Devant le prolongement du mouvement de grève
étudiante au Québec et la demande d’injonction déposée par la direction
de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la question de la
perspective politique à adopter pour mener une lutte contre l’assaut sur
le système d’éducation se pose de façon cruciale.
Depuis le 11 février dernier, les 5400
étudiants de l’Association facultaire des étudiants en sciences humaines
(AFESH-UQAM) sont en grève. Depuis, ils ont été rejoints par d’autres
associations étudiantes de l’UQAM, notamment par l’association
facultaire des arts (AFEA-UQAM) et celle de communication (AFELLC-UQAM) qui ont
déclenché la grève la semaine dernière. Certaines associations de
l’Université de Montréal se sont aussi jointes au mouvement. Au total,
environ 15 000 étudiants au Québec sont maintenant en grève.
Bien que les revendications des associations
étudiantes puissent différer légèrement d’une à l’autre, elles
s’opposent principalement au dégel des frais de scolarité (ceux-ci auront
augmenté de 30% à 40% d’ici 2012) du gouvernement libéral de Jean Charest
et elles prônent un réinvestissement massif en éducation afin de contrer le
sous-financement des universités. À l’UQAM, les étudiants
s’opposent aussi au plan de redressement du nouveau recteur de
l’université Claude Corbo. Endettée de plus de 200 millions de dollars
suite à un scandale financier, la direction de l’UQAM tente
essentiellement d’assainir ses finances en faisant porter le fardeau de
la dette sur le dos des étudiants et des employés (coupures de cours, hausse de
frais afférents, embauche de moins de professeurs…)
Devant le prolongement du mouvement de grève,
l’administration de l’UQAM a eu recours à des mesures
anti-démocratiques pour faire retourner les étudiants en classe. En 2007, elle
avait eu recours au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) lors de la
grève étudiante partielle. La police avait alors matraqué des étudiants qui
manifestaient leur mécontentement envers Claude Corbo. La semaine dernière, la
direction de l’UQAM a fait appel à l’escouade tactique du SPVM afin
de déloger des étudiants qui occupaient une salle où devait avoir lieu une
rencontre de la Commission des études de l’UQAM (une instance dirigeante composée
de 26 membres dont 7 représentants des associations étudiantes), qui
s’apprêtait à statuer sur une résolution qui obligerait les professeurs
et les chargés de cours à dispenser leurs cours.
Dans un autre geste répressif posé un peu plus
tôt, à la fin février, l’université a renvoyé trois étudiants pour une
période d’environ trois semaines pour avoir supposément intimidé des membres
du personnel de l’UQAM lors d’une action de protestation. Contacté
par l’ISSE, un des étudiants concernés a démenti la version donnée par la
direction de l’UQAM : sa présence à l’action en question
n’a duré que quelques minutes au cours desquelles aucune altercation
n’a eu lieu avec du personnel de l’UQAM.
Dans un contexte où plusieurs votes de
reconduction de la grève se tiendront dans la semaine du 17 mars, l’UQAM
a émis une demande d’injonction à la Cour en prétextant des
« perturbations étudiantes », c’est-à-dire l’occupation
de la salle où devait avoir lieu la réunion de la Commission des études.
La demande d’injonction est rédigée de
façon très large et peut servir à criminaliser toute activité politique à
l’intérieur de l’université et autour de celle-ci. Elle ordonne aux
étudiants de « s'abstenir d'intimider, de menacer, d'importuner, de
molester ou de séquestrer » toutes les personnes qui circulent à
l’UQAM. De plus, elle ordonne « de s'abstenir d'ordonner ou de
conseiller, de quelque façon que ce soit, directement ou indirectement, à toute
personne, de commettre les actes mentionnés [dans la demande
d’injonction] et de les soutenir, les encourager ou les appuyer ».
Elle a aussi « ordonné aux associations
concernées, à leurs représentants, leurs officiers et à toute autre personne
agissant ou non sous leurs instructions de cesser immédiatement tout
attroupement ou manifestation aux accès, sorties et à l'intérieur des pavillons
et résidences de l'UQAM et dans un rayon de 100 mètres de ceux-ci. » Que
dire, donc, d’un étudiant qui distribue des tracts ? Est-il en train
d’ « importuner » des gens ? Que dire des étudiants qui
décident d’organiser une activité quelconque à l’UQAM pour
manifester leur opposition ? Les représentants de leurs associations seront-ils
tenus responsables pour les avoir « encouragés » ?
Pour toute personne qui ne respecte pas cette
demande d’injonction, une amende de 50.000$ avec ou sans peine
d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an pourrait être imposée.
Cette demande d’injonction constitue une
flagrante attaque sur les droits démocratiques. Incapable de répondre aux
besoins des étudiants, l’université n’a d’autre choix que de
recourir à de telles méthodes anti-démocratiques. Celles-ci sont un avant-goût
de ce qui attend ceux qui, dans les années à venir, tenteront de
s’opposer aux attaques sur leur condition de vie.
Une
nouvelle perspective politique est nécessaire
L’Internationale étudiante pour
l’égalité sociale salue le courage des étudiants qui, même dans des conditions
où le mouvement étudiant est isolé et fait face à des mesures
anti-démocratiques, ont été en mesure de reconduire plusieurs fois la grève et
de continuer à lutter pour défendre le système d’éducation.
Cependant, pour contrer l’assaut sur le
système d’éducation et l’érosion de leurs droits démocratiques, les
étudiants doivent adopter une toute nouvelle perspective politique.
Ils doivent élargir leurs demandes et chercher
à rompre leur isolement en faisant un appel énergique aux autres associations
étudiantes et aux travailleurs en s’opposant de façon inconditionnelle à
la bureaucratie syndicale et à ses tentatives pour isoler, une fois de plus, le
mouvement étudiant.
Lors de la grève étudiante de 2005, la plus longue
grève étudiante de l’histoire du Québec, la bureaucratie syndicale est
intervenue afin d’isoler le mouvement étudiant. Henri Massé, alors président
de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), avait dit que les étudiants
devaient faire des « compromis » dans leurs revendications. Cette
intervention, en plus de délégitimer les revendications du mouvement étudiant,
bloquait à celui-ci l’accès aux travailleurs – notamment ceux du
secteur public du Québec qui étaient alors en période de renouvellement de leur
convention collective et qui faisaient face à des offres gouvernementales
« non négociables » impliquant une baisse de leur salaire réel.
Il existait alors un fort sentiment
d’opposition populaire au gouvernement Charest, sentiment qui avait fait
surface un peu plus d’un an plus tôt, à la fin de 2003, dans une série de
manifestations anti-gouvernementales de masse. C’est précisément la
raison pour laquelle la bureaucratie syndicale, en tant que défenseur endurci du
système capitaliste existant, voulait éviter une confrontation avec le
gouvernement en isolant les étudiants en grève et en étouffant les demandes des
travailleurs du secteur public.
Tout aussi significative a été
l’élection québécoise de 2007 qui a démontré, sous une forme confuse, un
rejet par la population des deux partis traditionnels de pouvoir de la classe
dirigeante québécoise, les Libéraux et le Parti québécois (PQ). La réponse de
la bureaucratie syndicale a été de renforcer ses liens de longue date avec le
parti de la grande entreprise qu’est le PQ, la forme principale que prend
sa politique de subordination politique des travailleurs à l’ordre
politique existant.
L’attitude de la bureaucratie syndicale n’a
pas changé depuis. Par exemple, les quatre syndicats de l’UQAM refusent
de demander à leurs membres de se prononcer sur l’actuelle grève
étudiante, prétextant qu’ils sont dans une « escalade de moyens de
pression ». De plus, avec leur campagne intitulée « J’appuie
l’UQAM », ils tentent essentiellement de ramener les étudiants et
les travailleurs derrière la direction de l’université et son plan de
redressement en demandant au gouvernement un « réinvestissement pour
l’UQAM ».
Cette politique visant à isoler les étudiants
est facilitée par l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante
(ASSÉ), l’association qui avait dirigé la grève de 2005. Celle-ci
n’avait pas alors mis en garde les étudiants contre les manœuvres de
la bureaucratie syndicale et s’était concentrée principalement sur la
question limitée des coupures de 103 millions de dollars dans les prêts et
bourses. Au mois de février 2008, l’ASSÉ a décidé d’abandonner sa
campagne de grève générale illimitée en disant que le militantisme des
étudiants n’était pas au rendez-vous. C’est dans les semaines qui
ont suivi cet abandon que le mouvement étudiant s’est élargi quelque peu.
Le rôle conservateur de la bureaucratie
syndicale, en 2008 tout comme en 2005, a un impact indéniable sur la lutte des
étudiants, dont l’isolement crée les conditions pour les mesures
anti-démocratiques que la direction de l’UQAM met sur pied en ce moment.
En opposition à la politique
pro-capitaliste des directions syndicales, les étudiants en grève doivent élargir
leurs demandes et lancer un appel ouvert à tous les étudiants et aux
travailleurs pour qu’une lutte politique commune soit entreprise contre toutes
les attaques sur l’éducation et les programmes sociaux et pour une
nouvelle société basée sur l’égalité sociale.