L’annonce faite
dimanche par la chancelière Angela Merkel et le ministre des Finances Peer
Steinbrück que le gouvernement allemand garantirait tous les dépôts bancaires
n’est qu’une simple déclaration d’intention politique. Ils n’ont nullement
l’intention de légiférer pour l’inscrire explicitement dans la loi.
Il n’y aura pas
de « processus de mise en place d’une loi » a confirmé lundi matin le
porte-parole du ministère des Finances, Torsten Albig. La promesse est plutôt
une « déclaration politique claire faite par la chancelière et le ministre
des Finances. »
Le porte-parole en
matière de finances du parti social-démocrate (SPD), Otto Fricke, a dit que sans
fondement légal il considérait une telle déclaration comme étant quasi nulle. « La
déclaration garantissant les dépôts d’épargne n’est rien d’autre qu’une
déclaration d’intention politique, » a-t-il dit. « Elle ressemble à
la promesse faite par Norbert Blüm [ancien ministre allemand du Travail et des
Affaires sociales] que les retraites étaient sûres. » La garantie de
retraite faite par le chrétien-démocrate Blüm dans les années 1980 est
considérée à ce jour comme l’exemple classique d’une promesse politique non
tenue.
La promesse de
Merkel et de Steinbrück de garantir les dépôts d’épargne se fonde sur des
calculs économiques osés, à savoir qu’ils ne seront jamais appelés à l’assumer.
Elle vise à apaiser les épargnants et les petits investisseurs et d’empêcher
une ruée sur les banques qui risquerait d’entraîner un effondrement de
l’ensemble du système financier.
Si, contrairement
à leurs attentes, ils étaient obligés d’honorer leur promesse, personne ne sait
véritablement ce qui se passera. Il n’existe ni fonds ni réserves pour garantir
les créances concernées et qui sont évaluées à plus de trois billions d’euros.
La seule possibilité serait une augmentation énorme de la dette publique, ce
que Steinbrück a toujours rejeté avec véhémence dans le passé.
Ce qui sous-tend
la promesse mensongère de Merkel et de Steinbrück ce sont avant tout des motifs
politiques. Ils redoutent une radicalisation populaire et une évolution à
gauche si, en se présentant trop ouvertement comme les laquais du capital
financier, ils déboursent des billions pour sauver des banques insolvables.
Il est
remarquable que ce soit précisément Merkel qui maugrée contre les banques comme
si elle avait pris des leçons de rhétorique auprès du dirigeant du parti La
Gauche (Die Linke), Oskar Lafontaine. Or c’est cette même Merkel qui, il y a
cinq ans, avait vigoureusement défendu une « voie de réforme » néo-libérale
au congrès de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) à Leipzig. Lors d’un récent
congrès du parti à Wiesbaden, elle s’était emportée pour dire qu’un Etat
efficace devait agir maintenant pour empêcher « ce que des banquiers
irresponsables avaient provoqué partout dans le monde. » On a besoin de
marchés régulés et non de marchés indomptés « dans lesquels seuls les
profits comptent, » a dit Merkel.
Et Steinbrück,
qui a toujours considéré que la réduction des dépenses publiques était
l’objectif ultime à atteindre et qui a inlassablement défendu les attaques contre
les acquis sociaux et les droits des travailleurs inscrits dans l’« Agenda
2010 », est subitement devenu le généreux protecteur des petits
épargnants.
Ces derniers
jours, plusieurs articles sont parus dans la presse mettant en garde que la
crise est en train d’ébranler la confiance des citoyens dans l’Etat. Après que des
années durant le gouvernement eût considéré la dérégulation du marché et le
démantèlement des acquis sociaux comme sa tâche clé, il est obligé à présent de
se distancer clairement des intérêts du capital financier afin de garder une
infime crédibilité.
Dans l’édition en
ligne de l’hebdomadaire d’information Die Zeit, Ludwig Greven exprime la
crainte que la crise financière ne devienne « une crise de la
démocratie. » Répondant à sa propre question, qui dirige l’Allemagne, le
gouvernement ou les dirigeants du capital financier ? il répond :
« Selon toute apparence, ce sont les banques et les marchés
financiers. »
A présent en
Allemagne, les politiciens doivent non seulement « lutter contre la menace
de l’effondrement du système financier, » conclut Greven : « Il
est aussi question de la légitimité de la politique, notamment des réformes
sociales de ces dernières années qui apparemment étaient poussées par les mêmes
appétits voraces du capital. » De plus en plus de gens se demandent
« Pourquoi accepter des coupes massives des dépenses publiques et des
salaires s’il y a bien assez d’argent pour sauver les banques. »
Si les
politiciens restreignent à présent leur rôle à « jouer les secouristes en
ignorant les effets dangereux sur le climat politique, » écrit Greven,
« alors la crise financière mondiale pourrait également déboucher sur une
crise de notre système démocratique occidental. Ceux qui en profiteraient
seraient les populistes de gauche et de droite ainsi que les dangereux
chasseurs de rats (« Rattenfänger »)… »
Heribert Prantl
fait un commentaire identique dans le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung.
Dans la crise financière mondiale, il n’est pas seulement question de confiance
dans les marchés monétaires, écrit-il : « Il est aussi question de
confiance dans la souveraineté et de la puissance créatrice de la démocratie…
Il n’est pas seulement question de boucher des trous financiers gigantesques,
mais aussi de faire son possible pour que la crise du capitalisme mondial ne
devienne une crise mondiale de la démocratie. »
Jusque-là, les
« cadres confirmés des marchés monétaires » se sont comportés
« comme si la démocratie était le terrain de jeu des petits bourgeois, »
parce que « les vraies décisions sont prises à la bourse. » Les fonds
énormes mis sur pied pour financer le système financier doivent à présent être
« liés à des garde-fous aidant à stabiliser la démocratie et rétablissant
la confiance dans la puissance créatrice de la démocratie. »
Ulrich Schäfer
remarque également dans le Süddeutsche Zeitung que la chancelière et son
ministre des Finances se sont conduits comme les « victimes d’un chantage
sans pareil dans lequel les marchés financiers ont pris en otage un
gouvernement entier et une nation entière. » Il va jusqu’à comparer les
marchés financiers à des terroristes de la Fraction armée rouge (RAF) qui avait
menacé le gouvernement de Helmut Schmidt (SPD) en automne 1977.
Aucun de ces
commentaires ne s’oppose à ce que le gouvernement permette aux banques et aux
spéculateurs de s’approprier des milliards d’euros d’argent provenant des
impôts des contribuables. Ils sont bien plus préoccupés à sauver les
apparences. Ils veulent s’assurer que la colère contre l’injustice flagrante ne
prenne une nouvelle direction, en se tournant contre le système capitaliste qui
en est la cause.
Le souvenir des
crises financières et bancaires des années 1920 et 1930 est encore vif en
Allemagne. En 1923, une inflation galopante avait détruit les économies de la
classe moyenne et plongé des millions de travailleurs dans la misère tandis que
certains industriels, tel Hugo Stinnes, amassaient une fortune de plusieurs
milliards. A l’automne de cette année-là, l’Allemagne se trouvait au bord d’une
révolution socialiste qui n’a échoué que parce que le Parti communiste était
insuffisamment préparé.
Les crises
bancaires de 1929 et de 1931 scellèrent finalement le sort de la République de
Weimar. Dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Der Spiegel même le
ministre de l’Intérieur, Wolfgang Schäuble, rappelle ce lien historique.
« Les conséquences de cette dépression furent Hitler et, indirectement, la
Seconde Guerre mondiale et Auschwitz », écrit-il.
Toutefois,
Schäuble a oublié de mentionner que la démocratie avait déjà été supprimée en
1930 par le Parti du Centre (Zentrum Party), le prédécesseur de son propre
parti, le CDU. Le chancelier Heinrich Brüning (Parti du Centre) avait fait
supporter le poids de la crise aux travailleurs en imposant des décrets
d’urgence ; il avait brisé leur résistance et avait été soutenu en cela
par le SPD. Ceci avait ouvert la voie à Hitler qui était devenu chancelier
trois ans plus tard. Hitler était soutenu par les influents milieux industriels
et financiers qui avaient besoin des nazis pour venir à bout du mouvement
ouvrier.
Schäuble est tout
à fait prêt à emprunter la voie de Brüning. La plus importante contribution
qu’il ait faite dans la présente crise a été son effort pour tenter de
légaliser le déploiement de l’armée à des fins domestiques, un objectif qu’il
poursuit depuis quinze ans. Jusque-là. Schäuble n’avait pas réussi à réunir la
majorité requise des deux tiers du vote parlementaire pour l’adoption d’une
modification constitutionnelle légalisant un tel déploiement, mais le SPD vient
de manifester sa volonté de donner son accord.
Ceci devrait
tenir lieu d’avertissement. La crise financière internationale a révélé la
banqueroute du système capitaliste qui est fondé sur la propriété privée des
moyens de production et l’enrichissement d’une minorité infime aux dépens d’une
écrasante majorité. Mais l’élite dirigeante ne veut pas céder volontairement
ses privilèges. Pendant qu’elle berce d’illusions la population selon lesquelles
le capitalisme peut être contrôlé et régulé, elle se prépare à supprimer par la
violence toute résistance sociale et politique.