Une entrevue avec Barack Obama, publiée mardi dans le Wall
Street Journal, le journal de référence du monde des affaires, donne un
aperçu de la duplicité du jeu auquel se prête le candidat démocrate dans la campagne
présidentielle de 2008. Celui-ci tente de combiner une rhétorique populiste
concernant les difficultés économiques auxquelles sont confrontés des millions
de travailleurs à des promesses aux milliardaires américains qu’ils
pourront compter sur un gouvernement Obama pour défendre leurs intérêts.
Obama s’est adressé aux journalistes dans son autobus
de campagne ce lundi, alors qu’il avait fait de multiples apparitions au
Michigan le long du corridor de ruines urbaines qui s’étend de Flint à
Détroit, dans ce qui était autrefois le cœur de l’industrie
automobile américaine. Son entrevue faisait suite à un discours prononcé à
Flint au cours duquel il présenta son programme économique intitulé « Soyons
compétitifs » et précédait une grande assemblée à l’aréna Joe Louis
au centre-ville de Détroit.
L’essence de l’approche d’Obama sur les
questions économiques, comme l’ensemble de sa candidature, est de
chercher à réconcilier l’irréconciliable. Il dit avoir de la sympathie
pour les sans-emplois, ceux qui n’ont pas d’assurance-maladie ou sont
aux prises avec le prix record de l’essence, sans exprimer la moindre
hostilité envers les parasites financiers responsables de ces conditions :
les PDG aux salaires mirobolants, les gestionnaires de fonds de placement à
risque, les investisseurs banquiers et les spéculateurs de biens de consommation.
Discutant avec le Journal de l’effondrement
des anciens centres industriels aux Etats-Unis, Obama donna une description
franche de l’impact de la mondialisation sur la société américaine.
« Nous vivons un gros changement, passant d’une économie nationale
qui était dominante à travers le globe à une économie vraiment globale dans
laquelle nous voyons de la compétition arriver de tous les coins », a-t-il
dit.
« La mondialisation de la technologie combinée à
l’automatisation affaiblissent la position des travailleurs, poursuivit-il.
J’ajouterais le climat antisyndical à cette liste. Mais ils affaiblissent
tous la position des travailleurs dans l’économie, particulièrement celle
des cols bleus, et pour certains, c’est simplement historique. Vous savez
qu’après la Seconde Guerre mondiale, nous étions dans une position unique.
L’Europe était décimée, le Japon aussi, la Chine n’était pas dans
la course à cause de Mao. Nous n’avions donc pas beaucoup de concurrence,
et maintenant d’autres pays s’élèvent et l’automatisation a
supplanté beaucoup du travail qui était habituellement fait par les
travailleurs de la classe moyenne. »
Obama nota la croissance des inégalités économiques durant les
deux dernières décennies – sous l’administration Clinton aussi bien
que sous l’administration Bush – et observa que cela contredisait
l’assertion qu’une croissance économique menait à une augmentation
du niveau de vie en général. « Nous, ce qu’on a vu c’est une
augmentation de la productivité, une augmentation des profits, mais une
stagnation et même un déclin dans les salaires et les revenus des familles
ordinaires. »
Pour cette raison, expliqua-t-il, une certaine forme
d’intervention de l’Etat dans la vie économique est nécessaire afin
de modifier la distribution de la richesse : « Il va être important
pour nous de faire attention non seulement à avoir un plus gros gâteau, ce qui
est toujours critique, mais aussi à la part qu’en reçoit chacun. Je ne crois
pas que ces deux choses – une distribution équitable et une économie
robuste – s’excluent mutuellement. »
Obama est le premier candidat présidentiel démocrate en une
génération à seulement soulever la question de la redistribution de la richesse
durant une campagne. Cependant, l’article qui résulte de ces entrevues ne
le dépeint pas comme un dangereux radical, mais comme un allié potentiel du
monde des affaires qui pourrait se laisser convaincre des bienfaits d’une
réduction des taxes sur la grande entreprise américaine.
L’article résumait ainsi la politique du candidat
démocrate : « Le sénateur Barack Obama a jeté un nouvel éclairage sur
son plan économique pour le pays, disant qu’il s’appuierait sur une
forte dose de dépenses gouvernementales pour stimuler l’économie,
utiliserait le système de taxation pour réduire l’écart grandissant entre
les gagnants et les perdants aux Etats-Unis, et soutiendrait possiblement une
réduction de l’impôt sur les sociétés. »
Obama a répété plusieurs fois que ses politiques se voulaient
favorables aux entreprises et il a rejeté toute augmentation de la taille du
gouvernement fédéral. « Le danger est de croire que plus le gouvernement
est gros plus il est efficace, et je ne souscris pas à cette conception. Ce
n’est pas clair pour moi que nous voulons un gouvernement plus gros, mais
nous voulons certainement un gouvernement qui établit des priorités de manière
plus intelligente, qui utilise les dollars des contribuables plus sagement et qui
structure la politique fiscale de manière à promouvoir une croissance
économique à long terme. »
Il a défendu l’idée que la politique de
l’administration Bush a été tellement tournée vers les riches
qu’elle a été, en fait, contre-productive pour les intérêts à long terme
de l’élite économique.
« Si, comme certains le disent, nous avons une économie où
les meilleurs emportent tout, où les hautement qualifiés et les hautement
scolarisés ramassent de grosses sommes d’argent, et où les non qualifiés
ou même les semi-qualifiés ont droit à une part beaucoup plus petite de
l’économie, alors notre politique fiscale doit aider à atténuer certaines
des conséquences en fournissant des soins de santé », a-t-il dit.
« Alors, si les gens perdent leurs emplois, ils ne perdent pas leurs soins
de santé aussi. En fait, cela rend la main-d'œuvre plus flexible et rend
les travailleurs plus mobiles et moins résistants aux changements. »
Cette remarquable déclaration mérite une attention
particulière. Obama n’est pas opposé à ce que les gens perdent leurs
emplois ou à ce que soit réduite la part du revenu national allant aux
travailleurs à revenus faibles ou moyens. Il se présente au Journal non
comme un défenseur des travailleurs, mais comme un conseiller de
l’oligarchie des affaires, leur expliquant les techniques requises pour
rendre les travailleurs, comme il le dit, « plus mobiles et moins
résistants aux changements ».
Ce langage est une référence elliptique à des évènements comme
la récente grève des travailleurs d’American Axle qui se sont avérés très
« résistants aux changements » en refusant les coupes drastiques dans
les salaires et les avantages sociaux et la suppression de milliers
d’emplois que réclamaient la compagnie et son PDG milliardaire, Richard
Dauch. Obama a essentiellement adopté la même position que la bureaucratie
syndicale des United Auto Workers, laquelle a cherché, en combinant
capitulations et menaces, à forcer les travailleurs à se plier aux exigences de
la compagnie.
La déclaration d’Obama contient aussi une falsification
élémentaire. L’augmentation des inégalités n’est pas, comme il le
dit, causée d’abord et avant tout par des différences dans les niveaux de
formation et de compétences. Elle représente un transfert radical et
historiquement sans précédent de la richesse, des travailleurs vers les
propriétaires du capital. La richesse engendre la richesse, particulièrement lorsque
la base de l’économie américaine n’est plus tant la production de
marchandises que la manipulation des marchés financiers.
Lorsque le Wall Street Journal lui a demandé
directement, « Aimeriez-vous réduire le taux d’imposition des
entreprises ? » Obama a répondu : « Si on peut éliminer les
échappatoires, créer un système juste pour tout le monde, alors il y a moyen de
réduire l’impôt sur l’entreprise. » Il a dit que son équipe de
conseillers économiques – dirigée depuis peu par Jason Furman, un ancien
haut conseiller du dirigeant de Citigroup, Robert Rubin – « jetterait
un coup d’œil là-dessus ».
Pour ce qui est du choix de ses conseillers politiques, Obama
s’est vanté de son approche pragmatique et non idéologique, disant
qu’il consulterait autant des personnalités de Wall Street comme Rubin,
le secrétaire du Trésor dans le gouvernement Clinton, que des personnalités
plus libérales comme Robert Reich, l’ancien secrétaire au Travail de
Clinton. « J’ai tendance à être éclectique, » a-t-il dit au Journal.
« Pour faire ces choix, je ne me baserai pas sur une sorte de
prédisposition idéologique acharnée, mais sur ce qui fait sens. Je crois
beaucoup dans les faits. Vous savez, si quelqu’un me montre qu’on
peut mieux faire quelque chose par le mécanisme du marché, je suis content de
le faire. Je n’ai pas d’intérêt marqué à faire grossir le
gouvernement ou à mettre en place un programme juste pour le plaisir de le
mettre en place. »
Le message ne pourrait pas être plus clair : Pas de
retour au « Big Government » (un appel codé à des coupes drastiques
dans les programmes sociaux), pas de dénigrement de la grande entreprise, pas
d’objection à une approche des problèmes sociaux basée sur le « marché »
(c’est-à-dire le profit).
Le rameau d’olivier tendu à Wall Street ne représente
pas un changement de direction, mais bien la poursuite de la trajectoire
qu’Obama a prise durant la campagne pour remporter la nomination
présidentielle démocrate. Et Wall Street l’a noté depuis longtemps :
selon des statistiques compilées par le Center for Responsive Politics,
Obama a récolté plus d’argent de donateurs individuels et comités
politiques du secteur des titres et investissements que toute autre campagne,
soit un peu plus que Hillary Clinton et deux fois plus que le républicain John
McCain.
En partie, cela correspond tout simplement à un investissement
de Wall Street dans une start-up prometteuse : Obama mène présentement
dans les sondages, et mercredi Quinnipiac a rapporté qu’il avait pour la
première fois pris l’avance sur McCain dans trois Etats critiques, soit
la Pennsylvanie, l’Ohio et la Floride.
Des sections de la presse libérale ont fait un gros plat du
caractère supposément progressiste de la politique fiscale d’Obama, comme
si c’était une tentative de raviver une approche de type Etat-providence concernant
les dépenses sociales consacrées à la santé et à l’éducation. Mais ce
n’est clairement pas le cas ici.
Selon une analyse du Tax Policy Center, les deux
candidats, démocrate comme républicain, réduiraient considérablement les
revenus du gouvernement fédéral. Le plan économique d’Obama diminuerait
les taxes et impôts de 2700 milliards de dollars, contre 3700 dans le cas de
McCain.
La politique d’Obama ne peut paraître hostile aux
super riches que dans la mesure où on la compare à celle de George W. Bush.
Elle est en fait un peu plus favorable aux mieux nantis que celle mise de
l’avant lors du premier mandat de Bill Clinton, lorsque le taux
d’imposition des plus riches avait légèrement augmenté.
Quant à ses propositions visant à augmenter les dépenses
pour les infrastructures, présentées dans son discours de Flint, elles
représentent 15 milliards de dollars par années sur dix ans pour les nouvelles
technologies de l’énergie, 60 milliards pour des améliorations dans les
transports, particulièrement dans les chemins de fer et les réseaux de
distribution d’énergie, et 10 milliards pour l’éducation préscolaire.
Ces sommes, soit un total de 220 milliards sur 10 ans, ne
sont qu’une goutte d’eau par rapport aux véritables besoins
sociaux, qui se comptent maintenant en milliers de milliards. Ce total est
moins important que les profits bruts annuels des plus grandes firmes de
Wall Street.
Quant à son impact économique, le plan énergétique
d’Obama injecterait moins de fonds dans l’économie en dix ans que
le plan d’urgence pour cette année qui a été voté il y a quelques mois par
la Maison-Blanche de Bush et le Congrès démocrate et dont les effets
économiques à long terme seront quasi nuls.
Cette considérable divergence entre la rhétorique
réformiste et la véritable politique a une cause simple : Obama, tout
comme McCain et Clinton, est un politicien capitaliste qui défend le système de
profit. Il ne proposera que des mesures qui sont compatibles avec les intérêts
des grandes compagnies et des milliardaires qui sont les véritables dirigeants
de la société américaine.
La défense des intérêts des travailleurs nécessite une
rupture avec le cadre politique contrôlé par le patronat et le système des deux
partis, et la construction d’un parti politique de masse indépendant qui
luttera pour la classe ouvrière, aux Etats-Unis et internationalement, sur la
base d’un programme socialiste.
(Article original en anglais paru le 19 juin 2008)