iran, la banque Melli, ainsi que son industrie pétrolière et gazière. Bush a
réitéré que les « Iraniens doivent comprendre que toutes les options sont
sur la table, toutefois », menaçant en réalité l’Iran de frappes
militaires américaines.
De plus, il est ordonné à l’Iran d’accepter que
les inspecteurs de l’AIEA et de l’ONU puissent se rendre partout au pays,
supposément pour inspecter des installations secrètes. Il a été bien établi que
plusieurs des soi-disant « inspecteurs » que l’Irak a reconnus durant
les années 1990 étaient en fait des agents de la CIA. Ces agents rassemblaient
des informations qui furent utilisées lors des bombardements aériens de 1998 et
de l’invasion 2003. Dans le contexte où l’administration Bush menace
d’entreprendre des actions militaires contre l’Iran sur la base d’allégations
non prouvées que Téhéran soutient les milices anti-américaines en Irak, les
Iraniens ont raison de s’inquiéter des conséquences de se soumettre à un régime
d’inspection.
Des responsables ont indiqué que Téhéran
penchait vers le rejet de l’offre. Un porte-parole du gouvernement, Gholam
Hossein Elham, a déclaré dans les heures suivant l’arrivée de Solana en Iran
que « les demandes pour arrêter et suspendre nos activités ne sont pas
recevables ». Le représentant du pays à l’AIEA, Ali Asghar Soltanieh, a
déclaré dans un discours qu’il a donné mercredi que la demande que l’Iran mette
fin à son programme d’énergie nucléaire était « illégitime et illégale »
sous le TNP.
Toutefois, l’offre n’a pas été rejetée
officiellement. Un haut dirigeant iranien, Ali Larijani, a plutôt déclaré que
l’Iran « étudierait attentivement » la proposition. Le gouvernement a
aussi nié un reportage d’un journal iranien qui avait affirmé que l’Iran avait
retiré 75 milliards $ de banques européennes en anticipation des sanctions de
l’UE. L’Union européenne n’a pas encore entrepris de mesures allant vers la
saisie des actifs iraniens, contrairement à la déclaration prématurée de Gordon
Brown lundi dernier selon qui l’UE annoncerait une telle mesure lors de la
rencontre des ministres des Affaires étrangères de l’UE qui avait lieu le jour même.
Les manœuvres de l’Iran pour gagner du temps viennent
de ce que Téhéran reconnaît qu’une réponse négative pourrait être utilisée pour
justifier une attaque unilatérale par Israël sur l’usine d’enrichissement de
Natanz et d’autres installations nucléaires. Cette attaque pourrait ensuite être
suivie d’une réponse massive conjointe des Etats-Unis et d’Israël contre toutes
représailles iraniennes, réelles ou imaginaires.
Plus tôt ce mois-ci, le vice-premier ministre
israélien, Shaul Mofaz a clairement énoncé la position largement adoptée au
sein des cercles de l’élite dirigeante en Israël. Il a déclaré que les sections
étaient « inefficaces » et qu’« attaquer l’Iran dans le but de
bloquer ses plans nucléaires est inévitable ». Cette déclaration de Mofaz
a récemment été reprise par l’ancien ministre de la Défense israélien, le
travailliste Epharaim Sheh, qui a déclaré sur Radio Israël que « les Juifs
sont, au final, seuls debout devant le mal » et que la guerre avec l’Iran
aura lieu dans « les années qui viennent ».
Un reportage sur Spiegel Online paru le
lundi 16 juin indiquait : « Il y a un consensus au sein du gouvernement
israélien qu’une attaque aérienne contre les installations nucléaires
iraniennes est devenue inévitable. "La plupart des membres du conseil
des ministres israéliens ne croient plus que les sanctions convaincront le
président Mahmoud Ahmadinejad à prendre une autre avenue", a dit le
ministre de l’Immigration Yaakov Edri. »
Bruce Riedel, un expert sur le Moyen-Orient, a
dit au journal : « Il y a un risque qu’Israël croit qu’il n’a qu’un
temps limité pour agir et qu’il a le feu vert des politiciens américains »,
avant tout à la Maison-Blanche de Bush.
Nouvelles
accusations d’un programme d’armement iranien
Il est inquiétant que de nouvelles allégations
ont fait surface pour alimenter la campagne anti-iranienne aux Etats-Unis et en
Israël qui remettaient en question l’évaluation du NIE que l’Iran était à des
années d’acquérir l’arme nucléaire.
Jusqu’à maintenant, la seule
« preuve » que l’Iran était sur le point d’obtenir l’arme nucléaire
consistait en des plans pour une ogive nucléaire supposément trouvés sur un
ordinateur portatif volé transmis à la CIA par un informateur en Iran. Le
gouvernement iranien a rejeté les plans comme étant une fabrication.
Le New York Times, le Washington Post et le Wall Street Journal, qui ont tout trois joué un rôle
capital dans la dissémination des mensonges sur les « armes de destruction
massive » en Irak, ont publié le 15 et 16 juin des déclarations de David
Albright de l’Institut pour la science et la sécurité internationale selon qui
des plans pakistanais d’armes nucléaires de conception très avancée pouvaient
avoir été vendus à l’Iran par le spécialiste nucléaire Abdul Qadeer Khan.
Les plans ont prétendument été découverts sur
les ordinateurs de trois citoyens suisses qui sont détenus à cause de leur
association avec Khan. Les trois hommes, emprisonnés en Suisse, auraient
accepté en 2003 de coopérer avec la CIA pour donner des informations sur les
transactions entre Khan et la Libye. Albright affirme qu’ils n’ont pas informé
les agences de renseignement américaines du fait qu’ils possédaient des plans
pour un modèle plus perfectionné.
Dans le rapport d’Albright, publié le 16 juin,
on pouvait lire ceci : « Parmi les plans suisses, on trouvait celui
pour une ogive nucléaire plus petite, plus perfectionnée que ceux trouvés en Libye.
Ce design aurait été idéal pour deux autres des principaux clients de Khan,
l’Iran et la Corée du Nord. Les deux pays avaient le problème de développer une
ogive nucléaire assez petite pour leurs missiles balistiques et cette
conception aurait permis précisément cela. Ces plans auraient aussi simplifié
la tâche de construire une arme nucléaire pour quiconque les obtiendrait. »
Des officiels suisses auraient eu des
difficultés à décrypter les fichiers. Sans expliquer pourquoi, Albright déclare
qu’ils n’ont demandé l’aide de l’AIEA qu’en 2006. Le gouvernement américain a
demandé une copie des plans et les a obtenus. Le gouvernement suisse aurait
ensuite procédé à la destruction des originaux.
Le principal objectif du reportage d’Albright
semble être de fournir un prétexte pour demander que le gouvernement
pakistanais nouvellement élu permette à Khan d’être interrogé sur la question
de la vente d’informations à l’Iran. Le Wall Street Journal a
commenté : « La possibilité que l’Iran possède les plans d’armement
du réseau Khan inquiète particulièrement les experts en contre-prolifération
des Etats-Unis et de l’Occident. »
Khan a répondu aux allégations d’Albright par
la voie d’Agence France-Presse dans les jours qui ont suivi. Il a
déclaré : « C’est un mensonge. Il n’y a aucune vérité là-dedans. Nous
n’avons jamais préparé [de plans d’armement]. Nous ne sommes pas des
concepteurs. Nous ne sommes pas de disséminateurs. »
Le scientifique a été pardonné par le
président Pervez Musharraf en 2004, mais placé sous surveillance à domicile
après avoir avoué qu’il avait vendu la technologie nucléaire. Il est revenu sur
son admission après que les partisans de Musharraf furent défaits aux élections
de février 2008, déclarant qu’il n’avait avoué que sous la contrainte de la
force et de l’intimidation.
Une attaque sur l’Iran, peu importe comment
elle sera justifiée, sera un crime de grande proportion. Derrière l’hystérie
manufacturée sur les programmes d’armement nucléaire se trouve la détermination
de l’élite dirigeante américaine et leur État-satellite, Israël, à assurer leur
domination sur le Moyen-Orient et, ainsi, sur la principale source de pétrole
au monde. Les efforts du régime iranien sur une période de plusieurs années
pour cultiver des liens politiques et économiques avec l’UE, la Russie et la
Chine sont considérés à Washington comme une menace directe à ses intérêts dans
la région.
Il y a plus de deux ans, le journaliste
Seymour Hersh a exposé dans le New Yorker un plan détaillé d’attaques
aériennes massives contre l’Iran, avec l’utilisation possible d’armes
nucléaires contre des bunkers souterrains fortifiés. Les sources de Hersh ont
révélé que les cibles se comptaient par « centaines » et qu’elles ne
se limitaient pas aux installations militaires et aux bâtiments
gouvernementaux, mais comprenaient des centrales électriques, des ponts, des
réseaux de distribution de l’électricité et d’autres infrastructures civiles.
Il n’y a aucun doute qu’il existe en Israël
une couche d’éléments de droite dérangés favorables à l’utilisation de
l’arsenal nucléaire pour assassiner des millions d’Iraniens et réduire tout le
pays en ruines. En avril, le ministre israélien de l’Infrastructure nationale,
Benjamin Ben-Eliezer, a dit qu’une guerre avec l’Iran résulterait en la
« destruction de la nation iranienne ». Der Spiegel a cité les
récentes remarques de l’historien Benny Morris qui a déclaré que « Si la
question est de savoir qui de l’Iran ou d’Israël doit périr, alors ce sera
l’Iran. »