Le président des Travailleurs canadiens de l’automobile
(TCA) Buzz Hargrove et son comité exécutif ont annoncé lundi que les
négociations secrètes menées avec Ford Canada au cours du dernier mois avaient
conduit à une entente de principe qui allait être à la base d’un nouveau
contrat avec le géant de l’automobile qui serait en vigueur jusqu’en septembre
2011. Cette offre, faite presque cinq mois avant l’échéance du précédent
contrat, est sans précédent dans l’histoire du syndicat.
Selon cette entente, les salaires des travailleurs actuels
de Ford seront gelés pour toute la durée de l’accord, soit trois ans, la
rémunération de vacances sera réduite de 40 heures par année, les primes pour les
soins médicaux de longue durée seront réduites, les cotisations des employés
pour les médicaments augmenteront, les pensions seront amputées et les
ajustements au coût de la vie seront gelés à partir de maintenant jusqu’à la
fin de la première année du nouveau contrat. L’entente jette aussi les bases
d’une échelle salariale à deux vitesses.
L’accord-cadre prépare de plus d’autres mises à pied par
ses clauses de « bénéfices accrus de restructuration » et,
sinistrement, promet « d’explorer et de mettre sur pied un fonds de santé financé
à l’avance et hors bilan ». Cela n’est qu’un euphémisme pour indiquer que
la compagnie cédera la responsabilité de la gestion du fonds de santé au
syndicat. On demandera aux travailleurs de renoncer aux acquis gagnés durant des
décennies de luttes pour deux « bonus » totalisant 5700 dollars.
L’entente avec Ford ressemble en de nombreux points aux
contrats signés entre le syndicat des Travailleurs unis de l’automobile (UAW)
et les Trois Grands à Détroit à l’automne dernier. Au cours de cette ronde de
négociations, l’UAW a complètement capitulé face aux demandes des
constructeurs. Il a accepté une draconienne échelle salariale à deux vitesses
et d’énormes concessions au niveau des avantages sociaux et, dans une
initiative sans précédent, a aussi accepté que la responsabilité de la gestion
du fonds de santé passe de la compagnie au syndicat. L’UAW deviendra ainsi l’un
des plus importants assureurs en santé des Etats-Unis, ayant ainsi tout intérêt
à faire payer ses propres membres.
Au moment même où Hargrove rencontrait secrètement des
représentants de Ford ainsi que de General Motors et des cadres de
Chrysler-Cerberus, le président des TCA et son économiste en chef Jim Stanford
assuraient publiquement aux travailleurs que les TCA n’étaient pas en train de
négocier des contrats de concessions. Dans une déclaration produite à la suite
de rencontres avec des investisseurs de Wall Street et de Bay Street, Hargrove
a déclaré : « Nous sommes très préoccupés par le fait que les
investisseurs croient que les contrats canadiens suivront le modèle de
l’entente ratifiée par l’UAW. » Mais ces garanties étaient clairement
orientées vers les membres des TCA. En privé, un plan complètement différent
était sur les tables de la direction.
Comme l’avait alors averti le WSWS, « Les travailleurs
ne devraient avoir aucune confiance en de telles affirmations. Depuis la
scission des TCA de l’UAW en 1985, ses dirigeants, d’abord Bob White et
maintenant Hargrove, ont fait carrière en niant que la bureaucratie des TCA
avait pour principale tâche de négocier des contrats de concessions malgré la
tonne de preuves démontrant le contraire.
« Les travailleurs de l’automobile de l’énorme complexe de
GM à Oshawa, pour ne citer que cet exemple, sont très au courant qu’en vertu de
l’entente conclue en 2006 dont la réalisation dépendra de promesses d’investissements
de la compagnie, Hargrove et le président du local 222 Chris Buckley ont
accepté par la porte d’en arrière le principe d’une échelle de salaire à deux
vitesses dans l’usine lorsqu’ils ont permis à GM d’embaucher des travailleurs non
syndiqués pour des emplois anciennement gérés par le contrat des TCA. En fait,
même après l’implantation de cette entente, GM a continué à refuser de
spécifier de nouveaux plans de produits pour l’usine afin de garder sa position
de force dans les négociations à venir. »
« Si les concessions faites par la TCA jusqu’à maintenant
n’ont pas été aussi importantes que celles négociées au sud de la frontière,
c’est parce que les opérations canadiennes des Trois Grands ont profité d’un
"avantage compétitif" en raison du dollar canadien historiquement
plus faible et de l’existence d’un système public de soins de santé au Canada
qui a réduit les parts d’avantages sociaux à couvrir pour les constructeurs de
l’automobile. Cependant, la montée récente du dollar canadien jusqu’à parité
avec la devise américaine, combinée avec les baisses de salaire massives et les
diminutions des avantages sociaux acceptées par l’UAW aux Etats-Unis, a éliminé
"le coût de production plus avantageux" qui a donné à la bureaucratie
des TCA plus de marge de manoeuvre. »
Dans une tentative plutôt futile pour déguiser
l’institutionnalisation d’une échelle de salaire à deux vitesses, les
négociateurs des TCA ont dûment consulté un dictionnaire de synonymes et ont
appelé la concession un « système intégré de nouvelle embauche ». Les
nouveaux employés vont commencer à 70 pour cent du salaire de base et des
bénéfices marginaux et vont atteindre 100 pour cent après seulement trois ans.
Les travailleurs ne doivent avoir aucun doute sur le fait que ces clauses
seront utilisées dans de futures négociations de convention collective pour
amener d’autres baisses de salaires tant pour les anciens que pour les
travailleurs nouvellement embauchés.
Avant de s’entendre avec Ford, Hargrove a laissé entendre aux
responsables chez General Motors et Chrysler qu’il serait possible de négocier
de nouveaux contrats de travail bien avant les traditionnelles ouvertures de
négociations dans le mois de juillet. Mais, les compétiteurs de Ford n’ont pas
accepté les offres de concessions et de « paix des travailleurs »
sans précédent de Hargrove, calculant que l’économie nord-américaine entre dans
ce qui sera, selon toute vraisemblance, une crise prolongée et qu’ils seront
dans une position encore plus forte pour négocier au mois de septembre. Lundi,
GM Canada a annoncé qu’il éliminera un quart de travail dans son usine
d’assemblage d’Oshawa au début septembre, ce qui signifiera la perte de plus de
950 emplois.
La bureaucratie des TCA espère clairement que son entente
cordiale avec Ford formera le nouveau « modèle » pour GM et
Chrysler-Cerberus. Justifiant l’acceptation par le syndicat de concessions sans
précédent et la réouverture immédiate de la convention collective existante (le
gel des ajustements au coût de la vie est en vigueur immédiatement) Hargrove a déclaré : « Nous
reconnaissons les problèmes des compagnies et de l’industrie et nous
reconnaissons que l’époque est différente et nous [devons] faire les choses
différemment. »
Cependant, de nouveaux communiqués et de nouvelles
déclarations provenant de GM Canada montrent clairement que les concessions
proposées à Ford ne satisfont pas ses rivaux nord-américains.
Dans un document qui a été divulgué secrètement aux médias
le mois dernier, abordant l’industrie automobile et le marché du travail, la
valeur du dollar canadien et la situation économique générale précaire, GM
affirmait devoir apporter des « transformations » à ses usines
canadiennes. Se basant sur une comparaison entre le taux salaires/bénéfices
dans les usines organisées par les TCA avec des usines aux États-Unis dirigées
par des constructeurs japonais, Honda et Nissan, GM insiste que les salaires
canadiens coûtent 30 $ canadiens l’heure de plus qu’aux Etats-Unis et
qu’il faut s’attaquer à ces coûts lors des prochaines négociations. Sinon, les
investissements de GM dans les usines canadiennes « vont devenir plus
difficiles à justifier ». Selon le document de GM, plus des trois quarts
de la différence de 30 $ l’heure peuvent être attribués aux coûts de la
main-d'œuvre, l’autre quart provenant de la « réglementation » du
travail trop stricte. Le document poursuit en disant que l’augmentation de
l’utilisation du travail temporaire, la déqualification des positions et la
réduction des congés doit être agressivement poursuivie.
Hier, le Toronto Star citait le réputé analyste de
l’industrie automobile, Dennsi DesRosiers, selon lequel les concessions
accordées par les TCA à Ford vont « beaucoup décevoir » GM et
Chrysler.
« Ces deux compagnies espéraient que les TCA allaient
redonner beaucoup plus que ce contrat…, ils s’attendaient à des retours de 30 $
l’heure et cette entente n’est pas près de ce chiffre. »
Hargrove et la direction des TCA vont sans doute souligner
l’insatisfaction des rivaux de Ford pour essayer de convaincre les travailleurs
d’avaler les concessions sans précédent contenues dans l’entente de principe.
En effet, la direction des TCA s’est déjà mise en œuvre
pour forcer les travailleurs de Ford à ratifier rapidement l’entente secrète
conclue avec Ford Canada. Hargrove a annoncé lundi que l’entente de principe
avait été unanimement endossée plus tôt dans la journée par les membres des
comités de négociation des TCA de GM.
Le président des TCA ajouta que les négociateurs du
syndicat et de la compagnie visaient à finaliser les derniers détails de
l’entente-cadre aussi bien que les contrats finaux couvrant les usines ontariennes
de Ford à Oakville, Windsor, et St Thomas à la fin de cette semaine. La
ratification syndicale devrait alors avoir lieu la semaine suivante.
Les travailleurs doivent sérieusement penser à comment
sortir de cette impasse. La lutte contre les diminutions de salaire, les pertes
d’emplois et la destruction de tous les acquis gagnés par les générations
précédentes de travailleurs, ne peut être menée par les organisations ouvrières
pro-capitalistes et nationalistes actuelles, telle que les TCA.
Les travailleurs de l’automobile doivent se joindre à leurs
frères et sœurs de classe aux États-Unis, au Mexique, en Asie et partout à
travers le monde, pour défendre les emplois, les salaires et les conditions de
travail de tous dans une lutte commune contre le système capitaliste, lequel
subordonne toute la vie économique et les besoins sociaux à la recherche de
profit d’une poignée d’investisseurs millionnaires.