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WSWS : Nouvelles et analyses : Asie

Le tsunami au Sri Lanka : Une étude de cas des missions humanitaires américaines

Par K. Ratnayake
16 mai 2008

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Depuis que le cyclone a dévasté la Birmanie le 3 mai dernier, une campagne incessante est menée par les médias internationaux pour faire en sorte que des militaires étrangers soient autorisés à entrer dans le pays aux côtés des personnels de secours. Les articles, les uns après les autres, insistent sur le contraste entre la paranoïa, l’incompétence et l’insensibilité de la junte birmane et la soi-disant volonté des Etats-Unis et des autres grandes puissances de fournir une aide humanitaire généreuse.

La junte birmane a une fois de plus fait la démonstration claire de ses méthodes répressives et de son manque cynique de considération pour la vie humaine. Mais affirmer que Washington et ses alliés agissent uniquement par souci des Birmans est tout simplement un mensonge. Tout comme en Irak et en Afghanistan, l’administration Bush poursuit ses propres intérêts économiques et stratégiques, et dans le cas de la Birmanie elle cherche à miner un régime qui est un allié de la Chine, pays que les Etats-Unis considèrent comme un rival en pleine ascension et potentiellement dangereux.

En présentant ses arguments pour une intervention en Birmanie, les commentaires des médias font souvent référence au tsunami de 2004, déclarant que la réponse internationale à cette catastrophe, y compris le déploiement de militaires étrangers, était un modèle d’efficacité et de bienveillance. Ils passent complètement sous silence ce qui s’est réellement passé en 2004, les implications politiques et le sort des dizaines de milliers de survivants qui luttent encore pour leur survie dans les pays qui entourent la Baie du Bengale.

Le cas du Sri Lanka est riche d’enseignements. Après l’Indonésie, le Sri Lanka fut le pays le plus durement touché par le tsunami. Selon des chiffres officiels, 30 920 personnes au moins ont péri, 519 063 ont été déplacés et 103 836 maisons ont été détruites. La dévastation fut terrible. Des maisons, des écoles, des hôpitaux, des routes, des chemins de fer et des moyens de communication ont été emportés. Des villages entiers ont disparu. Les survivants se sont retrouvés sans abri, sans nourriture, sans eau potable et sans médicament. Beaucoup, et notamment des pêcheurs, ont perdu leur gagne-pain.

La Birmanie n’est pas le seul pays à avoir un gouvernement répressif et incompétent. Le gouvernement de la présidente Chandrika Kumaratunga ne fit rien fait, notamment dans l’est et le nord du pays où régnait un cessez-le-feu tendu avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Ce furent surtout les gens ordinaires, y compris ceux ayant une formation de médecin ou d’infirmier, qui partirent en grand nombre de Colombo pour porter les premiers secours aux survivants en situation désespérée.

La réaction du gouvernement consista à déployer des soldats et à placer toute l’opération d’aide humanitaire sous contrôle militaire, y compris les équipes de volontaires. Leur principal souci n’était pas de porter secours aux survivants qui étaient confrontés à une situation abominable dans des camps de réfugiés sordides, mais de réprimer toute opposition ou protestation à l’encontre de l’indifférence et du manque d’assistance du gouvernement. Par-dessus tout, la manière dont les Cingalais, Tamouls et musulmans ordinaires s’étaient unis pour s’entraider, allait complètement à l’encontre de décennies de communautarisme anti-tamoul sur lequel l’establishment politique de Colombo repose.

C’est dans ce contexte que l’administration Bush expédia l’armée américaine au Sri Lanka. L’ancien secrétaire d’Etat, Colin Powell, ne demanda pas, mais exigea plutôt que les Marines soient autorisés à entrer dans le sud de l’île. Même les cercles dirigeants tiquèrent quand il s’agit d’autoriser les soldats américains à pénétrer dans le pays pour la première fois. Un éditorial du Daily Mirror posa ouvertement la question de savoir si l’intervention militaire avait des motifs cachés, comme celui de promouvoir les intérêts américains en Asie centrale et au Moyen-Orient.

Kumaratunga eut cependant tôt fait de donner son accord. Trois cents Marines débarquèrent dans le sud de l’île et y furent déployés ainsi qu’à Arugam Bay dans l’est. L’opération d’aide fut limitée. Les soldats aidèrent à retirer les débris, distribuèrent quelques provisions, prirent la pose pour les médias puis repartirent quelques mois plus tard. Il ne fait pas de doute que certains survivants reçurent de l’aide, mais l’objectif principal de la présence militaire américaine était d’ordre politique.

Cette opération était motivée par plusieurs raisons : surmonter des décennies d’hostilité profonde des masses sri lankaises envers l’impérialisme américain et créer un précédent qui est à présent invoqué dans le cas de la Birmanie. Mais comme l’avait alors dit le Parti de l’égalité socialiste (Socialist Equality Party, SEP), Washington cherchait à forger des liens militaires plus étroits, y compris avec le Sri Lanka, pour poursuivre ses ambitions économiques et stratégiques sur l’ensemble de cette région.

L’importance stratégique du Sri Lanka

Cet avertissement du SEP se confirma. L’importance stratégique principale du Sri Lanka réside dans le fait que ce pays est à cheval sur les principales voies maritimes de l’Océan indien, dont la principale route allant du Moyen-Orient à l’Océan pacifique en passant par le Détroit de Malacca. En particulier, le port en eau profonde de Trincomalee sur la côte orientale est depuis longtemps considéré comme le gros lot. Après le cessez-le-feu de 2002 signé avec le LTTE, une équipe de ténors du Commandement pacifique américain se rendit au Sri Lanka pour étudier en détail le port de Trincomalee et évaluer les menaces potentielles du LTTE.

A ce stade, l’administration Bush soutenait encore publiquement le soi-disant processus international de paix comme moyen de mettre fin à la guerre civile acharnée qui durait depuis 20 ans sur l’île. Le souci de Washington n’était cependant pas les conséquences dévastatrices de la guerre sur la population sri lankaise, mais plutôt le fait que le conflit avait une influence déstabilisante et qui menaçait les intérêts américains dans la région, notamment en Inde.  

Dès décembre 2004 cependant, le processus de paix était déjà sur le point de s’effondrer. Les négociations pour la paix s’étaient interrompues en avril 2003 et au début de 2004, la présidente Kumaratunga dissout brutalement le gouvernement du Front national uni (UNF) au motif qu’il « mine la sécurité nationale ». Dans les coulisses, l’armée et les partis extrémistes cingalais, tels le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), partenaire dans le nouveau gouvernement de Kumaratunga, était déjà en train de pousser à la reprise de la guerre.

Les Etats-Unis et les autres grandes puissances utilisèrent la catastrophe crée par le tsunami pour pousser à la création d’un mécanisme conjoint entre le gouvernement et le LTTE en vue de distribuer l’aide internationale. Cette proposition fut considérée comme un premier pas vers la reprise des négociations pour la paix. Kumaratunga saisit cette suggestion, non sans une certaine hésitation, en partie du fait d’un sentiment populaire largement répandu que le tsunami avait démontré que tous les Sri lankais étaient logés à la même enseigne et qu’il fallait mettre fin à cette guerre fratricide. Mais le haut commandement militaire et le JVP considéraient l’organisme d’aide provisoire comme une concession inacceptable faite au LTTE.

Le tsunami fut un bon prétexte pour forger des liens politiques et militaires avec Washington. Powell se rendit à Colombo au début du mois de janvier 2005 lors de sa tournée des pays touchés par le tsunami. En avril, l’amiral William J Fallon, alors à la tête du Commandement pacifique américain, se rendit au Sri Lanka, rencontra des dirigeants du gouvernement et visita les régions touchées par le tsunami, dont Trincomalee. Au cours du même mois, la secrétaire d’Etat adjointe pour l’Asie du Sud, Christina Rocca, se rendit au Sri Lanka pour discuter du mécanisme conjoint d’aide.

L’administration Bush poursuivait clairement une stratégie sur deux fronts : elle encourageait publiquement des pourparlers pour la paix, tout en ayant des discussions à un haut niveau, en privé, avec l’armée sri lankaise sur de possibles préparatifs de guerre. Les discussions concernant une administration commune de l’aide traînèrent pendant des mois. Une conférence des principaux donateurs se tint les 16 et 17 mai et fit un ultimatum enjoignant Colombo à mettre en place cet organisme s’il voulait obtenir une somme globale de 3 milliards de dollars américains d’aide.

Kumaratanga mit en place, à contrecoeur, la Post-Tsunami Operations Management Structure (P-TOMS) (structure de gestion des opérations, suite au tsunami) avec le LTTE, mais dès le début ce fut un canard boiteux. Le JVP se retira du gouvernement et réussit à remettre en question la constitutionnalité du P-TOMS à la Cour suprême. Aux élections présidentielles de novembre 2005, le JVP soutint le nouveau candidat du Sri Lanka Freedom Party de Kumaratunga, Mahinda Rajapakse, sur un programme qui mettait complètement au rebut le P-TOMS et qui mettait le cap sur une reprise de la guerre.

Ayant accédé de justesse au pouvoir, Rajapakse, avec le soutien tacite de Washington, adopta immédiatement une position hautement provocatrice envers le LTTE. En janvier 2006, l’ambassadeur américain à Colombo, Jeffrey Lunstead indiqua le soutien de Washington à une reprise de la guerre, exigeant que le LTTE accepte les conditions du gouvernement pour les pourparlers. « Si le LTTE choisit d’abandonner la paix, avertit Lunstead, nous voulons que ce soit très clair, ils seront confrontés à une armée sri lankaise plus forte, plus compétente et plus déterminée. Nous voulons qu’un retour à la guerre coûte le prix fort. »

Une guerre cachée de provocation et d’assassinats éclata en conflit déclaré en juillet 2006 lorsque Rajapakse donna l’ordre à l’armée de s’emparer de la région de Mavilaru tenue par le LTTE, en violation totale du cessez-le-feu de 2002. Cet acte d’agression déclaré ne provoqua pas même un murmure de critique de la part des Etats-Unis ou des autres sponsors de ce « processus de paix ». Aujourd’hui l’île est embourbée dans une guerre civile brutale, avec le soutien militaire et politique des Etats-Unis.

Selon un rapport de la Fédération des chercheurs américains, (Federation of American Scientists, FAS), les ventes commerciales directes de matériel de défense vers le Sri Lanka sont passées de 1,9 million de dollars américains en 2004, à 3,1 millions en 2005 et 3,9 millions en 2006. En retour, le gouvernement de Rajapakse soutient sans faire de bruit l’occupation par l’administration Bush de l’Irak et de l’Afghanistan et l’année dernière il a signé un accord permettant à l’armée américaine d’utiliser l’île pour un soutien logistique.

Quant aux victimes du tsunami, on les a complètement oubliées. Selon l’agence de développement et de reconstruction du gouvernement (RADA), 6718 familles soit plus de 25 000 personnes vivaient encore, au mois de mars, dans des conditions abominables dans des camps de réfugiés, c'est-à-dire plus de trois ans après le tsunami. La plupart des familles, 5820, sont dans le nord et l’est du pays où les combats ont repris. Même dans la région entourant la capitale de Colombo, il y a 803 familles qui vivent dans des camps.

Les chiffres officiels sont certainement sous-estimés. De plus, davantage encore de survivants, y compris ceux qui ont été relogés, sont encore confrontés à d’énormes difficultés. De nombreux pêcheurs ont perdu leur gagne-pain et ont été réinstallés loin de la côte. Sous prétexte de protéger la population, le gouvernement a saisi cette occasion pour raser les villages de pêcheurs et ouvrir la voie à la construction d’hôtels de luxe et de stations balnéaires.

La situation difficile de ces réfugiés en dit long. Hakeem originaire de la petite ville rurale de Marathumunai a dit au WSWS la semaine dernière : « Dans notre village, 186 familles ont été touchées par le tsunami. Des centaines ont été tués quand le tsunami a frappé. » Il a dit que personne dans le village n’avait de logement. Beaucoup n’avaient pas de travail à temps plein et gagnaient un peu grâce à du travail saisonnier. L’école centrale de Maruthumunai n’avait pas été reconstruite.

C’est la même chose dans la Province occidentale. Un vieux bâtiment officiel abandonné, en banlieue de Colombo, à Katubedda, est l’endroit où vivent actuellement 56 familles. Le bâtiment tombe en ruines. Chaque famille dispose d’à peu près 40 mètres carrés, délimitées par des cloisons. Les toilettes débordent. L’électricité a été coupée parce que le ministère de la Gestion des catastrophes n’a pas payé la facture. Aucun adulte n’a un vrai travail.

Une jeune fille de 19 ans a dit au WSWS: « Vous nous demandez ce qui se passe en Birmanie. Comme nous ne pouvons pas regarder la télévision et n’avons accès à aucun autre média, on ne sait pas ce qui se passe là-bas. C’est de vous que j’apprends ce qui se passe. On dirait que cela ressemble à ce qu’on vit ici. Partout dans le monde, on voit comment les gens ordinaires sont touchés par des catastrophes naturelles et comment ils sont traités par les dirigeants. »

Les Marines américains sont partis depuis longtemps, l’aide internationale aux victimes du tsunami au Sri Lanka a tari et le gouvernement détourne l’argent des services essentiels à la population pour l’utiliser dans sa reprise de la guerre. Il ne fait pas de doute que la même chose se produira en Birmanie. La pression en faveur d’une intervention en Birmanie est motivée par les intérêts économiques et stratégiques des grandes puissances et qui sont diamétralement opposés à ceux de la majorité des Birmans et produiront inévitablement de nouvelles tragédies.

(Article original anglais paru le 14 mai 2008)

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