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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Allemagne : le gouvernement craint que la crise n’engendre une radicalisation politique

Par Peter Schwarz
13 octobre 2008

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L’annonce faite dimanche par la chancelière Angela Merkel et le ministre des Finances Peer Steinbrück que le gouvernement allemand garantirait tous les dépôts bancaires n’est qu’une simple déclaration d’intention politique. Ils n’ont nullement l’intention de légiférer pour l’inscrire explicitement dans la loi.
Il n’y aura pas de « processus de mise en place d’une loi » a confirmé lundi matin le porte-parole du ministère des Finances, Torsten Albig. La promesse est plutôt une « déclaration politique claire faite par la chancelière et le ministre des Finances. »
Le porte-parole en matière de finances du parti social-démocrate (SPD), Otto Fricke, a dit que sans fondement légal il considérait une telle déclaration comme étant quasi nulle. « La déclaration garantissant les dépôts d’épargne n’est rien d’autre qu’une déclaration d’intention politique, » a-t-il dit. « Elle ressemble à la promesse faite par Norbert Blüm [ancien ministre allemand du Travail et des Affaires sociales] que les retraites étaient sûres. » La garantie de retraite faite par le chrétien-démocrate Blüm dans les années 1980 est considérée à ce jour comme l’exemple classique d’une promesse politique non tenue.
La promesse de Merkel et de Steinbrück de garantir les dépôts d’épargne se fonde sur des calculs économiques osés, à savoir qu’ils ne seront jamais appelés à l’assumer. Elle vise à apaiser les épargnants et les petits investisseurs et d’empêcher une ruée sur les banques qui risquerait d’entraîner un effondrement de l’ensemble du système financier.
Si, contrairement à leurs attentes, ils étaient obligés d’honorer leur promesse, personne ne sait véritablement ce qui se passera. Il n’existe ni fonds ni réserves pour garantir les créances concernées et qui sont évaluées à plus de trois billions d’euros. La seule possibilité serait une augmentation énorme de la dette publique, ce que Steinbrück a toujours rejeté avec véhémence dans le passé.
Ce qui sous-tend la promesse mensongère de Merkel et de Steinbrück ce sont avant tout des motifs politiques. Ils redoutent une radicalisation populaire et une évolution à gauche si, en se présentant trop ouvertement comme les laquais du capital financier, ils déboursent des billions pour sauver des banques insolvables.
Il est remarquable que ce soit précisément Merkel qui maugrée contre les banques comme si elle avait pris des leçons de rhétorique auprès du dirigeant du parti La Gauche (Die Linke), Oskar Lafontaine. Or c’est cette même Merkel qui, il y a cinq ans, avait vigoureusement défendu une « voie de réforme » néo-libérale au congrès de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) à Leipzig. Lors d’un récent congrès du parti à Wiesbaden, elle s’était emportée pour dire qu’un Etat efficace devait agir maintenant pour empêcher « ce que des banquiers irresponsables avaient provoqué partout dans le monde. » On a besoin de marchés régulés et non de marchés indomptés « dans lesquels seuls les profits comptent, » a dit Merkel.
Et Steinbrück, qui a toujours considéré que la réduction des dépenses publiques était l’objectif ultime à atteindre et qui a inlassablement défendu les attaques contre les acquis sociaux et les droits des travailleurs inscrits dans l’« Agenda 2010 », est subitement devenu le généreux protecteur des petits épargnants.
Ces derniers jours, plusieurs articles sont parus dans la presse mettant en garde que la crise est en train d’ébranler la confiance des citoyens dans l’Etat. Après que des années durant le gouvernement eût considéré la dérégulation du marché et le démantèlement des acquis sociaux comme sa tâche clé, il est obligé à présent de se distancer clairement des intérêts du capital financier afin de garder une infime crédibilité.
Dans l’édition en ligne de l’hebdomadaire d’information Die Zeit, Ludwig Greven exprime la crainte que la crise financière ne devienne « une crise de la démocratie. » Répondant à sa propre question, qui dirige l’Allemagne, le gouvernement ou les dirigeants du capital financier ? il répond : « Selon toute apparence, ce sont les banques et les marchés financiers. »
A présent en Allemagne, les politiciens doivent non seulement « lutter contre la menace de l’effondrement du système financier, » conclut Greven : « Il est aussi question de la légitimité de la politique, notamment des réformes sociales de ces dernières années qui apparemment étaient poussées par les mêmes appétits voraces du capital. » De plus en plus de gens se demandent « Pourquoi accepter des coupes massives des dépenses publiques et des salaires s’il y a bien assez d’argent pour sauver les banques. »
Si les politiciens restreignent à présent leur rôle à « jouer les secouristes en ignorant les effets dangereux sur le climat politique, » écrit Greven, « alors la crise financière mondiale pourrait également déboucher sur une crise de notre système démocratique occidental. Ceux qui en profiteraient seraient les populistes de gauche et de droite ainsi que les dangereux chasseurs de rats (« Rattenfänger »)… »
Heribert Prantl fait un commentaire identique dans le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. Dans la crise financière mondiale, il n’est pas seulement question de confiance dans les marchés monétaires, écrit-il : « Il est aussi question de confiance dans la souveraineté et de la puissance créatrice de la démocratie… Il n’est pas seulement question de boucher des trous financiers gigantesques, mais aussi de faire son possible pour que la crise du capitalisme mondial ne devienne une crise mondiale de la démocratie. »
Jusque-là, les « cadres confirmés des marchés monétaires » se sont comportés « comme si la démocratie était le terrain de jeu des petits bourgeois, » parce que « les vraies décisions sont prises à la bourse. » Les fonds énormes mis sur pied pour financer le système financier doivent à présent être « liés à des garde-fous aidant à stabiliser la démocratie et rétablissant la confiance dans la puissance créatrice de la démocratie. »
Ulrich Schäfer remarque également dans le Süddeutsche Zeitung que la chancelière et son ministre des Finances se sont conduits comme les « victimes d’un chantage sans pareil dans lequel les marchés financiers ont pris en otage un gouvernement entier et une nation entière. » Il va jusqu’à comparer les marchés financiers à des terroristes de la Fraction armée rouge (RAF) qui avait menacé le gouvernement de Helmut Schmidt (SPD) en automne 1977.
Aucun de ces commentaires ne s’oppose à ce que le gouvernement permette aux banques et aux spéculateurs de s’approprier des milliards d’euros d’argent provenant des impôts des contribuables. Ils sont bien plus préoccupés à sauver les apparences. Ils veulent s’assurer que la colère contre l’injustice flagrante ne prenne une nouvelle direction, en se tournant contre le système capitaliste qui en est la cause.
Le souvenir des crises financières et bancaires des années 1920 et 1930 est encore vif en Allemagne. En 1923, une inflation galopante avait détruit les économies de la classe moyenne et plongé des millions de travailleurs dans la misère tandis que certains industriels, tel Hugo Stinnes, amassaient une fortune de plusieurs milliards. A l’automne de cette année-là, l’Allemagne se trouvait au bord d’une révolution socialiste qui n’a échoué que parce que le Parti communiste était insuffisamment préparé.
Les crises bancaires de 1929 et de 1931 scellèrent finalement le sort de la République de Weimar. Dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Der Spiegel même le ministre de l’Intérieur, Wolfgang Schäuble, rappelle ce lien historique. « Les conséquences de cette dépression furent Hitler et, indirectement, la Seconde Guerre mondiale et Auschwitz », écrit-il.
Toutefois, Schäuble a oublié de mentionner que la démocratie avait déjà été supprimée en 1930 par le Parti du Centre (Zentrum Party), le prédécesseur de son propre parti, le CDU. Le chancelier Heinrich Brüning (Parti du Centre) avait fait supporter le poids de la crise aux travailleurs en imposant des décrets d’urgence ; il avait brisé leur résistance et avait été soutenu en cela par le SPD. Ceci avait ouvert la voie à Hitler qui était devenu chancelier trois ans plus tard. Hitler était soutenu par les influents milieux industriels et financiers qui avaient besoin des nazis pour venir à bout du mouvement ouvrier.
Schäuble est tout à fait prêt à emprunter la voie de Brüning. La plus importante contribution qu’il ait faite dans la présente crise a été son effort pour tenter de légaliser le déploiement de l’armée à des fins domestiques, un objectif qu’il poursuit depuis quinze ans. Jusque-là. Schäuble n’avait pas réussi à réunir la majorité requise des deux tiers du vote parlementaire pour l’adoption d’une modification constitutionnelle légalisant un tel déploiement, mais le SPD vient de manifester sa volonté de donner son accord.
Ceci devrait tenir lieu d’avertissement. La crise financière internationale a révélé la banqueroute du système capitaliste qui est fondé sur la propriété privée des moyens de production et l’enrichissement d’une minorité infime aux dépens d’une écrasante majorité. Mais l’élite dirigeante ne veut pas céder volontairement ses privilèges. Pendant qu’elle berce d’illusions la population selon lesquelles le capitalisme peut être contrôlé et régulé, elle se prépare à supprimer par la violence toute résistance sociale et politique.

(Article original paru le 9 octobre 2008)


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