Le 28 avril, le ministre du Travail Xavier Bertrand a
rencontré les syndicats et les organisations patronales pour mettre en place la
feuille de route d’une nouvelle série d’attaques sur les retraites.
Le point central de ce projet est d’allonger d’ici 2012 la période
de cotisation pour tous les travailleurs, dans le secteur public et privé, à 41
annuités au lieu de 40 actuellement. Ceci est la confirmation de
l’orientation donnée par le président Nicolas Sarkozy dans son interview
télévisée du 24 avril dans laquelle il avait dit que la seule solution était de
« travailler et cotiser plus longtemps ».
Les grandes lignes de l’actuelle réforme sont imposées
par l’attaque de 2003 sur les retraites, mises en place sous le
gouvernement du premier ministre d’alors, Jean-Pierre Raffarin, et qui
comprenait une augmentation en 2008 de la période de cotisation s’il ne
se produisait pas d’ici là un changement majeur des tendances
démographiques. En conséquence, on s’attend à ce que la réforme préparée
par les « partenaires sociaux », organisations syndicales et
patronales, et l’Etat ne soit adoptée que par un simple décret exécutif,
sans nécessité d’une nouvelle loi au parlement. Après la réunion du 28
avril, Bertrand a publié une première version de la réforme, intitulée
« Rendez-vous retraites 2008 ».
Cet avant-projet de loi déclare que l’augmentation de la
période de cotisation est « justifiée au regard de l’augmentation de
l’espérance de vie constatée par l’INSEE [Institut national de la
statistique et des études économiques]. La dégradation de la situation
financière des régimes en renforce la nécessité. »
Cet avant-projet annonce aussi plusieurs mesures mineures, en
grande partie symboliques, visant à aider les retraités plus pauvres. L’une
de ces mesures demande que le montant des pensions de réversion, versées aux
veufs ou aux veuves après le décès de leur époux ou épouse, soit porté à 60 pour
cent du montant de la pension de la personne décédée, contre 54 pour cent
actuellement. Une autre mesure demande que le montant de la retraite d’un
travailleur qui a travaillé à temps complet au SMIC (salaire minimum) pendant
toute la durée de sa période de cotisation perçoive au moins 85 pour cent du
SMIC, une mesure qui touche relativement peu de travailleurs payés au SMIC car ces
derniers ont souvent de longues périodes de travail à temps partiel, voire de
chômage.
Cette réforme revêt aussi une importance toute particulière concernant
les conditions d’emploi des plus de 57 ans, souvent contraints de prendre
une préretraite pour que les entreprises embauchent des travailleurs plus
jeunes et donc moins chers et réduisent ainsi leurs cotisations patronales de
retraite. Une indication de ce problème est le taux d’activité des plus
de 55 ans qui est de 38,1 pour cent en France contre une moyenne de 43,6 pour
cent dans l’Union européenne (UE). Jusqu'à présent, ces travailleurs
bénéficiaient d’une Dispense de recherche d’emploi (DRE). Une fois
licenciés, ils étaient autorisés à recevoir l’assurance-chômage
jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge légal de la retraite puis
ils recevaient leur retraite normale.
L’avant-projet de loi annonce une augmentation non
spécifiée de l’âge minimum ouvrant droit à la DRE. Avec une réforme des retraites
imposant des pénalités financières sévères aux travailleurs qui n’auront
pas cotisé pendant toute la période requise, c'est-à-dire une décote de 5 pour
cent du montant de la retraite pour tout trimestre manquant, de tels projets
réduiront de façon draconienne les retraites de millions de travailleurs.
Tout au long de cette collaboration entre les syndicats et
l’élite dirigeante française, les sommes en jeu ont été quelque peu
dissimulées au grand public. Mais ce qui est en train de se préparer
c’est un transfert massif d’argent de la poche des retraités de la
classe ouvrière vers les coffres de l’Etat et finalement vers les résultats
financiers des grandes entreprises françaises.
Selon l’INSEE, la France compte approximativement 13,5
millions de retraités, soit 20 pour cent de la population. Chaque année,
environ 500 000 travailleurs prennent leur retraite, un chiffre qui
devrait atteindre 700 000 lorsque la génération des baby-boomers prendra
sa retraite. En 2006, les dépenses pour les retraites s’élevaient à 235
milliards d’euros, dont 230 milliards provenaient des cotisations des
salariés et des patrons, et les 4,2 milliards restants de l’Etat.
Dans des documents statistiques préparés en novembre 2007, le
Conseil d’orientation des retraites (COR) prévoyait que, malgré une
augmentation substantielle de la population retraitée, la part du PIB consacrée
aux retraites serait maintenue au niveau constant de 13 pour cent à
l’avenir. Partant de là, le financement des retraites serait en déficit
de 15,1 milliards d’euros en 2015, 47,1 milliards en 2030 et 68,8
milliards en 2050. Mais ce qui est à la base de cette hypothèse c’est la
détermination de la bourgeoisie française à dépenser le moins qu’il lui
soit politiquement possible de dépenser pour les retraites.
Cherchant à réduire sa part dans le paiement des retraites, la
bourgeoisie française a eu l’idée d’allonger la période de
cotisation, d’accroître les pénalités financières sur les travailleurs au
moment où les durées de carrière sont à la traîne de la durée requise des
années de cotisation. La première réforme de ce type, celle du premier ministre
Edouard Balladur en 1993, avait fait passer les travailleurs du secteur privé
de 37,5 années de cotisation à 40. La seconde, celle de Raffarin en 2003, avait
forcé les travailleurs de la fonction publique à passer de 37,5 à 40 années de
cotisation, avec un passage prévu de 40 à 41 annuités en 2008. En décembre
dernier, le gouvernement a aligné sur ce modèle la retraite des travailleurs du
secteur public bénéficiant de régimes spéciaux de retraite, ceux qui
travaillent dans les secteurs stratégiques de l’économie tels les
transports et l’énergie.
Il a résulté de ces réformes, d’après une étude de
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), que
le pourcentage du dernier salaire qu’un retraité perçoit pour sa retraite
est passé de 64,7 pour cent à 51,2 pour cent.
La classe ouvrière française a fait face à ces attaques et a lutté
vigoureusement pour défendre son niveau de vie. En 1995, les travailleurs du
secteur public avaient, en grande partie, paralysé le pays avec une grève
d’un mois contre les tentatives du premier ministre de l’époque
Alain Juppé d’étendre les attaques de Balladur au secteur public. Les
enseignants avaient conduit une grève des travailleurs du secteur public regroupant
un million de personnes contre les attaques de 2003 et les cheminots, gaziers
et électriciens ont monté des grèves en octobre et novembre derniers contre la
réforme des régimes spéciaux. Mais la classe dirigeante française a réussi à
diviser la classe ouvrière et s’est attaquée à chaque secteur l’un
après l’autre.
Le principal obstacle à la défense victorieuse des retraites
est la direction des syndicats. Loin de chercher à alerter les travailleurs sur
le danger à long terme auquel ils étaient confrontés et ainsi mener une lutte
politique en complète opposition à la bourgeoisie et à ses représentants, les
bureaucraties syndicales luttent systématiquement pour empêcher que les grèves
ne s’étendent, pour y mettre fin et ensuite négocier des concessions avec
l’Etat.
La collaboration entre les syndicats et l’Etat est à
présent publiquement discutée dans les grands médias. Comme l’a écrit
Sarkozy dans un éditorial du Monde du 18 avril, « Le dialogue
social n'a jamais été aussi dense ni aussi constructif en France qu'au cours
des derniers mois. Juste après l'élection présidentielle et avant même de
rejoindre l'Elysée, j'ai tenu à recevoir les organisations syndicales et
patronales pour les écouter et recueillir leurs positions sur les premières
actions que je comptais entreprendre. Depuis, je continue à recevoir très
régulièrement chacun de leurs représentants… la réforme des régimes
spéciaux de retraite, qui a pu être menée à bien à l'automne grâce à une
intense période de concertation au niveau national et des négociations dans
chacune des entreprises concernées. »
Jean-Christophe Le Duigou, un dirigeant de la CGT
(Confédération générale du travail), dominée par les staliniens, a répondu dans
une interview publiée dans le Financial Times par des compliments à
l’adresse de Sarkozy: « Il comprend que nous devons donner une place
au dialogue. Nous nous trouvons à un tournant dans la situation sociale de
notre pays. Tout le monde pense que les choses doivent changer. »
Dans une telle situation, tous les travailleurs qui ont une
conscience de classes doivent se rendre compte du piège que leur tendent la CGT
et la CFDT (Confédération française démocratique du travail), au moment où les
syndicats annoncent leur projet d’appel à une journée d’action le
22 mai contre les attaques sur les retraites. Dans une situation où Sarkozy est
au plus bas dans les sondages et où les difficultés économiques augmentent, un tel
appel pourrait être très suivi. Cependant, le but de la bureaucratie syndicale
est de faire de cette journée une soupape politique et de donner
l’illusion de lutter contre le gouvernement tout en complotant avec
Sarkozy dans le dos des travailleurs.
Peu après que la CFDT eut annoncé son soutien à la journée
d’action, son négociateur sur les retraites, Gaby Bonnard reconnaissait, « nous
ne sommes pas hostiles par principe à un allongement de la durée de cotisation ».
Dans un éditorial du 1er mai, le quotidien conservateur Le
Figaro faisait l’éloge de la décision des syndicats de ne pas joindre
leur journée d’action à celle des lycéens le 15 mai. [En fait le 15 mai
est une journée d’action des lycéens, des enseignants et de la fonction
publique]. L’article dit des manifestations du 22 mai, « Il faut
espérer qu'il s'agit là, dans l'esprit des syndicats, d'un baroud d'honneur
face à une réforme certes difficile, mais cruciale pour le pays. »
L’article ajoute, « le vrai sujet pour les syndicats est en réalité ailleurs.
Il s'agit pour eux de savoir prolonger l'extraordinaire mouvement de rénovation
des mœurs sociales en France, dont ils sont le moteur… Contribuer à
une réforme aussi déterminante que celle des retraites, réalisée partout
ailleurs en Europe, enverrait le signe d'une responsabilité définitivement
assumée. »
A ceci, il suffit à la classe ouvrière d’ajouter, « leur
responsabilité envers la bourgeoisie ». En fait, ce que Sarkozy et les
médias bourgeois révèlent ingénument c’est la prostration totale des
bureaucrates syndicaux et par extension de tous leurs parasites dans les
directions des partis de gauche et d’«extrême-gauche » soi-disant
trotskystes.
Les travailleurs peuvent rejeter l’affirmation hypocrite
selon laquelle il n’y a pas d’argent pour payer les retraites. L’Etat
proteste contre le fait de devoir payer 4,2 milliards d’euros de
retraite, un an après que Sarkozy a fait un cadeau fiscal de 10 pour cent à la
tranche d’imposition la plus élevée et qui représente 15 milliards
d’euros par an. Le déficit prévu de 69 milliards d’euros, dans les
40 ans à venir, est moins important que les bénéfices de l’an dernier de
l’index du CAC 40 des 40 plus grandes entreprises françaises, bénéfices qui
se sont élevés à 100 milliards d’euros.
En premier lieu, il faut construire un parti politique pour
coordonner la lutte contre le programme d’attaque des acquis sociaux du
gouvernement et de ses co-conspirateurs des directions syndicales. Le World
Socialist Web Site met en avant une perspective socialiste internationale
pour faire avancer cette lutte parmi les travailleurs et les étudiants en
France.