La version modifiée du plan de sauvetage de Wall Street
votée mercredi par le Sénat américain injectera considérablement plus
d’argent des contribuables pour soutenir les banques que ce qui avait été
prévu dans le plan rejeté lundi par la Chambre des représentants. On retrouve
en plus dans la nouvelle version 150,5 milliards $ en baisses
d’impôt, essentiellement pour les intérêts de la grande entreprise.
Tous les changements apportés au projet de loi défait à la
Chambre des représentants comprennent les propositions avancées par les
représentants républicains de droite qui se sont opposés aux mesures initiales,
ainsi que des clauses défendues par les lobbyistes des banques et des grandes
entreprises.
Par exemple, le projet de loi du Sénat hausse la limite sur
les comptes de banque assurés par la Federal Deposit Insurance Corporation
(FDIC) de 100 000 $ à 250 000 $, une mesure qui favorise
principalement les riches et qui offre une plus grande protection aux activités
spéculatives des banques.
Les banques n’auront pas à payer de primes pour
financer l’augmentation de l’assurance gouvernementale de leurs
dépôts. Plutôt, la FDIC se verra accorder une marge de crédit illimitée par le
Trésor américain. Ce qui signifie que l’argent des contribuables sera
aussi utilisé pour couvrir les milliards de dollars de dépôts dilapidés par les
banques en faillite. Cette clause pourrait rajouter de nombreux milliards à la
facture refilée au peuple américain.
Le projet de loi du Sénat exhorte que soient changées les
règles comptables afin de permettre aux banques d’évaluer leurs actifs au
prix qu’elles les ont achetés, plutôt qu’au prix actuel du marché. Les
banques ont vigoureusement fait pression pour que soit implémentée cette clause,
car cela leur permettrait de camoufler leurs pertes sur leurs bilans,
surévaluer leurs titres adossés à des crédits mobiliers et autres holdings
spéculatifs, et revendre une partie de ceux-ci au Trésor américain à des prix
gonflés.
Les baisses de taxes sont orientées vers divers intérêts
commerciaux y compris, selon le Wall Street Journal, « des baisses
de taxes liées à la recherche et au développement demandées par les compagnies
de haute technologie et les fabricants de médicaments ». D’autres
avantages fiscaux rapportés dans la presse concernent des incitatifs à ce que
Hollywood produise davantage de films aux Etats-Unis.
Il y a assurément de nombreux autres cadeaux à la grande
entreprise enfouis dans le projet de loi de 451 pages. Rappelons que lorsque le
secrétaire au Trésor Henry Paulson a d’abord présenté son plan de
sauvetage de trois pages aux dirigeants du Congrès deux semaines plus tôt et
que certains démocrates avaient demandé que soient ajoutées des mesures pour
aider les propriétaires de maison en détresse, lui et le président Bush ont
réagi en exigeant un projet de loi « épuré », ne comportant pas
d’ajout « sans rapport » ou « controversé ». Les
dirigeants démocrates des commissions bancaires de la Chambre des représentants
et du Sénat ont rapidement promis de ne pas rendre le projet de loi trop
généreux.
Ainsi, répondant aux exigences de Wall Street, les
démocrates ont garni généreusement le projet de loi de mesures toutes orientées
vers les puissants intérêts financiers.
À l’inverse, pas une seule
concession n’a été faite dans le nouveau plan pour accommoder
l’opposition populaire massive au sauvetage. Des propositions avancées
par des opposants démocrates au projet de loi de la Chambre des
représentants pour imposer quelques pénalités sur les spéculateurs à Wall
Street et fournir une certaine assistance aux propriétaires de maisons en
détresse ont tout simplement été ignorées.
Comme à la Chambre basse, les efforts
pour faire passer le plan au Sénat ont été menés par le leadership démocrate,
travaillant en étroite collaboration avec l’administration Bush et
Paulson, l’ancien PDG de Goldman Sachs qui a rédigé le plan pour utiliser
au moins 700 milliards $ en argent des contribuables pour racheter des
titres sans valeurs des banques.
La direction du parti démocrate a donc
répondu à la défaite du projet de loi original de la Chambre des
représentants — en grande partie en raison des congressistes qui craignaient
perdre leur poste en novembre aux mains d’électeurs furieux envers le
sauvetage des personnes les plus riches du pays — en retravaillant la
mesure avant le second vote vendredi à la Chambre afin d’être encore plus
généreux pour l’élite financière américaine.
Comment expliquer cela ?
Pas sur la base de la division numérique de la Chambre des
représentants entre les deux partis. Les démocrates possèdent une majorité
claire de 235 contre 200. Le plan de sauvetage a été défait lundi par un vote
de 228 contre 205 voix. La direction pouvait chercher à obtenir les 13 voix
manquantes en tentant de convaincre certains des 95 démocrates qui se sont
opposés au projet de loi, beaucoup sur la base qu’il s’agissait
d’un transfert d’argent trop flagrant vers Wall Street et ne
comportant aucune mesure visant à répondre aux besoins criants des travailleurs
ordinaires.
Mais la direction démocrate n’a jamais envisagé une
telle option. Au contraire, sa réaction à la défaite du premier projet de loi a
été tout à fait conforme à la position inébranlable qu’elle a adoptée
depuis que Paulson a présenté son plan de sauvetage de Wall Street.
C’est-à-dire qu’elle a appuyé inconditionnellement les fondements
du plan de Paulson, malgré quelques actions superficielles pour la
« transparence » et de la « supervision », pour de
soi-disant limites facilement contournables sur les salaires des cadres, ainsi
que pour des mesures symboliques d’aide aux propriétaires de maison, qui
ont par la suite été mises de côté à l’insistance de Paulson et Bush.
Pourquoi cette si complète indifférence au
sort du peuple américain — plus de 6 millions de personnes ne pourront
pas payer leur hypothèque cette année ou l’an prochain — et cette
soumission totale à quelques milliers de multimillionnaires et de milliardaires
de Wall Street ?
Ce n’est pas un mystère. La direction
du Parti démocrate — des candidats à la présidence et à la
vice-présidence, Barack Obama et Joseph Biden, jusqu’à la speaker de la
Chambre des représentants Nancy Pelosi, au leader de la majorité au Sénat Harry
Reid, au président du comité des affaires financières à la Chambre des représentants
Barney Frank, au président du comité sénatorial sur les banques Christopher
Dodd, Hillary et Bill Clinton et ainsi de suite — ont délibérément
œuvré à faire accepter une loi dont le seul but est de protéger les
intérêts des sections les plus puissantes de l’élite financière
américaine.
Ils se sont même entendus pour incorporer
une clause anticonstitutionnelle qui rendra quasiment impossible de contester
devant les cours la mise en œuvre du sauvetage, ceux qui le supervisent ou
les banques qui y participent, ce qui revient à une autorisation pour la
corruption et à s’octroyer à soi-même des sommes importantes.
Ils sont bien au fait que le sauvetage ne
va résoudre en rien la crise économique qui s’approfondit de plus en plus
chaque jour et menace la classe ouvrière, tant aux Etats-Unis que de par le
monde, d’une catastrophe sociale. Mais ce n’est pas le véritable
but de ce plan.
En plus de garantir une partie des
mauvaises dettes de Wall Street, le sauvetage vise la stratégie plus large
d’utiliser la crise financière en tant que moyen pour augmenter le
pouvoir économique et politique des plus importantes banques et institutions
financières. Un processus est déjà bien enclenché par lequel le pouvoir
économique aux Etats-Unis sera concentré dans les mains de quelques titans
bancaires, ce qui leur permettra de fixer les taux d’intérêt et les frais
bancaires ainsi que d’exercer un contrôle dictatorial sur
l’économie.
Les dirigeants du Parti démocrate veulent
l’implantation de toutes ces mesures. Ils ont formé un front uni avec le
représentant de Wall Street, Paulson, et Bush parce qu’eux-mêmes et le
parti qu’ils dirigent, comme l’a noté le World Socialist Web
Site le 1er
octobre, « sont profondément intégrés au milieu de Wall Street et ils
considèrent que leur supporteurs les plus essentiels sont les membres de
l’aristocratie financière et les couches les plus riches de la haute
classe moyenne ».
A preuve : Rahm Emanuel, le président
du caucus démocrate à la Chambre des représentants et un des dirigeants de la
campagne pour faire accepter le plan de sauvetage est le membre du Congrès
américain qui a reçu le plus d’argent des banques et des sociétés
financières. Selon le site web MapLight.org, il a reçu
1 636 000 $ de telles sources au cours des cinq dernières
années. Barney Frank, le démocrate qui avait la responsabilité du sauvetage,
occupe la quatrième position avec 1 033 000 $.
Le Parti démocrate est un parti de
l’oligarchie américaine de la finance. Dans les quarante dernières années
il est allé encore plus à droite, s’alignant plus étroitement sur Wall
Street en même qu’il répudiait tout programme de réforme sociale. Sa
trajectoire a reflété l’évolution de sections de la classe moyenne qui
constituent depuis longtemps sa base électorale. Ces couches se sont enrichies,
bénéficiant de l’explosion du prix des actions par la spéculation et le
parasitisme.
Les démocrates ont cherché à cacher leur
position de classe et leur orientation de droite en adoptant des positions
libérales sur les soi-disant « questions sociales » —
l’avortement, les droits des homosexuels, la discrimination positive
— qui font partie de la politique de l’identité. Barack Obama, dont
la posture du « changement » et de la « nouvelle
politique » est entièrement basée sur son identité et dont la politique de
militarisme et la défense des intérêts des grandes entreprises sont
pratiquement indiscernables de celle de son adversaire républicain, incarne la
nature trompeuse et réactionnaire du Parti démocrate.