Le 13 mars dernier, les libéraux, l’opposition officielle
au Parlement canadien, ont fourni au gouvernement minoritaire conservateur les
votes dont il avait besoin pour prolonger jusqu’à la fin de 2011 la mission des
Forces armées canadiennes (FAC) dans la guerre de contre-insurrection des
Etats-Unis et de l’OTAN en Afghanistan.
En votant avec les conservateurs, qui ont à maintes
reprises déclaré que le déploiement de 2500 soldats des FAC au sud de
l’Afghanistan était crucial pour défendre les « intérêts canadiens »
sur la scène mondiale, les libéraux ont répudié leur précédente demande qui
visait la fin de la mission de contre-insurrection des FAC en février 2009,
comme il avait été précédemment convenu.
Les libéraux ont tenté de justifier leur volte-face en
soutenant qu’ils avaient forcé le gouvernement conservateur de Stephen Harper à
acquiescer à leur demande que l’actuelle mission de combat des FAC soit
transformée, dès l’an prochain, en mettant davantage l’accent sur
l’entraînement de l’armée et de la police afghanes et sur la sécurité pour les
projets de reconstruction.
Le texte de la motion conjointe des libéraux et des
conservateurs prolongeant l’intervention des FAC contient bel et bien la
phraséologie de l’amendement que les libéraux avaient proposé le mois dernier.
Par contre, comme l’a admis l’ensemble des médias, la motion demeure en réalité
pratiquement la même que celle qui avait été initialement proposée par le gouvernement
conservateur.
Le chef libéral Stéphane Dion a explicitement déclaré que
« l’entraînement » sera accompagné d’opérations offensives par les
FAC aux côtés des troupes afghanes, et que les libéraux n’ont pas l’intention
de « gérer les affaires » de l’armée — ce qui signifie qu’ils
acceptent la demande de l’état-major de FAC qui si l’armée doit défendre les
projets de reconstruction afghans, elle doit être libre de mettre en oeuvre ses
propres opérations de recherche et destruction.
La seule concession significative que le gouvernement a
faite aux libéraux fut de stipuler que le déploiement des FAC au sud de
l’Afghanistan allait être réduit à partir de juillet 2011 et terminé avant la
fin de la même année. Cependant, rien n’empêcherait un futur gouvernement — des
élections sont prévues pour l’automne 2009 — de revoir la question et ainsi
prolonger ou intensifier le rôle des FAC dans la guerre afghane.
Le ministre de la Défense Peter MacKay jubilait après le
passage de la motion des libéraux et des conservateurs. Cela « envoie un
très fort signal de consensus de notre pays à nos troupes et c’est une preuve
de confiance envers tout ce qu’elles font... Je sais que cela sera bien reçu
par nos alliés de l’OTAN ... » a déclaré MacKay.
Ce fut le gouvernement libéral de Jean Chrétien qui, en
automne 2001, ordonna la plus grande opération militaire du Canada à l’étranger
depuis la guerre de Corée en appui à l’invasion américaine de l’Afghanistan. Et
ce fut le gouvernement libéral de Paul Martin qui autorisa en août 2005 le
déploiement des FAC à Kandahar, le centre de l’insurrection contre le
gouvernement de Hamid Karzaï mis en place par les Etats-Unis.
Mais Dion, le vainqueur-surprise de l’investiture de décembre
2006 qui décidait du successeur de Martin comme chef du Parti libéral, a choisi
tôt en 2007 de faire un appel mesuré au sentiment d’opposition parmi les masses
à la mission des FAC et à la promotion du militarisme par le gouvernement
Harper en appelant au retrait des troupes de Kandahar en février 2009. Comme
Dion s’est donné du mal à expliquer, les libéraux appuient entièrement
l’intervention de l’OTAN sous direction américaine en Afghanistan et le
gouvernement fantoche d’Hamid Karzaï. Les libéraux, a dit Dion, veulent
simplement que les autres pays de l’OTAN prennent leur « part » de
responsabilité dans les combats en Afghanistan — toutes proportions gardées,
les FAC ont subi les plus grandes pertes de soldats des forces de l’OTAN en
service là-bas — et que le Canada se concentre la « reconstruction »
dans laquelle il a une « expertise spéciale ».
Les manœuvres anti-guerre de Dion ont toujours mis mal à
l’aise plusieurs libéraux importants. En octobre dernier, John Manley, un
ancien vice-premier ministre libéral reconnu pour favoriser une politique
étrangère canadienne plus « musclée », a accepté l’offre du premier
ministre Harper pour qu’il dirige un comité « des sages » chargé
d’examiner le rôle futur du Canada en Afghanistan. De manière prévisible, le
comité Manley publia un rapport qui recommandait fortement que la mission des
CAF s’étende au-delà de février 2009. Cela est ensuite devenu l’occasion pour
les médias de la grande entreprise, incluant le libéral Toronto Star, de
monter une campagne de grande envergure pour amener Dion et les libéraux à
conclure une entente bipartite sur l’Afghanistan avec le gouvernement Harper,
qui n’a jamais caché son appui pour que les FAC jouent un rôle de premier plan
dans la guerre de contre-insurrection.
L’appui des libéraux pour leurs adversaires conservateurs
n’est pas restreint à la seule guerre afghane.
Pendant la même semaine qu’ils se sont joints aux conservateurs
pour prolonger la mission des FAC en Afghanistan, les libéraux ont assuré que
le gouvernement survivrait à un vote sur le budget et à une motion de blâme
provenant du Parti néo-démocrate.
Depuis octobre dernier, les libéraux sont régulièrement venus
à la rescousse des conservateurs et ont permis au gouvernement minoritaire de
Harper de survivre aux motions de confiance, soit en s’abstenant ou en votant
avec le gouvernement ainsi qu’en se joignant aux conservateurs pour passer une
série de lois réactionnaires. Cela inclut un projet de loi qui comprend plusieurs
mesures de types « loi et ordre » qui prolongent le système du
« certificat national de sécurité » en vertu duquel le gouvernement
peut emprisonner pour une durée illimitée, sans procès et sans que la personne
détenue ait accès aux preuves qui sont contre elle, tout individu qui n’est pas
citoyen canadien désigné comme étant une menace à la sécurité nationale.
Les libéraux et le budget conservateur
Dion et la majorité de la presse ont déclaré que le récent
budget conservateur était un « non-évènement » et le chef libéral a
maintenu que malgré que son parti s’oppose au budget, celui-ci n’est pas
suffisamment offensant pour justifier de faire tomber le gouvernement et de
forcer une élection « coûteuse ».
En fait, le budget était rempli de mesures réactionnaires en
continuité avec les politiques sociales et fiscales de droite poursuivies par
le gouvernement Harper et les gouvernements libéraux de Chrétien et de Martin
qui l’avaient précédé. Dans les deux dernières décennies, le gouvernement
fédéral a dramatiquement réduit les services sociaux et publics et a
systématiquement redistribué les revenus aux riches et à la grande entreprise
par des diminutions d’impôts.
Les conservateurs ont justifié le fait que le budget évite la
myriade de problèmes sociaux en prétendant que « le placard est
vide », même s’ils ont consacré 10,2 milliards des surplus budgétaires de
2007-2008 au paiement de la dette nationale.
De plus, le budget de 2008 doit être vu dans le contexte du
« mini-budget » de l’automne dernier, qui a mis de l’avant un
programme de diminutions dans les impôts des contribuables et des entreprises
et de réduction de la taxe sur les produits et les services (TPS), une mesure estimée
coûter plus de 60 milliards de dollars pendant les cinq prochaines années.
Alors que le budget de 2008 ne contenait pas d’autres
réductions d’impôts et de taxes pour les individus ou pour les compagnies, il
crée un nouvel abri fiscal qui dans les années et les décennies à venir signifiera
pour les biens nantis des milliards en réduction d’impôt. Les Canadiens
pourront dorénavant mettre au moins 5000 $ par année dans un compte d’épargne
désigné. Les revenus d'intérêts, de dividendes ou de gains en capital provenant
de ce compte seront exempts d'impôt fédéral et pourront être retirés en tout
temps sans pénalité.
Le troisième budget conservateur donne une couverture
légale au gouvernement fédéral pour son détournement systématique des fonds
prévus à l’assurance-chômage des travailleurs. Durant les années 1990, Ottawa a
siphonné des dizaines de milliards de dollars en surplus dans la caisse
d’assurance-chômage (renommée assurance-emploi dans les années 1990) pour ne
pas avoir à augmenter les taxes d’affaires ou les impôts des riches, alors même
qu’il réduisait drastiquement les prestations d’assurance-chômage et
l’accessibilité aux prestations. Le budget 2008 efface la dette gouvernementale
à la caisse d’assurance-chômage et crée une nouvelle agence autonome mandatée
pour gérer la caisse.
Les conservateurs ont également introduit dans le budget
une série de mesures renforçant les pouvoirs du gouvernement sur l’immigration,
incluant le pouvoir de rejeter les candidatures d’immigrants ayant été
préalablement approuvées par le ministère canadien de l’Immigration.
Dernier point, mais non le moindre, le budget accroît les
dépenses militaires d’un autre 1,5 milliard de dollars. Durant la campagne
électorale de 2006, Harper annonçait qu’il voulait augmenter la présence et le
réarmement des FAC commencés sous les libéraux. En 2003, le budget annuel des
FAC était de moins de $12 milliards; il s’élève maintenant à plus de $18
milliards.
La presse capitaliste a invariablement attribué l’appui
sans précédent des libéraux au gouvernement conservateur à la crainte d’une
élection hâtive sous la direction de Stéphane Dion, un chef soi-disant sans
charisme et « faible ».
Le Parti libéral, le parti que la bourgeoisie canadienne a
préféré voir au pouvoir durant le 20e siècle, est certainement en crise. Mais
les racines de cette crise se trouvent dans le fort appui provenant des plus
puissantes sections de la grande entreprise, et même de plusieurs au sein du Parti
libéral, pour le programme réactionnaire et militariste du gouvernement
conservateur de Harper et de l’érosion de la base des libéraux en raison de
leur virage à droite lors de leurs derniers mandats au pouvoir.
Dion était un ministre en vue du gouvernement libéral de
Chrétien- Martin et à ce titre était le principal architecte de la nouvelle
ligne dure contre le séparatisme québécois, qui incluait la menace de la
possibilité de la partition du Québec advenant son indépendance.
Néanmoins, Dion a été attaqué par des membres de son propre
parti pour avoir tenté de distinguer les libéraux des conservateurs en donnant
à son parti un vernis « progressiste » en concluant une entente avec
la dirigeante du Parti vert, Elizabeth May.
Dion a répondu en attaquant les conservateurs de Harper,
les critiquant pour ne pas avoir fait plus de concessions à la grande entreprise
sur la question des taxes et pour ne pas savoir apprécier les occasions de
profits offertes au Capital canadien s’il voulait jouer un rôle dirigeant en
développant la soi-disant « technologie verte ».