La mission de l’Union européenne au Tchad et en
République centre africaine, l’Eufor, doit commencer ses opérations le 15
mars avec entre 400 et 600 soldats sur le terrain. Le déploiement de la force
de 3 700 soldats pourrait être achevé dès le mois de juin. Il avait débuté
à la fin du mois de janvier puis avait été retardé par une attaque rebelle sur
la capitale tchadienne N’Djamena au début du mois de février.
L’Eufor, qui est soutenue par le Conseil de sécurité des
Nations unies, a pour mission de protéger les centaines de milliers de réfugiés
— quelque 260 000 venus de la région du Darfour au Soudan et qui sont
entrés au Tchad, ainsi que 180 000 personnes du Tchad et de la République
centre africaine déplacées du fait de conflits internes. Dans la pratique,
l’Eufor va aussi consolider la Mission au Darfour des Nations unies et de
l’Union africaine (UNAMID).
La France a contribué à plaider en faveur de l’Eufor auprès
des membres de l’Union européenne (UE) qui s’inquiètent de voir la
Chine empiéter sur l’Afrique, et plus particulièrement dans le domaine du
pétrole. La France a aussi argumenté sur la nécessité de combler un vide de
pouvoir dans l’aride Afrique de l’est, où le terrorisme pourrait
prospérer. En cela, elle a reçu les louanges du président américain.
« Je remercie le gouvernement de Nicolas Sarkozy pour
son travail responsable, consistant à rallier les forces de l’UE pour
fournir de l’aide » aux réfugiés près de la frontière entre le
Soudan et le Tchad, a dit le président Bush aux journalistes étrangers avant
son récent voyage en Afrique.
N’ayant pas réussi à obtenir un soutien suffisant de la
part des autres pays de l’UE, Paris a accepté de couvrir le manque en
soldats et en hélicoptères. Cela va faire passer à 2 100 hommes son
contingent dans l’Eufor, tandis que l’Italie va fournir une antenne
chirurgicale et l’Irlande commander la force sous la direction du Général
Pat Nash. Des inquiétudes ont été soulevées au sein de l’UE sur la
confusion des rôles, potentiellement dangereuse, entre l’Eufor et les
1 450 soldats français déjà stationnés au Tchad.
Alors que le président tchadien Idriss Déby a accueilli favorablement
la proposition de l’Eufor, le Soudan voisin espérait bloquer son
déploiement. Le Soudan considère cette mission comme une initiative conduite
par les Français dans le but de renforcer Déby et de miner la Coalition
nationale au pouvoir au Soudan. Des groupes rebelles, dont beaucoup pensent qu’ils
sont soutenus par Khartoum, ont dit aussi qu’ils considéreront l’Eufor
comme un groupe belligérant dans le conflit et ont choisi le moment où lancer
leur attaque sur N’Djamena afin de prévenir toute intervention extérieuretant de l’Eufor que de l’UNAMID.
Le porte-parole du ministère français de la Défense, Laurent Teisseire,
a dit, « Les forces françaises ont acheminé
des munitions destinées aux forces tchadiennes » à partir de la
Libye et ont aussi livré de l’essence, de la nourriture et des services du
renseignement aériens. La France a des avions de reconnaissance et des avions
de combat Mirage au Tchad, et a participé à l’évacuation de centaines de
ressortissants étrangers de l’aéroport de N’Djamena lors des
récents affrontements.
Le quotidien La Croix a déclaré avoir appris de
diplomates et d’officiers que des soldats français avaient combattu aux
côtés d’unités du gouvernement tchadien à N’Djamena, coordonnant l’attaque
sur la colonne rebelle à Massaguet le 1er février. Mais le ministre
de la Défense Hervé Morin a démenti : « Aucune force spéciale ni
aucun soldat français n'ont été engagés dans les combats », mais que les
soldats français « ont riposté chaque fois que l’on a eu le
sentiment que le contrôle de l’aéroport pouvait être menacé ».
L’hebdomadaire français Le Canard enchaîné a
aussi déclaré que les forces spéciales françaises avaient précédemment espionné
les forces rebelles à la frontière soudanaise et qu’il y avait eu
intervention des avions de combat Mirage. Déby a semblé confirmer les
déclarations de la presse quand il a dit aux journalistes que les soldats
français avaient été sur la ligne de front après avoir rencontré Morin.
L’implication de la France pour soutenir le régime de Déby
a remis en question l’objectif post-électoral de Sarkozy de rompre avec
ce qui s’appelle l’interventionnisme Françafrique de ses
prédécesseurs.
« L’Afrique a changé et les relations de la France
avec l’Afrique doivent aussi changer, » avait dit Sarkozy au début
de l’année. Cherchant plutôt à mettre l’accent sur
l’intervention humanitaire, il avait déclaré que la France lutterait pour
un progrès durable de la paix, des droits de l’homme et de la croissance
économique, qui sont indissolublement liés aux objectifs du millénaire.
Rompre avec Françafrique « s’est révélé plus
difficile que ne l’auraient souhaité les cercles politiques français »,
a expliqué Kaye Whiteman, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest.
« La relation avec l’Afrique a toujours été ce qui a donné à la
France son statut de puissance moyenne méritant de siéger au Conseil de
sécurité de l’ONU. »
Suite à la tentative de coup d’Etat, Déby a commencé une
rafle des opposants politiques qui a été critiquée par certains cercles, dont Amnesty
International.
D’après des témoins, une demi-douzaine au moins de
leaders de l’opposition au Tchad ont disparu, emmenés par des hommes
armés en uniforme militaire ne portant pas d’insignes. Parmi les disparus,
on compte l’ancien président tchadien Lol Mahamat Choua, l’ancien
ministre Ibni Oumar Mahamat Saleh et le dirigeant du parti de
l’opposition Ngarlejy Yorongar.
Le ministre de l’Intérieur Ahmat Bachir a accusé les
rebelles de les avoir fait disparaître. « Ces gens ont été arrêtés lorsque
leur maison était sous le contrôle des mercenaires. Nous n’avons été informés
de leur arrestation que par la radio, » a-t-il dit. « On ne sait pas
s’ils ont été arrêtés [par les rebelles] ou s’ils sont cachés
quelque part [avec les rebelles.] » Ces accusations sont réfutées par les
rebelles au motif que cela n’a pas de sens pour eux de kidnapper des gens
qui s’opposent au gouvernement Déby.
Suite aux affrontements, Bachir a émis une attaque très féroce
à l’égard du soutien pour les rebelles, provenant, d’après lui, du
Soudan, attaque destinée aux oreilles d’un auditoire international.
« Nos forces de défense ont capturé tous ceux de ces mercenaires
islamiques à la solde du Soudan. Vous avez des cartes d’identité…
Certains appartiennent à des groupes islamiques, certains à al-Qaïda »,
a-t-il dit. « Ils ont été envoyés par Umar Al-Bashir [le président du
Soudan] et al-Qaïda non seulement pour déstabiliser le Tchad mais toute
l’Afrique. »
Le premier ministre tchadien Nouradine Delwa Kassiré Coumakoye
a aussi déclaré que le gouvernement refuserait l’entrée au Tchad à tout nouveau
réfugié soudanais. « Nous ne pouvons plus en accepter, »
s’est-il exclamé, et il a lancé un appel à la communauté internationale pour
faire déplacer tous les 240 000 réfugiés soudanais de l’est du Tchad
dans un autre pays. « C’est à cause d’eux que nous avons les
problèmes que nous rencontrons aujourd’hui », a-t-il dit, faisant
référence à la tentative de coup d’Etat.
Le Tchad est un pays aride et appauvri, trois fois plus grand
que la Californie et qui compte 10 millions de citoyens. Il y a une variété de
groupes ethniques avec les tensions que cela engendre, notamment depuis le
traitement de faveur accordé aux membres de la tribu Zaghawa à laquelle
appartient Déby. Mais l’ethnicité n’est pas la cause clé du
mécontentement envers Déby, car les Zaghawa et même des membres de sa propre
famille sont impliqués dans les récentes rébellions.
Blaise Mouga, membre de Fédération action pour la République,
dont le dirigeant Ngarlejy Yorongar a été arrêté la semaine dernière, a donné
une explication des récents événements. « Malgré notre pétrole, notre
coton, nos terres arables riches du sud, voyez comme notre pays est pauvre, »
a-t-il dit. « Nous voulons un certain changement. Nous ne sommes pas pour
la rébellion, mais nous ne sommes pas non plus pour Déby. La communauté
internationale peut bien dire que Déby est le moindre mal, mais ils ne vivent
pas avec lui. »
L’Agence France-Presse a
récemment fait un reportage sur le secteur pétrolier du Tchad qui pompe entre
150 000 et 160 000 barils par jour et possède des réserves estimées à
1,5 milliard de barils de brut. Avec l’augmentation récente des prix du
pétrole brut sur les marchés internationaux, les revenus du pétrole au Tchad
ont un poids considérable eu égard la taille de son économie. Selon des experts,
le potentiel pétrolier du pays reste largement inexploité et le Tchad est
susceptible de beaucoup intéresser les consommateurs majeurs tels les Etats-Unis
et la Chine.
Philippe Hugon, chercheur spécialiste des questions économiques
de l’Afrique, explique, « La richesse engendrée par le pétrole a été
partiellement détournée et a servi à l’achat d’armements et à
l’enrichissement personnel des personnes proches de Idriss Déby. »
Il ajoute, « Les rebelles réclament leur part. »
Nicolas Sarkis du magazine Arab Oil and Gas [Pétrole et
gaz arabes] est d’accord et a fait remarquer, « L’opposition
accuse le gouvernement d’avoir liquidé les richesses du pays. »
Un accord avec la Banque mondiale exige des autorités
tchadiennes qu’elles allouent 70 pour cent des revenus du pétrole du pays
au développement en échange du soutien financier de la banque pour le pipeline
entre le champ pétrolifère de Doba au Tchad qui n’a aucun accès à la mer
et le port de Kribi au Cameroun. Cependant, les principaux créanciers du Tchad
se sont plaints l’an dernier que le gouvernement Déby ne respectait pas
son obligation de 70 pour cent du fait principalement d’une augmentation
des dépenses militaires.
Les géants américains de l’énergie, ExxonMobil et
Chevron et Petronas de Malaisie sont les acteurs clés du secteur pétrolier au
Tchad tandis que le groupe français Total n’est absolument pas présent.
« Les compagnies américaines ont réussi à entrer dans le
pays, pour le grand déplaisir des entreprises européennes et chinoises, » a
dit Sarkis. Il a ajouté que pour la Chine, qui obtient près de 30 pour cent de
son pétrole au Soudan voisin, une stratégie à long terme possible serait que le
Tchad construise une extension de son pipeline vers le Soudan.