Mildred Loving, plaignante lors d'un procès
des années 60 qui avait entraîné l'annulation des lois contre les mariages
interraciaux en vigueur dans certains Etats, est décédée le 2 mai, chez elle
dans la petite ville de Milford en Virginie. Elle avait 68 ans, la cause de la
mort a été attribuée à une pneumonie, mais elle était en mauvaise santé depuis
plusieurs années et souffrait d'une arthrite aiguë.
Mildred, une femme noire, et son mari blanc,
Richard, avaient intenté ce procès en 1964, contestant la loi de l'état de
Virginie qui les forçait à quitter l'Etat pour éviter d'être arrêtés après leur
mariage. En juin 1967, une Cour suprême unanime sanctionnait la loi
anti-métissage comme une violation de la Constitution des États-Unis.
Le jugement rédigée par le Juge Suprême Earl
Warren affirmait : « Il n'y a manifestement aucune exception légitime en
dehors de l'injuste discrimination raciale pour justifier cette classification
[...] Il ne fait aucun doute que restreindre la liberté de se marier simplement
sur la base de classifications raciales n'est pas conforme à la signification
centrale de la Clause d'égale protection. »
Warren faisait remarquer que, la loi n'interdisant
les mariages interraciaux que pour les blancs — les noirs, les
asiatiques, les hispaniques et les Amérindiens pouvaient librement contracter
des mariages interraciaux – son seul but était « de perpétuer la
suprématie blanche ».
Quand ils se marièrent en 1958, Mildred Jeter,
alors âgée de 17 ans, et son ami Richard, un ouvrier du bâtiment de 23 ans,
vivaient à Central Point en Virginie, en zone rurale au nord de Richmond. Ils firent
90 miles en voiture vers le nord jusqu'à Washington pour se marier dans le
District fédéral de Columbia où il n'y avait pas d'interdiction légale, puis retournèrent
vivre chez eux.
Quelques semaines plus tard, le shérif du comté
de Caroline fit une descente chez eux à 2 heures du matin et les arrêta tous
les deux pour « cohabitation illégale », en prétendant que leur
certificat de mariage du District de Columbia n'était pas valable en Virginie.
Ils plaidèrent coupables devant le juge de la Cour du circuit de Caroline, Leon
Bazile, qui les condamna à un an de prison, condamnation qui serait suspendue
s'ils quittaient immédiatement l'Etat et n'y revenaient pas ensemble durant 25
ans.
Dans un jugement exprimant le racisme barbare
du sud dominé par les lois Jim Crow (lois de ségrégation) Bazile déclarait,
« Dieu tout-puissant a crée les races blanche, noire, jaune, malaise et
rouge, et il les a placées sur des continents séparés. Et s’il n’y
avait pas eu d’interférence avec cet arrangement divin, il n’y
aurait aucun motif à de tels mariages. Le fait qu’il ait séparé les races
montre qu’il n’avait aucune intention de voir les races se
mélanger. »
Pendant les cinq années qui suivirent, les
Loving vécurent à Washington, en faisant des déplacements occasionnels chez eux
pour rendre visite à des membres de leurs familles, toujours séparément. Mais
en 1964, ils firent un déplacement ensemble pour rendre visite à la mère de
Mildred, et ils furent à nouveau arrêtés.
Les Loving écrivirent au procureur général des
Etats-Unis, Robert F. Kennedy, qui les dirigea sur l'American Civil Liberties
Union [ACLU — Union américaine pour les libertés civiques] qui déposa une
plainte en leur nom. L'ACLU commença par demander au juge Bazile de revenir sur
sa décision, et quand ce juge local refusa, ils interjetèrent des appels
successifs jusqu'à la Cour suprême des États-Unis.
Les années pendant lesquelles l'affaire Loving
passait devant les cours de l'Etat et les cours fédérales étaient les plus
agitées de la période des droits civiques, avec des meurtres d'activistes, des
violences contre les manifestants pacifiques, et la mobilisation de millions de
travailleurs et de jeunes, noirs et blancs, contre la ségrégation officielle
dans le Sud. Ce fut ce mouvement de masse qui créa les conditions nécessaires
pour la dernière décision judiciaire dans l'affaire Loving contre État de
Virginie, qui advint seulement dix mois avant l'assassinat du docteur Martin
Luther King Jr.
Les Loving n'étaient pas des activistes
politiques et ils n'étaient pas présents à l'audience de leur affaire par la
Cour suprême. Après leur victoire juridique de 1967, ils retournèrent dans le comté
de Caroline, mais ils ne devaient passer que huit années de plus ensemble.
Richard Loving fut tué en 1975 dans un accident de la route provoqué par un
conducteur en état d’ébriété et Mildred Loving perdit un œil dans la
collision.
Après la mort de son mari, Mildred Loving éleva
leurs trois enfants, deux garçons et une fille. Elle laisse huit petits-enfants
et onze arrière-petits-enfants.
Il y eut un regain d'intérêt de la part du
public pour cette famille lors de la réalisation d'un téléfilm en 1999, et de
la sortie de l’unique livre consacré à cette affaire, en 2004. Le
District de Columbia a déclaré le 12 juin « Jour des Loving » (Loving
Day) dans une proclamation officielle.
Mildred Loving avait cessé d'accorder des
entretiens à cause de sa santé déclinante, mais l'année dernière, pour le 40e
anniversaire de la décision de la Cour suprême, elle a publié un bref
communiqué soutenant le droit au mariage des homosexuels.
La législation anti-métissage était, comme
l'un des avocats des Loving l'expliqua devant la Cour suprême, probablement le
dernier vestige des « lois sur l'esclavage » aux Etats-Unis. La loi
interdisant les mariages interraciaux en Virginie avait été adoptée en 1662,
elle s'était maintenue pendant plus de 300 ans.
Quelque 38 Etats avaient promulgué des lois
similaires à un moment ou un autre, et même en 1967, quand la décision Loving
contre Etat de Virginie fut rendue, de telles lois étaient encore en vigueur
dans 16 Etats. L'Etat de l'Alabama a été le dernier à retirer une telle
interdiction (qui n'était plus appliquée) de sa constitution, il y a seulement
huit ans.
De nos jours, il y a plus de quatre millions
de couples interraciaux aux États-Unis, selon le Bureau du recensement, et le
nombre d'enfants issus de ces mariages est encore plus grand. La jeune
génération d'Américains peut considérer qu'il est naturel que les gens soient
libres d'épouser qui ils veulent, sans tenir compte de préjugés réactionnaires.
Mais ce ne fut pas le cas jusqu'à une période récente.
Barack Obama, fils d'un père africain et d'une
mère blanche américaine, a remporté les primaires du Parti démocrate en
Virginie au début de l'année. À sa naissance, en 1962, le mariage de ses
parents aurait été illégal, non seulement en Virginie, mais dans tous les Etats
situés entre le District de Columbia et le Nouveau-Mexique, soit près d'un
tiers des États-Unis.
À l'occasion de la mort de Mildred Loving, il
est important de rappeler que la victoire juridique des droits démocratiques
associés à sa mémoire a été la conséquence d'une lutte de grande ampleur,
impliquant des millions de gens, contre la fureur déchaînée d'une partie de la
société, privilégiée et fermement campée sur ses positions.