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WSWS : Nouvelles et analyses : Asie

La Chine réprime les manifestations au Tibet

Par John Chan
26 mars 2008

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Une vague de manifestations et d'émeutes secoue le Tibet depuis le 10 mars — 49e anniversaire de l'échec de la révolte dirigée par le dalaï-lama en 1959. Les troubles placent la direction du Parti communiste chinois (CCP) devant un dilemme — une répression violente risque d'amener de nouvelles condamnations internationales à quelques mois des Jeux olympiques de Pékin, tandis que des concessions encourageront le séparatisme ailleurs en Chine, ainsi qu'à Taiwan, où une élection présidentielle se tient le samedi 22 mars. De plus, Pékin est parfaitement conscient du potentiel qu'ont les manifestations au Tibet de déclencher un mécontentement populaire plus large au sujet du chômage et des taux d'inflation les plus élevés depuis 12 ans.

Le climat politique cette année en Chine ressemble à celui de la fin des années 80, lorsque l'hostilité envers l'augmentation des prix et les effets des réformes libérales avait nourri une vague de protestations. En mars 1989, la mort du dirigeant religieux tibétain, le 10e pancha lama, avait été à l'origine d'une série d'émeutes dans la capitale tibétaine, Lhassa. Le président Hu Jintao, qui était alors le chef du Parti communiste chinois (CCP) au Tibet, avait imposé la loi martiale dans la ville. Ces événements en anticipaient d'autres bien plus explosifs quelques mois plus tard, avec les manifestations de travailleurs et d'étudiants, à travers tout le pays qui culminèrent lors de la répression militaire sanglante sur la place Tienanmen de Pékin le 4 juin. La répression qu'avait exercée Hu au Tibet lui avait valu le soutien de la direction du CCP pour qu'il devienne le successeur de Deng Xioaping.

Les troubles récents ont éclaté le 10 mars après que la police chinoise ait arrêté 60 moines du monastère de Drepung qui manifestaient pour l'anniversaire de la révolte de 1959, une révolte soutenue par la CIA. Le même jour, le dalaï-lama déclarait depuis son exil en Inde : « Depuis près de six décennies, les Tibétains sont contraints de vivre dans un état de peur permanente sous la répression chinoise. » Le lendemain environ 600 moines ont organisé une manifestation devant le quartier général de la police de Lhassa en demandant la libération des moines emprisonnés. Des manifestations sporadiques la semaine dernière ont entraîné d'autres arrestations dans la ville.

Le vendredi, la police locale a empêché des moines du monastère de Ramoche de manifester. Cela a provoqué une réaction des Tibétains ordinaires, qui sont traités comme des citoyens de seconde zone, économiquement et culturellement, depuis des dizaines d'années. Des centaines de manifestants ont ravagé et mis le feu à au moins une centaine de magasins, de banques et d'hôtels appartenant aux Chinois Hans locaux. Des bus et des voitures ont également été incendiés.

Plusieurs milliers d'officiers de police paramilitaires ont été mobilisés pour réprimer les émeutes. Dans une tentative de minimiser les critiques internationales, les médias d'Etat ont diffusé des reportages limités sur les manifestations plutôt que de les passer entièrement sous silence. D'après l'agence de presse officielle Xinhua « Tout au long de l'incident, les policiers de Lhassa ont fait preuve d'une grande retenue. Ils sont restés patients, professionnels et ils avaient reçu la consigne de ne pas utiliser la force. »

Ces affirmations n'ont cependant aucune crédibilité. Les journalistes étrangers n'ont pas le droit d'aller au Tibet, et CNN, le seul service d'information étranger qui soit autorisé à y entrer, a été interdit de diffusion. Les services de police chinois spécialisés dans Internet ont également filtré les informations liées aux troubles. Même les signaux des téléphones portables ont apparemment été bloqués au Tibet. Les touristes ont reçu l'ordre de quitter la région.

Les médias chinois ont rapporté qu'au moins 13 « civils innocents » ont été tués lors des émeutes à Lhassa vendredi dernier, mais le nombre réel de morts est incertain. Trois personnes sont mortes en sautant d'un bâtiment pendant une rafle des émeutiers par la police. Les médias d'Etat ont montré des scènes où les émeutiers attaquaient des civils et des magasins des Hans (chinois) et des Hui (musulmans), mais aucune scène de répression policière. Les représentants du gouvernement ont décrit les émeutiers comme des éléments du « lumpenprolétariat » et des « hooligans » – les termes mêmes qui avaient été utilisés pour décrire les manifestants de la place Tienanmen en 1989. Le gouvernement autoproclamé du dalaï-lama en exil a affirmé qu'au moins 99 manifestants avaient été tués par les troupes chinoises.

De larges portions de Lhassa ont été verrouillées par la police paramilitaire, et des véhicules blindés patrouillent dans les rues. Les camions militaires qui transportent les soldats diffusent des appels aux insurgés pour qu'ils se rendent avant la date limite de lundi minuit, sous peine de subir un châtiment sévère. Des haut-parleurs dans les rues ont appelé les habitants « à faire la différence entre les ennemis et les amis, et maintenir l'ordre. » On rapporte que des troupes chinoises lourdement armées patrouillent dans la zone autour de l'ancien temple de Jokhang – qui est considéré comme le sanctuaire le plus sacré du bouddhisme tibétain.

Lundi, environ 600 manifestants ont été encerclés par les forces de sécurité chinoises. D'après le Times de Londres, 40 prisonniers ont été exhibés à travers les rues de Lhassa pour intimider la population. Ces mesures ont été soutenues par le propre « guide spirituel » de Pékin, le pancha lama, qui a condamné la violence des manifestants.

Les troubles se sont propagés aux provinces voisines du Gansu, du Qinghai et du Sichuan. Dimanche dernier, quelques 200 manifestants tibétains ont lancé des bombes et brûlé un commissariat de police, un marché et des maisons dans la région d'Ābà au Sichuan. À Lanzhou, la capitale de la province du Gansu, 500 étudiants tibétains ont organisé une occupation de l'Université des minorités du nord-ouest le dimanche après-midi. Le même jour, un couvre-feu a été imposé à Xiahe, une autre ville du Gansu, après que la police ait empêché une manifestation de 1000 tibétains, dont des moines du monastère de Labrang. Même à Pékin, 200 étudiants à l'Université des nationalités du centre ont procédé à une veillée silencieuse aux bougies dans la nuit de lundi – sous la surveillance de la police politique chinoise.

Tensions sociales

Le dalaï-lama a d'abord appelé au calme. Cependant, avec le développement de la couverture médiatique internationale, il a commencé à critiquer le « règne de la terreur » et le « génocide culturel » du gouvernement chinois contre les Tibétains. Bien qu'il ait nié les accusations de Pékin selon lesquelles il serait derrière ces manifestations, ses commentaires ont galvanisé les Tibétains de Chine et de l'étranger. De petites manifestations de Tibétains et de leurs sympathisants ont eu lieu devant les ambassades et les consulats dans de nombreuses villes de par le monde.

Le dalaï-lama tente d'utiliser les manifestations pour faire pression sur Pékin et ainsi obtenir une plus grande autonomie pour le Tibet. Il représente une section de l'élite tibétaine, qui a abandonné ses précédentes demandes pour l'indépendance et qui voit son avenir comme lié à l'expansion du capitalisme chinois par un accord de partage du pouvoir, à la manière de l'ancienne colonie britannique de Hong Kong. Ne souhaitant pas trop s'aliéner Pékin, le dalaï-lama a réfuté toute responsabilité pour les manifestations violentes. « Nous ne devons pas développer de sentiment anti-chinois. Que cela nous plaise ou non, nous devons vivre côte à côte, » a-t-il déclaré dans un appel à la fin des violences au Tibet hier. Il a proposé de démissionner de son poste de chef du gouvernement tibétain en exil si « on perd le contrôle de la situation. »

 La question centrale des revendications du dalaï-lama est de cantonner l'opposition à la question de la préservation de la culture tibétaine. Cependant, ce qui sous-tend les manifestations de Lhassa, ce sont les profonds ressentiments des Tibétains pauvres des villes et des campagnes contre les privations économiques et sociales qu'ils partagent avec leurs semblables à travers toute la Chine. Tout comme le régime de Pékin, le dalaï-lama craint un mouvement social qui unirait les pauvres et les opprimés par-delà les divisions linguistiques et culturelles.

Un éditorial du Financial Times du 16 mars indiquait que Pékin avait commis l'erreur de croire à sa propre propagande concernant la réduction de la pauvreté au Tibet. « Le danger de cette approche est devenu évident ces derniers jours. Loin d'être reconnaissants envers Pékin pour les bénéfices de la modernisation et le développement économique, beaucoup de Tibétains ont beaucoup de ressentiment à l’égard du gouvernement et des immigrés chinois Hans qui ont afflué au Tibet et qui dominent le commerce. »

Les réformes libérales imposées par le régime chinois dans les années 1990 ont détruit le mode de vie des paysans tibétains appauvris et des éleveurs, qui constituent 80 pour cent des 2,7 millions d'habitants du Tibet. Le Tibet est déjà la région la plus pauvre de Chine, 1 million de personnes vivent en-dessous du seuil de pauvreté officiel qui est de 150 dollars par an. L'ouverture de la ligne ferroviaire Qinghai-Tibet en 2006 a accéléré l'augmentation de l'inégalité sociale. L'industrie naissante du tourisme, tout comme le commerce de détail et l'immobilier, sont contrôlés par les immigrés Hans et une mince couche de l'élite tibétaine aisée, et non par les pauvres des zones urbaines ou rurales.

Un rapport de l'organisation Human Rights Watch (HRW) de juin 2007 avait averti que la campagne organisée par Pékin depuis 2000 pour déplacer les éleveurs tibétains vers les zones urbaines menaçait le mode de vie de 700 000 personnes. Les officiels chinois affirmaient que l'urbanisation des éleveurs était « une forme éclairée de modernisation », mais leur approche était bureaucratique et l'objectif principal était de libérer la place pour les investisseurs et les projets d'infrastructures. L'étude indiquait que les éleveurs déplacés, ne parlant pas chinois, ne parvenaient à obtenir que des emplois subalternes à bas salaire. Ils n'avaient pas d'argent pour démarrer un petit commerce. Certains éleveurs ont essayé de s'établir comme paysans, mais le gouvernement ne leur a accordé aucune aide.

Le rapport du HRW cite F.R. : « Les Chinois ne nous laissent pas continuer notre activité [comme éleveurs] et nous forcent à vivre dans des villes construites par eux, ce qui nous laissera sans troupeaux et nous ne pourrons pas faire d'autre travail, alors nous deviendrons sûrement des mendiants » et Z. R. : « Aucune nouvelle maison n'a été construite, ils se sont contentés de mettre de nouvelles fenêtres et portes à d’anciens bâtiments de prisons. Le gouvernement a fait beaucoup de publicité comme quoi ils avaient fait venir l'électricité et l'eau, mais ceux qui y sont allés disent qu'il n'y a pas de telles installations. Le gouvernement parle de fournir de l’aide alimentaire un jour, mais pour l'instant ils n'ont toujours rien reçu... »

Les États-Unis et d'autres gouvernements occidentaux ont prudemment critiqué la répression de Pékin. La secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a demandé à Pékin dimanche dernier de « pratiquer la modération avec les manifestants » et a insisté pour que ceux qui ont été emprisonnés soient libérés. Un porte-parole de la chancelière allemande Angela Merkel, qui avait offensé Pékin en rencontrant le dalaï-lama l'année dernière, a déclaré lundi que, « tout en comprenant et soutenant le désir d'une autonomie culturelle et religieuse » au Tibet, l'Allemagne soutenait aussi « l'intégrité territoriale de la Chine et tout ce qui accompagne la politique d' "une seule Chine" ».

Jusqu'à présent, aucun gouvernement, y compris l'administration en exil du dalaï-lama, n'a apporté son soutien aux appels de certains militants tibétains à boycotter les Jeux Olympiques. Le ministre des Affaires étrangères français, Bernard Kouchner a tenté hier de suggérer que l'Union européenne pourrait envisager une proposition de boycotter la cérémonie d'ouverture, mais il a vite ajouté qu'au stade actuel, le gouvernement français ne soutenait pas un tel plan. Le président du parlement de l'UE, Hans-Gert Poettering a émis l'idée qu’individuellement les politiciens devraient envisager de rester à l'écart de la cérémonie. Aucune de ces propositions n'a reçu un soutien significatif.

Les critiques internationales limitées ne sont pas motivées par le souci des Tibétains ordinaires. L'ampleur des troubles au Tibet est relativement faible, comparée aux nombreuses manifestations et aux grèves des travailleurs et des fermiers chinois, qui sont complètement ignorés par les médias internationaux. La raison en est évidente : les entreprises mondiales dépendent de la surexploitation des travailleurs en Chine, où les conditions de travail dignes d'un autre âge sont maintenues par l'intermédiaire de mesures d’Etat policier. Le recours aux soldats lourdement armés, la fermeture par l'armée de zones complètes et les arrestations en masse sont essentielles pour discipliner la classe ouvrière et protéger les intérêts des investisseurs mondiaux.

Les reportages nombreux sur la lutte pour un « Tibet libre » servent un objectif politique différent. La région est un pion dans la rivalité entre les grandes puissances depuis le dix-neuvième siècle, lorsque la Grande-Bretagne et la Russie tsariste étaient engagées dans le « Grand Jeu » pour l'influence en Asie Centrale. Après que les troupes de Mao aient pris le contrôle du Tibet en 1950, le dalaï-lama a servi pendant des dizaines d'années d’outil politique de Washington pour miner le régime de Pékin. Les États-Unis n'ont arrêté de financer les opérations de guérilla du dalaï-lama au Tibet qu'après que le président Richard Nixon soit arrivé à un rapprochement avec le régime maoïste en 1972.

Ce regain d’intérêt international pour le Tibet est un signe de ce que toute la région est une fois de plus en train de devenir le point focal d'une compétition entre les grandes puissances. L'intervention militaire des États-Unis en Afghanistan à la fin 2001 n'était pas guidée par la « guerre globale contre le terrorisme », mais par la nécessité de faire avancer les intérêts stratégiques et économiques de Washington en Asie Centrale, région riche en sources d'énergie. Les États-Unis, les puissances européennes, la Chine et la Russie sont tous en lice pour l'influence et l'accès aux énormes réserves de pétrole et de gaz naturel de la région.

Les États-Unis et leurs alliés cherchent à ne pas s'aliéner Pékin par des appels à « Libérer le Tibet », tout en gardant la question en suspens en maintenant des relations avec le dalaï-lama et en soulevant hypocritement des inquiétudes pour les droits des Tibétains. Comme Pékin le sait bien, Washington est tout à fait capable d'exploiter ce genre de mouvements séparatistes pour faire progresser ses intérêts géopolitiques, comme il vient tout juste de le faire en apportant son soutien à un Kosovo « indépendant. »

(Article original anglais paru le 19 mars 2008)


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