On a enregistré un mouvement à gauche manifeste et la
répudiation de la politique réactionnaire du président gaulliste droitier
Nicolas Sarkozy au premier tour des élections municipales dans les 36 785
communes du pays, dimanche dernier.
Quelque 67 pour cent des 44,5 millions d’électeurs que compte
la France ont participé au scrutin. Un peu moins de 48 pour cent ont voté pour
le Parti socialiste (PS) et ses alliés et 45 pour cent pour le parti au
pouvoir, l’UMP (Union pour un mouvement populaire) et ses alliés. Le MoDem,
parti de centre droit de François Bayrou, ancien allié de l’UMP, a obtenu 3
pour cent des voix.
Les médias s’accordent en grande majorité à dire que bien que les
électeurs aient infligé une rebuffade à Sarkozy, on ne pouvait cependant pas parler
de victoire écrasante pour la gauche. Libération titrait « La
gauche ressuscitée, la droite pas crucifiée », le journal local La
République du centre commentait : « Nicolas Sarkozy a bel et bien
reçu un carton jaune, mais il a évité le carton rouge. » Personne n’a
suggéré que Sarkozy soit expulsé du terrain, ni ne l’a non plus recommandé.
Les sondages cherchant à savoir qui avait voté à droite et qui
à gauche n’ont pas été facilités du fait du brouillage des différences entre
partis et le virage à droite de nombreuses personnalités du PS qui avaient
rejoint des listes de candidats de l’UMP.
A quelques semaines des élections, le taux de popularité de
Sarkozy s’était effondré, passant de plus de 60 pour cent à 33 pour cent. Il a
dû abandonner son intention première de faire de cette élection l’expression du
soutien national à son administration et de parcourir le pays pour apporter son
soutien aux candidats de l’UMP dans les municipalités, où 22 de ses ministres
sont têtes de liste. La plupart des listes de droite ne se sont pas présentées
sous l’étiquette de l’UMP de peur d’être associées de trop près à leur
président impopulaire.
D’après La Tribune: « Les dirigeants de l'UMP
veulent alors à toute force "localiser" le scrutin pour lui dénier
toute portée anti-Sarkozy. "Que mes amis m'oublient un peu", supplie
Alain Juppé [premier ministre gaulliste de 1995 à 1997] qui joue sa vie
politique sur son succès à Bordeaux. »
Il est évident que la masse de l’électorat n’a pas cru Sarkozy
lorsque celui-ci a démenti avoir l’intention d’annoncer un programme
d’austérité strict après les élections municipales, ni la promesse du premier
ministre François Fillon d’augmenter les retraites en 2008.
Le PS a remporté plusieurs municipalités de droite dès le
premier tour obtenant plus de 50 pour cent des voix : Rouen, Laval,
Alençon et Rodez. Il est bien placé pour prendre Strasbourg au second tour. Il
a gagné Lyon et est presque sûr aussi de conserver le 16 mars les cinq grandes
villes de plus de 300 000 habitants qu’il administre déjà, comme Lille.
Le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, devançant de
12 pour cent sa rivale de l’UMP Françoise de Panafieu, est bien placé pour être
réélu confortablement.
Néanmoins, la droite a repris au PS la capitale de
Haute-Loire, le Puy-en-Velay, et le maire UMP de Marseille Jean-Claude Gaudin arrive
en tête pour le second tour.
Le Front national (FN) néofasciste de Jean-Marie Le Pen n’a pu
se présenter que dans la moitié des villes où il avait fait campagne aux
municipales de 2001 et a obtenu des résultats médiocres (1 pour cent), une
bonne partie de son électorat, séduit par l’offensive anti-immigrés et du tout sécuritaire
de Sarkozy, ayant rejoint le camp du président. Le seul candidat FN qui
pourrait avoir une chance d’être élu, est la fille de Le Pen, Marine, qui se
présente dans la ville de Hénin Beaumont au nord de la France. Elle arrive en
deuxième place derrière le candidat PS avec 28 pour cent des voix, score moins élevé
que prévu.
Ce mouvement à gauche est confirmé par le fait que le Parti
communiste (PC) a conservé certains de ses bastions dès le premier tour et
semble être en mesure d’en conserver au second tour, et même de reprendre le
contrôle de villes qu’il avait perdues. De même, certaines listes de la Ligue
communiste révolutionnaire d’« extrême-gauche » (LCR) ont passé le
seuil des 5 pour cent, ce qui leur permet de se joindre aux listes PS et PC et
de négocier avec eux des sièges dans les conseils municipaux en échange de leur
soutien au second tour.
A Amiens et Marseille, la LCR a obtenu 6,5 et plus de 5 pour
cent respectivement et pourrait faire pencher la balance dans la course pour
éliminer la droite si elle rejoignait les listes de la gauche traditionnelle.
Il est quasiment certain que la LCR procèdera ainsi. A Amiens, où le PC ne
s’est pas présenté seul, mais l’a fait sur une liste commune avec le PS, les
voix combinées des listes séparées de Lutte ouvrière (LO) et de la LCR
représentent près de 10 pour cent du scrutin, et sont donc suffisantes pour
sceller le destin du maire droitier Gilles de Robien, si elles rejoignent la
liste PS - PC.
Le Parti socialiste et l’UMP sont tous deux en pourparlers
avec le parti de centre droit de François Bayrou sur la question d’alliances
électorales pour le second tour. Bayrou est un allié traditionnel de la droite.
Ségolène Royal, candidate PS à la présidentielle de 2007 est le plus ardent
partisan d’une alliance à long terme avec le MoDem. D’autres dirigeants du PS
sont plus circonspects, peu enclins à rompre complètement l’alliance vieille de
quarante ans avec ce qui reste du PC.
Le cadre étroit et très local du débat politique à travers
tout le spectre politique, et notamment parmi les partis de la gauche
officielle, PS et PC, a fait que les questions de fond soulevées par le
gouvernement Sarkozy, et qui affectent le niveau de vie et les droits sociaux
et démocratiques des travailleurs de chaque commune, ont été largement ignorées.
Il est vrai que les résultats des élections sont affectés par
la situation locale, les relations politiques et les ambitions ; un
élément non négligeable aussi est la rémunération, tant officielle
qu’officieuse, du mandat municipal. Le maire d’une commune comptant 500
habitants perçoit une rémunération officielle de 612 euros par mois ; cette
rémunération atteint 2 343 euros par mois pour les municipalités de
10 000 à 19 999 habitants et pour celles de 100 000 habitants et
plus, elle atteint 5 227 euros par mois ; à cela s’ajoute le droit
d’occuper d’autres emplois rémunérés. Les maires accordent aussi, entre autres,
les permis de construire et les autorisations aux entreprises, ce qui entraîne
toutes sortes de carottes et de faveurs spéciales de la part des entreprises et
des huiles locales.
Mais ce n’est pas ce qui explique l’étroitesse du débat. Le
résultat est la conséquence du rôle du principal parti de l’opposition, le PS.
Il est fondamentalement d’accord avec les priorités du programme de Sarkozy de
rendre les grandes entreprises françaises compétitives dans l’économie
mondialisée en démantelant l’Etat providence et en transférant vers les riches
l’argent qui devrait revenir à la classe ouvrière. Le PS partage aussi la
conception qu’il est nécessaire d’imposer des mesures autoritaires et très
sécuritaires, un élément clé de la campagne et du programme présidentiels
récents du PS. Ces priorités se sont imposées avec urgence à la classe
dirigeante française du fait des chiffres catastrophiques de la balance commerciale,
du déficit budgétaire et de la dette nationale importants, dans un contexte de
ralentissement inexorable de l’économie mondiale provoqué par les effets de la
crise bancaire des subprimes et l’augmentation des prix de
l’alimentaire et des carburants.
Ces questions, ainsi que la collaboration de Sarkozy avec les
guerres de type colonial en cours ou en préparation en Asie centrale (Irak,
Afghanistan, Iran) et au Moyen-Orient (Liban, Gaza et Cisjordanie) en alliance
avec l’impérialisme américain, n’ont pas été soulevées, ou alors très peu, par
les partis de l’opposition dans un pays qui compte une importante minorité
arabe et musulmane.
Malgré les prétentions de la LCR et de LO de représenter la
position d’une gauche radicale, ils représentent en fait une couverture de
gauche au PS et au PC et entravent le développement d’un programme socialiste
révolutionnaire exprimant les intérêts de la classe ouvrière. C’est ce qui a
contribué à limiter la défaite de l’UMP.
Les partis d’« extrême-gauche » LO et la LCR avaient
tous deux formé des alliances avec le PS et le PC au premier tour et ont dit
qu’elles leur apporteraient leur soutien au second tour pour battre la droite
et négocier des sièges dans les conseils municipaux en faisant liste commune.
Le règlement électoral autorise à la liste d’un parti ayant obtenu 5 pour cent
des voix au premier tour d’entrer dans de telles alliances au second tour,
lequel se tiendra dimanche prochain 16 mars. Une position excessivement
critique pourrait compromettre de tels marchésélectoraux.
LO a présenté 186 listes dans 166 villes (certaines grandes
villes ont des mairies de secteur.) Un éditorial du journal du parti
explique : « Dans le tiers environ de ces villes, nos candidats
figurent sur des listes unitaires avec des candidats du Parti communiste, du
Parti socialiste ou d'autres partis de gauche. Là où de telles listes unitaires
n'ont pas pu se constituer, Lutte ouvrière présente ses propres listes. »
LO justifie sa collaboration avec le PS au motif que les
élections « permettent de désavouer Sarkozy et le pouvoir de droite…Dans
l’immédiat, il faut montrer à la droite que les classes populaires en ont assez
d’elle et de sa politique. »
La LCR a présenté quelque 200 listes avec des groupes ou des
personnes ayant divers programmes de gauche ou d’« extrême-gauche »,
ceci participant de son projet de lancer un « parti anticapitaliste
indépendant du Parti socialiste » d’ici la fin 2008. Certaines de ses
listes étaient cependant en alliance avec les organisations locales du PS et du
PC.
Le 6 mars, Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR a publié
un appel au vote intitulé « Votons debout ! » Il n’appelle pas
la classe ouvrière à rompre avec la collaboration de classe du PS, mais se
contente de présenter un défi creux sans aucune perspective : « Il
faut que le ras-le-bol se fasse entendre. Mais pour qu’il se fasse entendre
avec la plus grande clarté, il faut qu’il soit porté par une gauche qui ne
lâche rien. Le 9 mars, regardez Sarkozy et le Medef droit dans les yeux, votez
comme luttent des millions de jeunes et de travailleurs. Votez debout ! »
Besancenot critique le PS pour être « d’accord sur le fond des mesures
gouvernementales » et promet de rejeter toute collaboration avec le PS.
Néanmoins en ce moment précis, la LCR est engagée dans des négociations pour
des listes communes avec le PS et le PC au second tour.
Le rejet de Sarkozy par de larges sections d’ouvriers et de
cols blancs dépasse l’échec de son gouvernement à apporter une solution à
l’appauvrissement crée par l’inflation et les salaires, retraites et
prestations sociales peu élevés et le démantèlement de l’Etat providence. C’est
aussi une réaction à ses attaques autoritaires sur les droits civiques et les
libertés individuelles telles que la détention sans condamnationd’immigrés
et la détention préventive de prisonniers sur le point d’être libérés. Les
écarts toujours plus manifestes de Sarkozy par rapport à la tradition laïque de
la République française et ses ouvertures aux valeurs religieuses, ainsi que
son soutien récent aux catholiques intégristes, éveillent l’hostilité de larges
sections de la population française.
Sarkozy a clairement dit que quel que soit le résultat des
élections municipales, il poursuivrait sa politique. Comme celle-ci empiète sur
les droits et le niveau de vie de la masse de la population et que la
résistance contre le gouvernement s’accroît, il est plus que probable que
Sarkozy aura recours de plus en plus aux mesures qui ont consolidé son emprise
sur les éléments les plus réactionnaires de la société et de l’Etat français.
Eric Zemour, journaliste chevronné du quotidien conservateur Le
Figaro déclarait dans un long article publié le 7 mars : « Le
président prépare sa contre-offensive. On peut déjà deviner qu'elle se jouera
sur les terres régaliennes de l'ordre, de la sécurité et de l'immigration. La
vaste opération policière très médiatisée de Villiers-le-Bel contre ceux qui
avaient tiré sur les policiers lors des émeutes de l'automne dernier, en donne
un avant-goût. »
Comme le WSWS l’avait fait remarquer à l’époque, il s’agit là
d’un sérieux avertissement aux travailleurs français que la classe dirigeante
s’oriente vers une perspective de régime autoritaire.