Il y a eu des manifestations dans toute la France samedi dernier contre le
projet de privatisation de la Poste. Cinq syndicats avaient appelé à protester
contre un projet de changement de statut de la Poste en société anonyme le 1er janvier
2010. Ce projet est destiné àpermettre une ouverture du capital à
hauteur d'environ 3 milliards d'euros « pour financer sa
modernisation », soit une ouverture de quelque 30 pour cent du capital.
La manifestation de Nancy
Les syndicats qui appelaient à cette action sont la CGT (Confédération
générale du travail), SUD (Solidarité-Unité-Démocratie), FO (Force ouvrière),
la CFDT (Confédération française démocratique du travail) et la CFTC
(Confédération française des travailleurs chrétiens).
Ces mesures prises par la direction de la Poste sont des préparatifs pour la
libéralisation complète du marché postal au sein de l’Union européenne
(UE) prévue pour 2011. Les services postaux des pays où la privatisation a déjà
été effectuée ont vu des suppressions de postes draconiennes, la fermeture de
bureaux de poste, la dégradation des conditions de travail, des hausses de prix
et la détérioration du service, tout cela au nom de la profitabilité.
Malgré l’assurance apportée par le PDG de la Poste, Jean-Claude Bailly,
que l’Etat resterait majoritaire, les travailleurs de la Poste y voient
comme une menace sur leurs emplois et sur la qualité du service public.
Les conditions de travail des postiers se dégradent depuis de nombreuses
années. 53 pour cent seulement jouissent de la relative sécurité d’emploi
et des droits propres aux fonctionnaires, nombreux sont ceux ayant des contrats
à temps partiel et plus de 40 pour cent ont des contrats communs moins
favorables et plus précaires.
Les manifestations du 22 novembre représentent une mobilisation plus faible
que celle du 23 septembre dernier. Selon les organisateurs 12 000
manifestants ont défilé à Paris, 1 000 à Marseille, 2 200 à Toulouse
et 500 à Lyon. Les chiffres fournis par la police sont plus faibles, estimant
le nombre de manifestants à un quart ou un tiers de ces chiffres.
La direction de la Poste a fait état de 4,7 pour cent de grévistes, bien que
les syndicats n’aient pas lancé un mot d’ordre de grève. Par
contraste, l’appel à la grève du 23 septembre avait été suivi par un
tiers des 300 000 membres du personnel de la Poste. Le nombre peu élevé de
manifestants reflète avant tout le manque de confiance dans les syndicats.
Le Nouvel Observateur rappelait à ses lecteurs le 22 novembre, « Début
novembre, le conseiller de l'Elysée, Henri Guaino, avait déclaré qu'il "n'était
plus question pour l'instant ... d'ouvrir le capital de la Poste". Le
gouvernement était ensuite revenu sur ces déclarations ambiguës en précisant
qu'il trancherait fin décembre. Le gouvernement attend la remise du
rapport de la commission Ailleret, mise en place par Nicolas Sarkozy. Cette
commission, qui regroupe syndicalistes, élus et représentants de la Poste, est
chargée de réfléchir aux différentes voies de développement de la Poste. »
Olivier Besancenot, dirigeant de la LCR-NPA (Ligue communiste
révolutionnaire, actuellement en train de fonder le Nouveau Parti
anticapitaliste) et lui-même postier à temps partiel, s’est saisi de ces
assurances pour déclarer, « C’est une première victoire sociale qui
fait suite au succès de la grève du 23 septembre …Cette victoire en
appelle d’autres, notamment contre la fermeture des hôpitaux de
proximité, la privatisation du système de santé. »
Besancenot a poursuivi, « Le gouvernement est pris en tenaille entre la
crise économique qui frappe de nombreux secteurs d’activité parmi les
plus importants comme l’automobile, la sidérurgie et la contestation
sociale qui se manifeste dans les entreprises, ainsi que N. Sarkozy a pu le
constater à Renault-Sandouville quand les salariés de cette entreprise se sont
mis en grève à l’occasion de sa venue. Il faut battre le fer quand il est
chaud. Le gouvernement doit annoncer le retrait pur et simple du projet de
privatisation de la Poste. »
Cette déclaration dissimule le rôle joué par les syndicats qui ont cherché
avec consistance à briser et démoraliser les actions des postiers pour défendre
leurs droits et conditions de travail statutaires ainsi que leur service
public. La référence aux travailleurs de Renault Sandouville est
particulièrement cynique. Confrontés à la perte de 1 000 emplois, ils ont
été isolés par les syndicats. Alors même que les travailleurs protestaient ce
jour-là, les dirigeants syndicaux étaient en train de négocier avec Sarkozy
dans l’usine. Pour freiner leur combativité, ils ont présenté aux salariés
des promesses de travail avec la mise en production d’un nouveau véhicule
pour 2012.
Dans leur tract pour la manifestation du 22 novembre, le NPA a été forcé de
reconnaître, sans l’admettre ouvertement, que ce qu’il avait
qualifié de « victoire sociale » à la Poste un mois plus tôt
n’était en fait qu’une basse manœuvre. Le gouvernement avait
annoncé que l’ouverture du capital de la Poste était « suspendue »,
mais avait déclaré que « cela aurait bien lieu et dans le calendrier prévu »,
écrit le NPA. « Le gouvernement ne renonce pas. Il aimerait seulement
désamorcer l'exaspération en train de naître. »
Le tract du NPA soutenait, sans formuler la moindre critique, l’appel
à la manifestation fait par « la CGT, CFDT, FO, CFTC, SUD » et le « Comité
national pour la mobilisation contre la privatisation de la Poste, pour un
débat public et un référendum sur le service public postal ».
Une pétition commune du Parti communiste (PCF) et du Parti socialiste
cherchait aussi à semer l’illusion qu’avec un « un grand débat
national » il était possible de « faire reculer le gouvernement sur la
privatisation ».
Ce même tract du NPA fait des déclarations exagérées selon lesquelles des
actions sporadiques, délibérément dispersées par les syndicats, forceraient
Sarkozy à reculer. Il ne propose aucune perspective politique pour les
travailleurs mais se contente de marteler que la journée de protestations
serait « le début d’une riposte plus générale » et que « nous
pouvons gagner ».
De cette façon, le NPA cherche à éviter que les travailleurs de la Poste ne rompent
avec les syndicats et ne forment des organisations indépendantes visant à
unifier leur lutte avec celle des travailleurs d’autres industries et
services afin de s’opposer aux attaques sur les droits démocratiques et
sociaux.
Le rôle joué par le NPA a aidé les bureaucrates syndicaux nationaux —
qui travaillent main dans la main avec Sarkozy depuis son élection en mai 2007
et lui ont permis d’appliquer son programme de régression sociale —
à donner l’impression qu’ils s’opposent à son programme. Bernard
Thibault de la CGT, proche du PCF, Jean-Claude Mailly de FO, Jacques Voisin de
la CFTC et Gérard Aschieri de la FSU (Fédération syndicale unitaire, syndicat
de l’éducation) étaient tous présents à la manifestation parisienne.
Des délégations du Parti socialiste étaient aussi en vue dans la
manifestation parisienne. Benoît Hammond, concurrent malheureux au poste de
secrétaire du parti défilait ainsi que Martine Aubry qui a battu Ségolène Royal
pour ce poste. Aubry, dont le père et mentor Jacques Delors a longtemps présidé
la Commission européenne, avait fait campagne en faveur du projet de constitution
européenne qui aurait facilité les privatisations comme celles de la Poste. Ce projet
de constitution fut rejeté par les référendums français et hollandais en 2005. Aubry
a aussi soutenu le Traité de Lisbonne, qui a été rejeté cette année par les
électeurs irlandais.
Deux lycéens s'entretiennent avec le WSWS
Un reporter du World Socialist Web Site à Nancy s’est entretenu
avec deux lycéens de 16 ans qui ont dit être des sympathisants du PCF. Ils
étaient venus soutenir la manifestation « par conviction ». « On
se fait baiser par le capitalisme… la France est dans une situation
catastrophique ». Ils ont reconnu que « la mobilisation est moins
forte, mais ça va bouger, le communisme va remonter ».
Un manifestant a dit qu’il n’était pas convaincu par le « gel »
du processus de privatisation. Il a mentionné le cas d'une petite ville proche,
Ars-sur-Moselle, dont les 5000 habitants sont privés de bureau de poste depuis
que le commerçant à qui la Poste avait sous-traité son activité « a fermé
sa boutique ».
(Article original anglais paru le 26 novembre 2008)