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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

France : la crise politique déstabilise Sarkozy

Par Alex Lantier
20 mars 2008

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Neuf mois à peine après son élection pour un mandat de cinq ans, le président Nicolas Sarkozy se heurte à une opposition importante qui menace de se développer en une crise de grande envergure. Dans les sondages, son taux de popularité s’effondre au milieu du discrédit de ses promesses de campagne et du ressentiment croissant d la population à l’égard de sa politique et de son style personnel ostentatoire. Les politiciens bourgeois et les médias critiquent de plus en plus son comportement et remettent en question son aptitude à gouverner.

L’attirance populaire que Sarkozy a suscitée au début, et qui était largement une attirance par défaut, du fait de la décrépitude et du conservatisme du Parti socialiste et de la gauche officielle, a volé en éclats. Il n’a bien sûr pas été en mesure de tenir sa promesse d’augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs en relançant l’économie française à l’aide de mesures pro-patronales ; la situation économique mondiale l’explique. Ses appels, ouvertement antidémocratiques, à la religion ou au tout sécuritaire provoquent une hostilité grandissante.

D’après un sondage CSA publié le 29 février, le taux de popularité de Sarkozy est à 33 pour cent, avec 61 pour cent de la population qui le désapprouvent dans l’exercice de sa fonction ; 56 pour cent des sondés ont déclaré que Sarkozy « incarne mal la fonction présidentielle ». Pour 65 pour cent des personnes sondées, Sarkozy « ne fait pas ce qu'il faut pour unifier la France ». 

Autre élément témoignant de la crise politique en France, 75 pour cent des sondés pensent que le Parti socialiste, principal parti d’opposition en France, ne ferait pas mieux que Sarkozy s’il était au pouvoir.

Sarkozy avait été élu sur la base d’une promesse faite à la bourgeoisie française de prendre des mesures décisives concernant la protection sociale dont jouissent les travailleurs français. Mais il ne l’avait pas ainsi présenté aux masses, il avait brandi le slogan : « Travailler plus pour gagner plus. » Mais les travailleurs ont aujourd’hui fait l’amère expérience que les promesses de Sarkozy d’augmenter le pouvoir d’achat et l’emploi étaient en grande partie de la poudre aux yeux et un miroir aux alouettes.

Le prix de nombreux produits alimentaires est monté en flèche et a fait l’objet de nombreux reportages dans les médias. Parmi les plus importantes augmentations entre novembre 2007 et janvier 2008 on compte, d’après une étude du magazine Le Nouvel Observateur, le yaourt (entre 17 et 40 pour cent), le lait (entre 20 et 37 pour cent), les pâtes (entre 44 et 45 pour cent), le riz (entre 10 et 18 pour cent), le camembert (entre 12 et 32 pour cent), le beurre (entre 19 et 26 pour cent), les céréales (entre 14 et 24 pour cent), le pain blanc (entre 6 et 22 pour cent) et le jambon (entre 18 et 44 pour cent.)

Au même moment, le Commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Joaquin Almunia a récemment revu à la baisse les prédictions de croissance pour la zone euro en 2008, de 2,4 à 1,8, avec la croissance économique de la France estimée entre 1,5 et 1,7 pour cent. Almunia a invoqué la crise du crédit américain comme facteur majeur de cette baisse.

Avec la situation économique qui empiète toujours plus sur le pouvoir d’achat, Sarkozy se trouve dans la situation inconfortable d’avoir éveillé des attentes parmi les masses laborieuses sans être en mesure de les réaliser. En tant que dirigeant de l’Etat, il n’exerce que peu d’influence sur bon nombre des phénomènes à l’origine des tendances inflationnistes ou récessionnistes de l’économie mondiale, par exemple l’explosion des prix du pétrole ou du gaz naturel dans le monde, laquelle injecte de l’inflation dans tous les domaines de l’économie mondiale, et la crise du crédit et des subprimes américains qui se développe à grande vitesse.

Il y a des signes grandissants d’un changement d’état d’esprit dans la classe ouvrière française. Il faut tout particulièrement remarquer, en plus des manifestations continues contre la politique d’austérité sociale de Sarkozy, l’éruption de plusieurs grèves de grande envergure et très inhabituelles dans le secteur de la grande distribution.

Les cercles politiques français craignent aussi que le style fruste et le manque de bienséance de Sarkozy ne menacent de discréditer la présidence. Dans un incident qui a fait couler beaucoup d’encre, le 23 février dernier au Salon de l’Agriculture, un homme a refusé de serrer la main de Sarkozy en lui disant « tu me salis. » Sarkozy a riposté dans une langue argotique et obscène qui a provoqué une condamnation quasi unanime dans les médias.

Le quotidien de centre gauche Le Monde a commenté dans son éditorial du 25 février: « Le chef de l'Etat a confirmé ce sentiment qu'il préside trop mal à ses propres emportements pour incarner une présidence sereine et maîtrisée. »

Dans un tour d’horizon de 15 commentaires de presse négatifs sur cet incident, Le Nouvel Observateur a cité La République des Pyrénées : « [Les anciens présidents] De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac ont dû, plus d'une fois, essuyer l'insulte publique, quand ce n'était pas un crachat sur leur costume. Mais chacun d'entre eux a su, d'une manière ou d'une autre, dominer ses nerfs et opposer l'indifférence souveraine qui sied au chef de l'Etat [...] Nicolas Sarkozy n'est pas de cette trempe. »

La relation publique ostentatoire de Sarkozy avec l’ancien modèle et chanteuse Carla Bruni, avec qui il a passé des vacances de Noël luxueuses à Louxor en Egypte où il s’est rendu dans le jet privé du financier Vincent Bolloré, l’a éloigné un peu plus de la population. Sarkozy a épousé Bruni, en troisièmes noces, le 2 février dernier.

Cette relation a aussi contribué à l’échec des tentatives maladroites de Sarkozy de courtiser la droite religieuse. Cette contradiction s’est peut-être le plus clairement exprimée lors de son discours de Latran du 20 décembre 2007 à Rome. La couverture médiatique précédant l’événement avait été dominée par des spéculations autour de la question de savoir si Sarkozy, deux fois divorcé, allait oser emmener sa petite amie avec lui lorsqu’il irait s’entretenir avec la hiérarchie catholique.

Finalement, Sarkozy n’avait pas emmené Bruni. Il avait ensuite fait un discours bizarre frisant le comique, dans lequel il revendiquait une relation spéciale de la France avec l’Eglise et qui s’enracinait dans la conversion à la chrétienté du chef germanique Clovis à la fin du 5e siècle, lequel régnait sur de grandes parties de ce qui est aujourd’hui la France, ainsi que sur une liste tendancieuse d’artistes français catholiques.

Le dernier geste de Sarkozy en direction de la droite religieuse, consistant à envoyer ses salutations publiques le 24 février lors de l’ordination de quatre prêtres ultra-nationalistes, des lefebvristes, qui insistent pour célébrer la messe en latin, a été largement critiqué par les médias. Dans un article faisant remarquer que les lefebvristes  sont impliqués dans des occupations d’églises, techniquement illégales en France, le quotidien Libération avait cité le journaliste catholique Christian Terras : « Dans l'architecture mentale de Nicolas Sarkozy, il n'y a pas de République laïque qui ne puisse exister au sens supérieur. Le sens supérieur pour lui, c'est la religion [...] Dans le contexte actuel où il décroche dans les sondages, la religion est un refuge. »

La Ligue de l’enseignement a lancé une pétition intitulée « Sauvegardons la laïcité de la République » qui a recueilli 100 000 signatures au cours du mois dernier.

Sarkozy a avancé une nouvelle loi proposant que des criminels ayant accompli des peines de prison de 15 ans ou plus ne soient pas libérés et soient détenus indéfiniment en détention préventive. Le Conseil constitutionnel, sans s’opposer à cette grave incursion de l’Etat dans les libertés civiles, a hésité à faire appliquer cette loi de façon rétroactive aux personnes condamnées avant que cette mesure ne devienne loi. Il s’agit d’un principe fondamental de l’Etat de droit. Ainsi, cette loi ne prendra pas effet avant au moins 15 ans.

Sarkozy a tenté de circonvenir à la décision du Conseil constitutionnel sur le principe de non-rétroactivité. Il a envoyé un courrier à Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation, pour lui demander s’il y avait possibilité d’une « adaptation de notre droit, » en se présentant en défenseur des victimes de crimes violents : « derrière ces questions juridiques arides, c'est de drames humains dont il s'agit. »

La proposition de Sarkozy était elle-même anticonstitutionnelle, étant donné que l’article 62 de la Constitution française spécifie que l’on ne peut faire appel des décisions du Conseil constitutionnel. En réponse, les cercles juridiques français ont lancé une pétition intitulée « Appel pour un sursaut citoyen » appelant Sarkozy à se « conformer » à la Constitution et concluant ainsi : « Si cette doléance n'est pas suivie d'effet, nous, citoyens sincèrement démocrates, déclarons que monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République, aura alors perdu toute légitimité, ne pourra donc plus assurer la fonction suprême, et devra en tirer toutes les conséquences. »  

La crise grandissante de la présidence de Sarkozy confirme l’évaluation qu’avait fait de lui le World Socialist Web Site au moment de son élection: « Cet arriviste pompeux, ambitieux à l’excès et carriériste souvent inepte, tire sa force de l’absence de toute politique indépendante de la classe ouvrière. Une offensive politique menée avec assurance le réduirait rapidement à sa juste valeur. »

Pour la bourgeoisie française, ces développements posent une question : Sarkozy est-il un garant fiable de leurs intérêts financiers, tant à l’intérieur du pays, en matière d’attaques sur les emplois, le niveau de vie et l’Etat providence, que sur la scène internationale, où se règleront de nombreux problèmes économiques plus vastes qui menacent la bourgeoisie française ? Il y a des points d’interrogation non seulement sur la capacité de Sarkozy à contrôler la classe ouvrière française mais aussi sur la viabilité de sa politique étrangère.

L’augmentation rapide de l’euro par rapport au dollar, et l’incapacité e Sarkozy à faire baisser la valeur de l’euro en surmontant l’hostilité de la Banque centrale européenne à abaisser les taux d’intérêt, menace de plus en plus la situation de l’industrie française sur les marchés internationaux. Le Monde a publié le 26 février un article intitulé « Le déclin du "made in France" » faisant remarquer que en 1978, 25 pour cent de la main d’œuvre française travaillait dans l’industrie et 14 pour cent dans les services marchands, ces chiffres se sont à présent inversés. L’article ajoute que l’emploi se réduirait du fait que les plus grandes industries françaises — industries de l’automobile Renault et Peugeot-Citroën et le cimentier Lafarge — transféraient leurs opérations à l’étranger.

L’internationalisation de sa production nécessite aussi que l’Etat français développe des méthodes de coercition politique et militaire pour contrôler les gouvernements locaux et les routes commerciales. Jusqu'à présent, de telles mesures n’ont pas été entièrement fructueuses. Le projet d’Union méditerranéenne de Sarkozy, qui donnerait à l’impérialisme français un meilleur accès à la main-d'œuvre bon marché d’Afrique du Nord et un meilleur contrôle sur elle, se heurte à une opposition déterminée de la part de l’Union européenne, notamment de l’Allemagne. Les propositions françaises de participation à l’OTAN en échange du contrôle du commandement Sud de l’OTAN basé à Naples, qui surveille la Méditerranée, sont aussi tombées à l’eau.

L’annonce de Sarkozy, le 28 février lors de sa visite à Cape Town en Afrique du Sud, de renégocier tous les accords militaires français avec les pays africains a fait sourciller, ce que Libération a décrit comme « Sarkozy donne un coup de pied dans le pré carré africain. »

La décision de se ranger derrière l’impérialisme américain au Moyen-Orient, bien qu’elle ne soit pas encore ouvertement contestée, a déjà généré une controverse non négligeable. Elle représente un changement de la politique étrangère française, qui s’était opposée à l’invasion de l’Irak en 2003 conduite par les Etats-Unis. L’annonce par le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner le 16 septembre dernier que l’armée française se préparait à la guerre avec l’Iran en tant qu’alliée des Etats-Unis avait provoqué suffisamment de remous pour que finalement Sarkozy dise qu’il n’aurait pas utilisé le mot « guerre».

(Article original anglais paru le 10 mars 2008)


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