Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) a
tenu une réunion à Paris le 16 mars pour commémorer le vingtième anniversaire
de la mort, à l’âge de 39 ans, du dirigeant trotskyste sri lankais Keerthi
Balasuriya.
Ont pris la parole lors de cette réunion Chris Marsden du
Parti de l’égalité socialiste (PES) britannique, Amuthan, rédacteur en
chef de la page tamoule du World Socialist Web Site et Peter Schwarz,
secrétaire du CIQI et dirigeant du PES allemand.
Athyan, un dirigeant du CIQI de la communauté tamoule de
Paris, qui présidait la réunion a dit que la lutte de Keerthi est une source
d’inspiration pour les plus jeunes générations dans le monde entier et a
donné pour exemple le jeune cadre trotskyste tamoul, Raveenthiranathan Senthil Ravee,
qui est mort tragiquement l’année dernière dans un accident de voiture à
l’âge de 32 ans.
Marsden a exposé en détail le rôle des trotskystes du Parti bolchevique
léninistede l’Inde, qui se basant sur la théorie de la révolution
permanente développée par Trotsky avait conduit la lutte, dans les années 40,
pour l’émancipation du Sri Lanka (qui s’appelait alors le Ceylan)
du colonialisme britannique. Sa section du Ceylan, le Parti Lanka Sama Samaja
(LSSP) s’était battu pour que cette lutte soit menée par la classe
ouvrière par-delà les divisions ethniques et religieuses, avec la perspective
de renverser toute forme d’oppression et de construire le socialisme.
Leur lutte contre la constitution raciste, imposée par l’impérialisme
britannique, qui privait la minorité tamoule de sa citoyenneté et de la
reconnaissance officielle de sa langue, leur fit prendre la tête de luttes de
masse, notamment de la grève générale (hartal) de 1953.
« La tragédie, a dit Marsden, c’est que ceci
allait s’avérer être le point culminant de la lutte politique, basée sur
des principes, du LSSP. » Par la suite le parti s’adapta au cadre
parlementaire, au nationalisme et au communautarisme, un processus lié au
développement de tendances centristes et révisionnistes au sein de la Quatrième
Internationale, conduites par Michel Pablo et Ernest Mandel.
Marsden a rappelé la série de trahisons de la direction du
LSSP, trahisons responsables de la séparation des travailleurs et paysans
tamouls de la majorité cingalaise de la population et la descente dans les 25
années de guerre civile continue qui débuta par les pogroms de 1983.
« Ce n’est qu’à la lumière de ce
développement que l’on peut réellement apprécier la signification de Keerthi
Balasuriya et d’autres qui restèrent fidèles au trotskysme », a dit Marsden.
« Ils étaient peu nombreux, mais la position qu’ils adoptèrent fut
d’une importance inestimable et d’une portée historique
mondiale… Sans leur prise de position politique, la réputation du
socialisme et du trotskysme aurait par la suite et à jamais été victime du
poids de la trahison politique du LSSP. »
« Sur tous les fronts, Keerthi chercha à défendre
l’indépendance politique et les intérêts historiques de la classe
ouvrière », a expliqué Marsden. « Quand la crise politique au sein de
la section britannique d’alors du CIQI, le Workers Revolutionary Party,
éclata en 1985, il joua un rôle crucial dans la lutte conduite par le Comité
international pour restaurer et renouveler la perspective du trotskysme. »
Avant sa mort tragique par infarctus en décembre 1987, Keerthi
était engagé dans un travail programmatique intensif cherchant à comprendre les
implications politiques du développement sans précédent de la production
mondialisée dans la perspective de la révolution socialiste et sur cette base,
« pour faire le bilan de l’expérience historique de la classe
ouvrière avec les mouvements nationalistes bourgeois et les Etats dits
indépendants crées sous les auspices de la bourgeoisie nationale. »
« Par ces discussions, le CIQI est arrivé à la conclusion
que les mouvements séparatistes et communautaristes de l’époque actuelle
représentent une réponse de la part de la bourgeoisie régionale, basée sur
l’ethnie, pour se libérer des Etats centralisés existants, mais
uniquement pour se garantir son propre droit à l’exploitation de la
classe ouvrière et des ressources naturelles essentielles et ainsi avoir ses
propres relations avec les puissances majeures et les entreprises
transnationales.
« De tels mouvements n’ont pas de contenu
authentiquement démocratique ou anti-impérialiste. Ils sont l’antithèse
de la lutte de la classe ouvrière pour s’unifier internationalement et
mettre fin à la division du monde en Etats-nations capitalistes antagonistes.
C’est uniquement sur cette base que l’on peut mettre fin à
l’oppression impérialiste. »
Ainsi, a conclu Marsden, la vie et l’oeuvre de Keerthi font
à présent « partie intégrante du corpus socialiste révolutionnaire,
c'est-à-dire le programme et la perspective essentiels historiquement
développés pour libérer l’humanité du joug de l’oppression de
classe. »
Amuthan a parlé de l’époque où, en tant que réfugié des
pogroms anti-tamouls et fortement influencé par les concepts de libération
nationale, mais sans illusion dans les partis nationalistes bourgeois, il avait
rencontré Keerthi pour la première fois lors d’une université d’été
internationale du CIQI en Allemagne. « J’étais nouvellement entré au
parti. Le tout premier jour, Keerthi était venu vers moi au moment du
déjeuner… Notre discussion avait porté sur la situation politique au Sri
Lanka et en Inde et le caractère des groupes nationaux. Les deux pays avaient
accepté de signer l’Accord indo-sri lankais en 1987 qui avait eu un
énorme impact politique sur le sous-continent indien. Le caractère
réactionnaire de la bourgeoisie nationale des pays sous-développés apparut
clairement une fois de plus. »
Amuthan a rappelé qu’à cette époque le CIQI n’était
pas très connu parmi les Tamouls. « Maintenant, 20 ans plus tard, nous
avons établi une autorité politique solide pour une perspective socialiste
internationale parmi la communauté tamoule européenne. »
Tous les groupes nationalistes tamouls, certains se réclamant
du socialisme, étaient d’accord avec la signature de l’Accord indo-sri
lankais: « Cela eut pour conséquence une confusion politique énorme parmi
la population tamoule d’Europe. Des sections de jeunes qui étaient contre
ce pacte quittèrent ces mouvements. Mais il n’existait pas de perspective
politique alternative. »
Keerthi « expliqua le caractère de classes de ces
mouvements et leur relation à la classe ouvrière, » a dit Amuthan. « Il
fit remarquer que leur capitulation devant le gouvernement indien était la
conséquence logique de leur perspective capitaliste. Ils comptaient plus sur
l’aide de la bourgeoisie indienne que des masses tamoules. Leur
perspective se borne à obtenir le droit exclusif d’exploiter les
travailleurs et les masses. C’est le contraire même d’une lutte
authentique pour les droits démocratiques. »
« Il insistait pour dire qu’on ne pouvait
atteindre la réalisation des droits démocratiques que par une révolution
socialiste et expliquait les perspectives de la section sri lankaise du
CIQI. »
Amuthan a dit à l’auditoire rassemblé que Keerthi, un
mois avant sa mort, avait « travaillé en étroite collaboration avec ses camarades
internationaux sur la déclaration du Comité international sur l’Accord indo-sri
lankais ». La version tamoule de « La situation au Sri Lanka et les
tâches politiques de la RCL » (Revolutionary Communist League,
prédécesseur de l’actuelle section sri lankaise du CIQI, le Socialist Equality
Party) fut l’un des documents les plus débattus parmi les jeunes les plus
politiquement conscients de la fin des années 1980. En Europe, les sections du
Comité international gagnèrent un nombre important d’adhérents et de
sympathisants tamouls.
La nature des Tigres de libération de l’Eelam tamoul
(LTTE), groupe nationaliste bourgeois menant une lutte armée pour un Etat
séparé dans le nord tamoul de l’île, est apparu sous son vrai jour :
« La transformation du LTTE de "combattants pour la liberté"
comme ils le revendiquaient, en une élite privilégiée est apparue avec clarté
lors de la signature de l’accord de cessez-le-feu de 2002. Le
développement des affaires et les projets d’investissements sont devenus
le programme politique de ses représentants et intermédiaires, ce qui a eu pour
conséquence que la communauté en exil lui a retiré son soutien. »
Amuthan a dit que le nationalisme tamoul perdait rapidement du
terrain dans les pays occidentaux. « La guerre en Irak, le chômage, les
inégalités sociales et la lutte des étudiants et des travailleurs dans les pays
où ils vivent ont eu un impact sur leur réflexion politique. Ils ne considèrent
plus que la solution aux aspirations démocratiques des masses tamoules puisse
se réaliser par la conception étroite de créer un minuscule Etat capitaliste
dans les régions tamoules. »
Peter Schwarz a ensuite pris la parole, « Keerthi a
accompli son travail politique à une époque où les trahisons combinées de la social-démocratie,
du stalinisme et du pablisme pesaient lourd sur la classe ouvrière et les
cadres trotskystes du Comité international restaient relativement isolés.
« Mais il était convaincu que les contradictions
inhérentes au capitalisme mondial provoqueraientune nouvelle période
révolutionnaire de luttes de masse et que la destinée de ces luttes dépendrait
entièrement de l’existence ou non d’une direction révolutionnaire,
formée et blindée dans les leçons de la lutte contre le pablisme. »
« Les deux années séparant la scission du WRP et la mort
prématurée de Keerthi le 18 décembre 1987 furent sans aucun doute les plus
fructueuses de sa vie politique. Il fit une contribution substantielle aux
centaines de pages de documents produits par le Comité international pendant et
après la scission…Ces documents ont posé les fondations de
l’immense travail théorique, politique et organisationnel accompli par le
Comité international durant les deux dernières décennies, notamment en ce qui
concerne le développement du World Socialist Web Site comme voix
authentique du marxisme international.
La crise insoluble du système financier mondial déclenchée par
le resserrement du crédit des subprimes, la débâcle de
l’impérialisme américain en Irak et la bataille pour l’hégémonie
mondiale entre les grandes puissances « conduiront inévitablement à de
nouvelles guerres et à une reprise des luttes de classes féroces, » a
expliqué Schwarz. « Le camarade Keerthi a passé sa vie entière à préparer
la classe ouvrière à ces luttes inévitables à venir. »
Il a rappelé à l’auditoire que nous célèbrerons bientôt
le 40e anniversaire du soulèvement de mai-juin 1968 en France, « le plus
grand mouvement révolutionnaire de la période d’après-guerre dans les
pays capitalistes avancés… Ici en France, plus de 10 millions de
travailleurs ont fait une grève générale que seule la trahison du Parti
communiste stalinien a permis de maîtriser. »
Cela fait partie d’un mouvement massif qui a balayé le
monde au début des années 1970. La contre offensive de la bourgeoisie a
signifié l’abandon de « la politique économique keynésienne qui
constituait la base du compromis social de la période d’après-guerre.
Elle a levé la réglementation nationale en matière de finance et de commerce et
ouvert les vannes du processus connu sous le nom de mondialisation. Cela
s’est accompagné d’une attaque massive sur la classe ouvrière,
incarnée par la destruction du syndicat des contrôleurs aériens PATCO par le
président américain Ronald Reagan et la défaite de la grève des mineurs
britanniques par le premier ministre britannique Margaret Thatcher. »
La riposte des vieilles organisations réformistes fut
d’abandonner leurs précédentes tentatives d’organiser un compromis
social dans le cadre de l’Etat-nation et d’imposer à la place
« des attaques massives sur la classe ouvrière pour faire en sorte que
leur bourgeoisie nationale conserve sa compétitivité sur le marché
mondial. »
Quant aux régimes staliniens d’Europe de l’Est, à l’Union
soviétique et à la Chine, « la mondialisation a révélé au grand jour la nature
frauduleuse de leur revendication que le socialisme peut se construire dans un
seul pays, dans le cadre d’un seul Etat-nation. »
« La mondialisation et la fin de la Guerre froide ont
révélé la faillite complète des organisations nationalistes petites-bourgeoises, »
a poursuivi Schwarz. Privées de la possibilité de manœuvrer entre Moscou
et Washington, « elles ont abandonné leurs prétentions anti-impérialistes
et rivalisent pour obtenir le soutien de Washington ou de tout autre puissance
impérialiste… Elles cherchent toutes à conclure un marché avec
l’impérialisme, qui leur permette d’être des partenaires
subalternes dans l’exploitation de "leur" propre classe
ouvrière »
Un petit Etat tamoul au nord du Sri Lanka « serait un
outil au service des intrigues de l’impérialisme dans la région. Il ne
peut y avoir de démocratie sur une telle base. »
Schwarz a mis en garde l’auditoire sur le fait que la
politique étrangère agressive des Etats-Unis et l’augmentation des
conflits et de la militarisation des grandes puissances rivales créait une
situation ressemblant à celle qui avait conduit à la Première Guerre mondiale.
« La question à présent est la suivante : L’impérialisme
va-t-il plonger l’humanité dans une nouvelle guerre mondiale nucléaire
probablement fatale, ou bien la classe ouvrière internationale va-t-elle
empêcher cela en renversant le capitalisme et en construisant la société sur des
fondations plus élevées, socialistes ? »
Il a attiré l’attention sur la résurgence de la lutte
des classes dans toute l’Europe: « Mais qui va fournir une
perspective à la classe ouvrière ? Les partis sociaux-démocrates, et les
partis socialiste et communiste qui ne cessent de virer à droite depuis
ces quarante dernières années ? Les syndicats qui trahissent les luttes,
les unes après les autres, et qui agissent auprès des travailleurs comme les
gendarmes de la direction ? Ou bien ceux qui, hier glorifiaient Mao Zedong,
Yasser Arafat et les sandinistes et qui aujourd’hui glorifient Hugo
Chavez et Eva Morales ? Y a-t-il quelqu’un qui pense sérieusement
qu’un militaire comme Chavez qui donne aux masses quelques aides tirées
des immenses revenus pétroliers du Venezuela, peut apporter une solution aux
problèmes auxquels est confrontée la classe ouvrière internationale ?
« Seul le Comité international de la Quatrième
Internationale a une perspective, fermement ancrée sur une analyse de la
situation mondiale et des expériences historiques du 20e
siècle, » a dit Schwarz. « Nous luttons pour la mobilisation
indépendante de la classe ouvrière sous la bannière de
l’internationalisme socialiste. »
« Honorer l’héritage de Keerthi, c’est éduquer
les jeunes générations à l’histoire et aux enseignements tirés des
expériences stratégiques de la classe ouvrière… les leçons et principes
incarnés par le CIQI. »