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WSWS : Nouvelles et analyses : Économie mondiale

Une analyse superficielle du capitalisme mondial — Première partie

The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism, par Naomi Klein, publié chez Allen Lane, 2007

Par Nick Beams
5 mars 2008

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Cet article constitue la première partie d’une critique du livre de Naomi Klein, "The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism", dont on pourrait traduire librement le titre par "La doctrine du choc : la montée du capitalisme de catastrophe". La deuxième partie sera en ligne le 6 mars.

Depuis sa parution en septembre dernier, le dernier livre de Naomi Klein a fait les listes des meilleurs vendeurs à travers le monde. Cet accueil n’est pas seulement le produit d’une campagne qui sans l’ombre d’un doute a été bien organisée ou d’une présence importante dans les médias de masse, mais encore d’un changement significatif vers la gauche de larges sections de la population mondiale.

Dans chaque pays, l’hostilité envers le programme du marché libre qui prévaut depuis une vingtaine d’années s’approfondit et l’opposition à l’establishment politique officiel qui en a fait la promotion grandit.

Selon Klein, son livre est « un défi à l’affirmation la plus centrale et la plus acclamée du récit officiel : le triomphe du capitalisme déréglementé est né de la liberté ; les marchés sans contraintes vont main dans la main avec la démocratie. Plutôt, je vais démontrer que cette forme fondamentale du capitalisme a toujours été amenée à l’existence par les formes les plus brutales de coercition. » [p.18]

Ce thème touche assurément une corde sensible. Mais l’opposition grandissante à l’ordre existant soulève inévitablement la question : que faire ? Comment la colère envers les dépravations du « marché libre » peut-elle se traduire en un programme pour une alternative ?

C’est là que l’on trouve la signification politique du livre de Klein. Son argument central est qu’il n’est pas nécessaire de renverser le système capitaliste du profit. En fait, cela ne ferait selon elle que représenter une autre version du « fondamentalisme » qui caractérise les « doctrines du marché libre ». Au contraire, une autre voie peut être trouvée, basée sur un retour aux mesures qu’on appelle keynésiennes — intervention gouvernementale et réglementation — qui étaient en vigueur lors du boom économique de l’après Deuxième Guerre mondiale.

« Je ne défends pas l’idée que toutes les formes du système du marché sont intrinsèquement violentes, écrit Klein dans son introduction. Il est éminemment possible d’avoir une économie basée sur le marché qui n’exige pas une telle brutalité et qui ne demande pas une telle pureté idéologique. Un marché libre de produits de consommation peut coexister avec un système de santé public et gratuit, avec des écoles publiques, avec un important secteur de l’économie, une pétrolière nationale par exemple, appartenant à l’État. Il est possible de demander aux compagnies de payer des salaires décents, de respecter les droits des travailleurs à créer des syndicats et aux gouvernements de taxer et de redistribuer la richesse pour que les inégalités les plus aiguës qui caractérisent l’État corporatiste soient réduites. Il n’est pas nécessaire que les marchés soient fondamentalistes.

« Keynes a proposé précisément ce genre d’économie mixte et réglementée après la Grande Crise, une révolution de la politique publique qui a créé le New Deal et d’autres transformations du même type à travers le monde. C’est précisément ce système de compromis et de contrepoids que la contre-révolution de Friedman vise à démanteler systématiquement dans un pays après l’autre. » [p.20]

Tout comme Keynes se voyait le sauveur du capitalisme — il est reconnu pour avoir conseillé Roosevelt en 1933 d’adopter sa politique de crainte que l’« orthodoxie » (le libre marché) et la révolution n’en viennent à l’affrontement — la critique de Klein ne vise pas à renverser le système de profit capitaliste. Comme Keynes, elle veut le sauver de lui-même en freinant ses pires excès.

Évidemment, Klein a le droit d’adopter la position politique qu’elle désire. Mais son opposition au marxisme et à sa méthode d’analyse signifie qu’elle refuse de considérer une analyse plus profonde de l’économie mondiale, craignant que cela soulève des questions qui iraient à l’encontre de sa perspective politique et des intérêts sociaux qu’elle représente.

Klein débute d’abord en faisant référence à la « panacée tactique fondamentale » du capitalisme contemporain — ce qu’elle appelle la « doctrine du choc », telle qu’articulée par Milton Friedman. Friedman affirmait que seule « une crise — réelle ou perçue — peut produire un véritable changement. Lorsque cette crise survient, les gestes qui sont posés dépendent des idées qui circulent à ce moment. Voilà qui est, je crois, notre principale fonction : développer une alternative à la politique existante, la maintenir en vie et disponible jusqu’à ce que l’impossible devienne l’inévitable d’un point de vue politique. » [p. 6]

Mais Klein n’est pas vraiment en mesure d’expliquer pourquoi les doctrines du « libre marché » de Friedman et de son école de Chicago, perçues comme l’oeuvre d’excentriques dans les années 1950 et 1960, furent accueillies durant les années 1970, permettant à Friedman de recevoir le prix Nobel de l’économie en 1976.

Pour Klein, la mise en application des doctrines choc de Friedman est le résultat de 50 années de campagne pour une liberté totale du monde des affaires. « Bien qu’enrobée du langage des mathématiques et de la science, la vision de Friedman rejoignait précisément les intérêts des grandes multinationales, qui par nature étaient avides de vastes nouveaux marchés déréglementés. » [p. 57]

En fait, la réalité est tout autre. Durant la guerre et immédiatement après, d’importantes sections de la grande entreprise appuyèrent une intervention gouvernementale et une régulation économique. Non seulement s’accommodèrent-elles aux mécanismes de régulation, mais elles jouèrent souvent un rôle clé dans la mise en place de ceux-ci.

L’attitude de sections clé des affaires américaines fut résumée dans un discours de William Benton, fondateur d’un lobby des affaires, le Comité pour le développement économique (CDE), prononcé en 1949 :

 « L’attitude historique du monde des affaires a toujours été d’utiliser le gouvernement s’il le pouvait et, s’il ne le pouvait pas, de le malmener. Philosophiquement, l’entreprise jurait par la doctrine : “le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins”. La nouvelle position du CED est que “le gouvernement a un rôle positif et permanent à jouer en réalisant les objectifs communs de fort taux d’emploi et de haute productivité, ainsi qu’en offrant de très bonnes conditions de vie pour la population dans toutes les sphères de la vie.” ... La plus grande réalisation du CED ... pourrait bien être la clarification qu’il développe sur le rôle du gouvernement dans l’économie. ... Voilà notre réponse aux variétés européennes de socialisme. Longue vie à celle-ci » [Robert M. Collins, The Business Response to Keynes, 1929-1964, Columbia University Press, 1981, p. 206].

Vingt ans plus tard, Nixon résuma l’attitude de larges sections de l’élite économique dans son fameux commentaire qui disait: « Nous sommes tous keynésiens maintenant. » Selon Friedman, cependant, Nixon avait mis sur pied des mesures « socialistes ».

De plus, même si c’était le cas que l’imposition de mesures friedmaniennes constituait le point culminant de 50 ans de campagne de la part de la grande entreprise, il resterait toujours à expliquer pourquoi cette campagne fut réussie. Il faudrait détailler les changements dans la situation économique qui avaient rendu les écrits « fous » d’hier comme étant la sagesse officielle d’aujourd’hui.

Klein ne fournit pas une telle explication parce que ça montrerait clairement que la montée du « friedmanisme » était associée à des processus objectifs de l’économie capitaliste qui menèrent à la fin du boom de l’après-guerre et à la crise économique des années 1970 — des processus que les mesures keynésiennes s’avérèrent incapables de renverser.

Le libre marché et la répression étatique

Le boom économique qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale n’était pas le produit des mesures keynésiennes, mais de la restructuration de l’économie mondiale organisée par les Etats-Unis, spécialement par le plan Marshall. Cette restructuration a rendu possible le développement dans le reste du monde de méthodes de production plus efficaces associées aux chaînes de montage qui avaient été développées aux Etats-Unis. Elle engendra une augmentation du taux de profit à travers l’économie capitaliste mondiale qui devint le facteur premier qui mena au boom, rendant ainsi possible l’augmentation des salaires et les concessions sociales durant cette période. En d’autres mots, les mesures keynésiennes étaient le produit et non la cause du boom d’après-guerre.

Voilà pourquoi, lorsque les taux de profit commencèrent à chuter vers la fin des années 1960 et au début des années 1970, les mesures keynésiennes s’avérèrent incapables de rétablir l’expansion antérieure. En fait, au lieu d’amoindrir les problèmes économiques, cette politique, basée sur des dépenses publiques accrues, tendait à les exacerber.

Dans des conditions où les profits chutaient, les mesures de relance keynésiennes voyaient des entreprises importantes augmenter leurs prix afin d’essayer de contrer la tendance, au lieu d’augmenter le rendement et le nombre d’emplois. Cela mena à une « stagflation », une combinaison de chômage élevé et persistant ainsi que des niveaux élevés d’inflation.

De ce fait, l’application de mesures keynésiennes joua un rôle plutôt considérable dans l’élection de Thatcher et Reagan, deux partisans aguerris du « libre-échange », qui avaient basé leurs campagnes électorales victorieuses respectives de 1979 et de 1980 sur des sections de la classe moyenne.

Dans son livre, Klein établit des liens entre l’imposition du « libre-échange » et l’utilisation de méthodes violentes de répression étatique, de l’Amérique latine à la Chine et au choc du massacre de la place Tiananmen, en passant par la décision de Boris Eltsine d’utiliser les tanks pour bombarder l’édifice parlementaire en 1993 et les attaques de l’OTAN sur Belgrade en 1999.

Dans le cas de l’Amérique latine, où le plan Friedman fut imposé pour la première fois dans les années 1970, Klein a mis l’accent sur la relation entre la violence étatique et l’agenda économique qu’elle servait en critiquant le lobby des droits de l’homme pour son refus d’examiner les raisons derrière la répression qu’il dénonçait.

Des actes de terreur au Chili et en Argentine furent qualifiés de façon étroite de « violation des droits de l’homme » au lieu « d’outils servant des objectifs politiques et économiques clairs ». « En se concentrant purement sur les crimes et non sur les raisons derrières ceux-ci, le mouvement des droits de l’homme a également aidé l’idéologie de l’école de Chicago à sortir indemne de ce premier laboratoire sanglant. »

Le rapport d’Amnistie internationale, détaillant les atrocités de la junte militaire argentine, « était une percée qui lui valait son prix Nobel. Cependant, malgré toute sa profondeur, le rapport ne jette aucune lumière sur les raisons de ces événements. » Le rapport de 92 pages ne fait « aucune mention du fait que la junte était en train de refaire le pays selon la ligne d’un capitalisme radical. Il n’offre aucun commentaire sur la montée de la pauvreté ou sur le renversement dramatique des programmes de redistribution de la richesse, bien que cela était au cœur de la politique de la junte. »

Si les projets économiques de la junte avaient été examinés, poursuit-elle, il serait devenu clair pourquoi une telle répression extraordinaire avait été nécessaire et pourquoi tant de prisonniers de conscience d’Amnistie étaient des syndicalistes et des travailleurs sociaux.

« Dans une autre omission majeure, Amnistie présente le conflit comme étant limité à un conflit entre militaires locaux et extrémistes de gauche. Aucun autre joueur n’est mentionné, ni le gouvernement américain ou la CIA, ni les propriétaires locaux, ni les corporations multinationales. Sans un examen plus large du projet d’imposer un capitalisme "pur" en Amérique latine, et des puissants intérêts derrière ce projet, les actes de sadisme documentés dans le rapport n’ont plus aucun sens, ils ne sont plus qu’aléatoires, des événements déplorables sans liens entre eux, dérivant dans l’éther politique, devant être condamnés par toutes les personnes de conscience, mais impossibles à comprendre. » [pp.118-120]

Ces points sont bien faits. Mais ils peuvent être appliqués à Klein elle-même. Elle va plus loin qu’Amnistie, mais comme l’organisation des droits de l’homme, elle s’arrête là où l’enquête devrait commencer. Si les actes de violence n’étaient pas que des événements aléatoires, mais liés à un plan économique défini, cela soulève immédiatement la question suivante : pourquoi au milieu des années 1970 ? Pourquoi pas plus tôt ?

Klein choisit de ne pas poser la question, ni d’examiner la relation entre la crise économique du capitalisme mondial qui fit éruption dans les années 1970, la fin du boom d’après-guerre et l’effondrement des programmes keynésiens de réforme économique. Et pourtant, la relation est clairement visible. En septembre 1976, alors que la répression de la junte s’abattait en Argentine et que Milton Friedman recevait son prix Nobel, le premier ministre britannique James Callaghan expliquait au Parti travailliste que les dépenses de type keynésien pour stimuler l’économie étaient choses du passé.

Selon Klein, le refus du lobby des droits de l’homme de « faire le lien entre la terreur de l’appareil d’État et le projet idéologique qu’elle servait » peut être vu, dans le cas d’Amnistie, comme une volonté de « demeurer impartiale au milieu des tensions de la guerre froide ». Dans le cas de plusieurs groupes, c’était une question d’argent, étant donné l’importance de la Fondation Ford dans l’octroi de fonds aux organisations de droits de l’homme.

On est bien forcé, cependant, de poser la même question en ce qui concerne Klein : pourquoi refuse-t-elle d’examiner les processus sous-jacents de l’économie capitaliste qui ont donné naissance à la terreur d’État et à la violence qu’elle condamne ? 

À suivre

(Article original anglais paru le 27 février 2008)


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