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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Un échange de correspondance sur les élections de Hesse en Allemagne

Par Ulrich Rippert
7 mars 2008

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Le WSWS a reçu la lettre suivante d’un lecteur en réponse à l’article « Les élections régionales allemandes reflètent une forte orientation à gauche de l’électorat » http://www.wsws.org/francais/News/2008/fev08/elec-f04_prn.shtml

A mon avis, et pour m’exprimer poliment, Ulrich Rippert fait une évaluation risquée des résultats électoraux. Il parle d’une forte orientation à gauche. Et, après ce titre douteux, il traite des résultats obtenus par le Parti La Gauche. Ce faisant, Rippert donne l’impression de qualifier le vote en faveur de cet épanchement de déclin culturel comme un vote à gauche. Il faut espérer que ce n’est pas le cas.

Le fait que ce parti ait été élu [La Gauche en obtenant tout juste 5 pour cent des votes a réussi à atteindre le seuil minimal de voix requis pour être représenté dans le parlement régional, ndlr] témoigne de la naïveté de la population qui se base encore sur l’idéalisme du réformisme social d’après-guerre, le maintien des conditions capitalistes existantes et le dégoût d’un socialisme de caserne.

Le résultat de Hesse est un résultat anti-Koch et qui montre à quel point la compréhension politique des gens est en ce moment superficielle et surtout guidée par le hasard. Comme Rippert l’écrit lui-même, ce sont les mieux lotis qui se sont tournés vers le Parti social-démocrate allemand (SPD). Comment peut-on qualifier cela de virage à gauche ?

Cela aurait été un virage à gauche si le Partei für Soziale Gleichheit (Parti de l’égalité sociale, PSG) avait obtenu davantage de voix. Toutefois, Rippert ignore ce fait. Est-ce normal que le PSG, non seulement n’ait pas réussi à obtenir plus de voix, mais en ait même perdu environ 250 ? Une analyse de l’élection devrait partir de là et non du virage à gauche en faveur du Parti socialiste unifié d’Allemagne (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands, SED) [parti d’Etat stalinien de la RDA et précurseur du Parti du socialisme démocratique (PDS) ndlr], ou du SPD.

Depuis 1998 au moins, et suite aux coupes massives dans le social, imposées par la coalition sociale-démocrate/Parti vert, les conditions sont telles en Allemagne qu’un parti comme le PSG devrait de plus en plus se sentir comme un poisson dans l’eau. Et ce après dix longues années.

Est-ce que le fait que le PSG n’a pas encore été en mesure de décoller est dû à l’immaturité de la classe ouvrière ? Il faudrait autant que possible éviter d’expliquer ainsi les choses. Nous les avons suffisamment entendues en RDA. [ex Allemagne de l’Est stalinienne.]

Si je peux me permettre d’avancer ma propre évaluation de l’élection : le PSG n’a jusqu’ici pas été en mesure de même éveiller la moindre curiosité pour le marxisme et le socialisme dans les couches de la population, sans parler de culture marxiste.

Voilà qui devrait faire réfléchir toute personne honnête, ayant le sens des responsabilités et qui sait que l’histoire n’accorde pas aux marxistes une durée illimitée. Des virages d’un autre ordre pourraient succéder à ce virage à gauche si l’on considère la conscience actuelle des gens et le fonctionnement du mécanisme politique officiel.

Sincères salutations

SR

* * *

Chère SR,

Dans votre lettre adressée au comité de rédaction, vous rejetez notre évaluation de l’élection régionale de Hesse du 27 janvier selon laquelle elle représente une orientation à gauche marquée de la population. Au lieu de cela, vous estimez que les votes pour La Gauche sont le résultat de la « naïveté de la population » qui « se base encore sur l’idéalisme du réformisme social d’après-guerre » et les « conditions capitalistes existantes ». Vous dites qu’on ne peut vraiment parler de virage à gauche que si le PSG est en mesure, du moins en partie, de convaincre les couches de la population de la nécessité du socialisme et d’accroître sa part du scrutin. Vous affirmez que le PSG n’a jusque-là pas été capable de le faire.

Votre point de vue est la preuve d’un grand manque de compréhension des profonds changements sociaux et politiques que la société connaît actuellement. Ceci conduit inévitablement à des conclusions politiques pessimistes et démoralisantes. Si l’on suit votre argumentation, un virage à gauche de la classe ouvrière ne peut se concevoir que comme étant la conséquence d’efforts subjectifs entrepris par notre parti. Vous nous octroyez de ce fait une tâche herculéenne et qui, du fait de votre propre évaluation pessimiste du niveau de conscience de la classe ouvrière, est impossible à réaliser. Vous vous gardez toutefois bien de dire ce que nous devrions changer quant à notre politique. Mais il n’est pas difficile de constater que vos critiques remettent en cause l’ensemble de notre perspective politique.

Nos différences d’opinions ne se limitent donc pas à l’évaluation du résultat de l’élection de Hesse. Elles sont également liées aux points de vue théoriques et politiques qui vous rendent totalement aveugle aux changements qui ont lieu présentement dans la lutte de classes.

En tant que marxistes, nous concevons la lutte de classes comme un processus objectif. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, c’est l’inverse, leur être social détermine leur conscience et non pas la propagande de notre parti. Notre tâche est de lutter au sein de la classe ouvrière pour une compréhension des changements politiques internationaux, une compréhension de la propre position de la classe ouvrière dans la société de façon à ce qu’elle puisse maîtriser les tâches qui en découlent.

Ce sont ces priorités qui étaient au cœur de notre campagne électorale en Hesse. Notre programme électoral avait analysé les conséquences de la crise du système financier mondial, le déclin de l’impérialisme américain, l’accroissement des guerres et des conflits internationaux et démontré l’impossibilité d’un retour à une politique basée sur le compromis social. Nous avons mis en avant un programme socialiste international qui permette à la classe ouvrière de s’impliquer dans la vie politique comme une force indépendante.

La campagne électorale a été une grande réussite. Nous avons pu familiariser des milliers de travailleurs et de jeunes avec notre programme et les préparer ainsi pour les luttes à venir. Nous avons mené une campagne en confrontant systématiquement La Gauche qui est déterminée à détourner la radicalisation montante de la population dans une direction qui ne représente aucun danger pour l’ordre établi. Nous avons saisi toutes les occasions pour intervenir dans les réunions de La Gauche et révéler la contradiction entre le contenu droitier de leur politique pratiquée à Berlin et les clichés de gauche contenus dans leur programme électoral. Les positions de gauche de la direction du parti La Gauche sitôt confrontées à ces questions s’effondraient tel un château de cartes. Ceci a été très instructif, non seulement pour les électeurs de Hesse mais aussi pour les lecteurs du WSWS dans d’autres pays où La Gauche est présentée comme une sorte de modèle politique à succès.

A cet égard, le nombre de voix obtenues par les candidats du PSG est secondaire. Le fait que notre score est resté faible n’a rien de surprenant. Face à la forte polarisation qui a accompagné cette élection, de nombreux électeurs ont cherché un moyen de se débarrasser de Koch en votant pour La Gauche ou le SPD, tout en montrant de la sympathie pour notre programme. En tant que parti marxiste, notre travail ne s’oriente pas sur un accroissement progressif de notre influence au sein du système parlementaire, mais vise plutôt à préparer la classe ouvrière pour les changements rapides et précipités qui surviennent dans les évolutions politiques et qui souvent prennent des formes très inattendues.

Votre lettre témoigne d’un manque de compréhension de ces questions. Elle sous-estime l’acuité de la situation politique et se caractérise par un haut degré de suffisance et d’arrogance vis-à-vis de la classe ouvrière.

Les conditions de vie de millions de travailleurs et de leurs familles se sont dramatiquement détériorées au cours de ces dernières années. Durant des mois, les médias sont dominés par des articles sur la paupérisation croissante des couches inférieures de la société tandis qu’une minorité s’est considérablement enrichie. A ceci s’ajoutent des nouveaux reportages de plus en plus alarmants sur les conséquences de la crise financière internationale et de l’expansion des déploiements militaires de l’armée allemande. Tout ceci a laissé des traces profondes dans la conscience des masses et a été confirmé non seulement par le déclin de la social-démocratie qui est complètement discréditée au sein de la population et qui a perdu des électeurs et des adhérents en masse, mais aussi par le vaste soutien populaire dont a bénéficié la grève des conducteurs de train allemands l’année dernière de même que par la radicalisation qui se fait jour dans les négociations collectives en cours.

L’émergence du Parti La Gauche et son récent succès électoral doivent être compris dans ce contexte. La Gauche n’est pas une quelconque expression déformée de la radicalisation de la classe ouvrière, mais bien plutôt une tentative délibérée d’une partie de la bureaucratie à l’intérieur du SPD, du PDS [Parti du socialisme démocratique, partie intégrante à présent de La Gauche] et des syndicats d’étouffer une telle radicalisation. Le dirigeant de La Gauche, Oskar Lafontaine qui, il y a neuf ans, s’était démis de ses mandats pour laisser le champ libre à Schröder, a à présent réintégré la vie politique dans le but d’empêcher que le mécontentement croissant de la population ne se développe en un mouvement de classe indépendant.

Afin de remplir cette tâche, La Gauche est obligée d’adopter une position de gauche et anti-capitaliste. C’est pourquoi votre affirmation selon laquelle le vote pour La Gauche signifie que la population se base sur des conditions capitalistes existantes est fausse. Ceux qui cherchent consciemment à préserver ces conditions ont voté pour le SPD ou pour l’Union chrétienne-démocrate (CDU) qui les défendent ouvertement. Le fait de voter pour La Gauche par contre a été considéré par beaucoup de gens comme le moyen de donner une leçon au SPD et d’exprimer leur rejet de la politique droitière et anti-sociale qu’incarnent l’Agenda 2010 et lois Hartz IV.

Il n’est certainement pas dans notre intention de minimiser les illusions qui sont liées aux votes en faveur de La Gauche, mais leurs racines ne sont pas bien profondes. La situation était différente durant la radicalisation politique des années 1970 quand des dizaines de milliers de personnes avaient adhéré au SPD et avaient activement participé à la campagne électorale du dirigeant du SPD, Willy Brandt. Aujourd’hui, La Gauche est loin d’enregistrer ce genre de croissance. Le soutien accordé à cette organisation se limite en général aux urnes. La participation aux réunions électorales de La Gauche était faible en général. Ces réunions ressemblaient plus à des réunions de retraités se connaissant de longue date en raison de leur travail commun au sein du SPD et des syndicats. Sans les efforts menés par des groupes radicaux petits-bourgeois tels « Linksruck » et « Voran » l’on ne trouverait pas de visages jeunes dans les rangs de La Gauche.

La Gauche a pu en grande partie profiter de l’absence d’opposition de gauche. Le fait d’avoir pu apporter un changement à cette situation en défiant ouvertement et à maintes reprises La Gauche fut le succès de notre propre campagne électorale.

La perte substantielle de soutien du CDU en Hesse et de son « Spitzenkandidat » (candidat en première position) Roland Koch montre clairement qu’un virage a eu lieu au sein de la population. Il y a neuf ans, Koch avait été en mesure de gagner l’élection régionale grâce à une campagne xénophobe visant l’acquisition de la double nationalité. Cette fois-ci, ses efforts en vue d’exploiter une campagne de haine semblable contre les jeunes immigrés, se sont retournés contre lui. Elle a suscité une vague d’indignation et le soutien pour Koch s’est évaporé en un rien de temps.

L’élite dirigeante — contrairement à vous — a très bien compris la signification de ce résultat. La terrible défaite de Koch a déclenché un choc. Entre-temps, de violentes luttes factionnelles se sont développées au sein des partis conservateurs et du SPD pour savoir comment réagir au mieux au virage à gauche de la population. Il ne se passe une journée sans qu’un politicien quelconque de l’Union chrétienne-sociale (CSU), du CDU, du SPD ou du Parti libéral-démocrate (FDP) n’appelle soit à faire quelques concessions sociales mineures soit au contraire à adopter une attitude plus dure. En termes de contenu politique, les différences sont minimes. La seule et unique question est de savoir comment maîtriser l’opposition sociale.

Une partie de la presse, y compris le Frankfurter Rundschau, le Süddeutsche Zeitung et le Die Zeit, appellent ouvertement à ce que le Parti de La Gauche soit inclus dans le gouvernement pour empêcher que les conflits sociaux ne dégénèrent en un mouvement extra-parlementaire à l’encontre du système capitaliste. Sous le titre « Osons la gauche ! », le journal Die Zeit a réclamé que le SPD « cesse finalement de diaboliser La Gauche à l’ouest » tandis que le Süddeutsche Zeitung a posé la question « Qui a peur de l’homme rouge ? » pour ensuite citer l’expert politique, Josef Esser : « Ce sont tous des gens respectables et engagés… ils pourraient tout aussi bien être membre du SPD. »

Juste un dernier point. A plusieurs reprises vous parlez de la « naïveté de la population, » et « à quel point la compréhension politique des gens est en ce moment superficielle et surtout guidée par le hasard, » et du danger que « des virages d’un autre ordre pourraient » également avoir lieu si l’on considère « la conscience actuelle des gens. » Autrement dit : en raison de la naïveté et du fait de pouvoir façonner les masses, il suffit qu’un démagogue de droite arrive pour que les masses le suivent.

De tels arguments remontent loin dans le temps. Les experts en théorie de l’Ecole de Francfort ont tiré des conclusions extrêmement pessimistes des tragédies du 20e siècle. Pour ces gens-là, la victoire des nazis il y a 75 ans et la terreur qui s’ensuivit, y compris l’Holocauste, étaient la preuve de l’incapacité de la classe ouvrière d’empêcher une rechute dans la barbarie et la construction d’une société socialiste. Les experts en théorie de la République démocratique allemande (RDA) avaient eux aussi avancé des points de vue identiques pour justifier leur droit de dicter leur conduite à la classe ouvrière tout en étouffant dans l’œuf le moindre mouvement indépendant des travailleurs. Les experts de l’Ecole de Francfort, comme la bureaucratie de la RDA, ont nié la responsabilité du stalinisme et de la social-démocratie (SPD), qui tous deux ont capitulé devant Hitler et ce en dépit du fait que de vastes sections de la classe ouvrière soutenaient ces deux partis.

Notre parti, la Quatrième Internationale, est la preuve vivante qu’il y avait une alternative au stalinisme. La destruction physique des trotskystes et la décapitation politique de la classe ouvrière par la bureaucratie stalinienne qui y est liée, avait été un facteur majeur de la victoire des fascistes. Du fait des changements rapides survenus dans la situation politique et de la radicalisation grandissante des travailleurs et des jeunes, ces questions historiques prennent une importance toute particulière. Notre intervention politique dans la campagne électorale de Hesse a représenté un pas important dans le renforcement de l’influence du PSG dans les luttes à venir.

Avec mes salutations socialistes

Ulrich Rippert

(Article original paru le 8 février 2008)


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