Le département du Trésor américain a annoncé dimanche
qu’il nationalisait les deux géants du refinancement hypothécaire, Fannie
Mae et Freddie Mac. Il s’agit de la plus importante intervention
gouvernementale dans l’économie américaine depuis la Grande Dépression
des années 1930.
L’annonce de la « mise sous tutelle » des
deux entreprises, faite avant l’ouverture des marchés boursiers en Asie,
ne laissait aucun doute quant à l’ampleur de la crise économique à
laquelle est confronté le capitalisme américain et mondial.
« Fannie Mae et Freddie Mac sont si imposantes et si
étroitement liées à notre système financier que la défaillance d’une ou
l’autre entraînerait d’énormes troubles dans nos marchés
financiers, ici et dans le monde », a déclaré le secrétaire au Trésor
Henry Paulson Jr. lors d’une conférence de presse à Washington.
« Une défaillance serait dommageable envers la croissance économique et la
création d’emplois. C’est pourquoi nous avons agi ainsi
aujourd’hui. »
La faillite de ces deux entreprises représente en fait la
faillite du capitalisme américain. Elles sont responsables à elles deux de plus
des deux tiers du financement de toutes les hypothèques de maisons des
Etats-Unis.
Bien que les politiciens des deux partis ainsi que la
majorité des reportages aient tenté de présenter ce plan comme une aide aux
propriétaires de maisons aux abois, il est évident que cette intervention
n’améliorera en rien la crise à laquelle font face des millions de
travailleurs ordinaires.
Comme l’a admis dimanche le New York Times,
« Le plan visant à renflouer ces entreprises ne fera probablement pas
grand-chose pour empêcher le prix des maisons de chuter davantage. Et il est
pratiquement certains les forclusions vont continuer d’augmenter.
« Ce renflouage permettra une stabilité dans
l’industrie hypothécaire que l’on a pas vue depuis quelques
années », a déclaré Rich Cosner, le président de Prudential California
Realty, à Associated Press. « Mais honnêtement, cela n’aidera pas
les (emprunteurs en difficulté) à se refinancer. »
Son véritable objectif est de venir en aide aux banques qui
ont investi dans des titres de créance de Fannie et Freddie en sachant que le
Trésor américain était en dernière analyse responsable de ces entreprises
créées et garanties par le gouvernement
Les coûts immédiats du renflouage seront subis par les
contribuables ainsi que les actionnaires, qui verront leurs investissements
partir en fumée. Une partie du plan annoncé dimanche autorise le gouvernement à
acheter les actifs actuels au prix symbolique de moins d’un dollar
l’action. Une importante section de ces investissements est détenue par
des fonds communs de placement faisant la gestion de régimes de retraite. Pour
de larges sections de la main-d’œuvre américaine, cet argent
constitue la seule source d’épargne pour la retraite.
De plus, on croit que les clauses de l’acquisition
entraîneront au minimum quelques autres défaillances bancaires. La FDIC
(Federal Deposit Insurance Corporation) a déclaré dimanche que « bien que
de nombreuses institutions possèdent des actions ordinaires ou privilégiées de
ces deux entreprises commanditées par le gouvernement, elles comptent pour un
nombre limité de plus petites institutions pour une part importante de leur
portefeuille ». L’agence n’a pas mentionné dans quelle mesure
ce nombre est « limité ».
Le plan annoncé par Paulson exige l’investissement de
presque 200 milliards $ de fonds gouvernementaux pour remettre à flot les
deux géants du refinancement hypothécaire.
Les véritables coûts pourraient s’avérer cependant
beaucoup plus élevés. William Poole, l’ancien président de la Réserve fédérale
de St-Louis, a soutenu dimanche est possible que le gouvernement ait à dépenser
près de 300 milliards $ pour sauver les deux compagnies.
Cette intervention est la troisième fois depuis le début de
l’année que le gouvernement des Etats-Unis se voit forcé de renflouer une
importante institution financière afin de contrer la menace d’un
effondrement imminent du système bancaire américain et mondial.
En mars dernier, l’injection de 29 milliards $
par la Réserve fédérale américaine a servi à subventionner l’acquisition
de Bear Stearns par JPMorgan Chase. En juillet, on accorda au gouvernement la
possibilité d’injecter des fonds dans Fannie Mae et Freddie Mac,
permettant alors à ces deux entreprises privées garanties par le gouvernement
d’emprunter directement de la Réserve fédérale.
Les deux entreprises ont enregistré des pertes nettes records
de 14,9 milliards $ au cours des quatre derniers trimestres en
raison de la hausse du nombre de forclusions et de la chute des prix des
maisons.
En juillet dernier, en présentant le plan au Comité
bancaire du Sénat, Paulson a argumenté que, « Si vous avez un bazooka et
que cela se sait, vous n’aurez probablement pas à vous en servir. »
L’idée était qu’en créant ce filet de sécurité, les investisseurs
privés allaient être rassurés et allaient prêter de l’argent aux deux
entreprises, qui détiennent ou garantissent plus de 5 billions $ en dettes
hypothécaires.
En réalité, le « bazooka » a eu l’effet
contraire, convainquant les investisseurs que Fannie et Freddie se dirigeaient
vers la faillite et une acquisition par le gouvernement. Par conséquent, les
prix de leurs actions ont continué leur dégringolade, perdant ainsi 80 pour
cent de leur valeur cette année.
Vendredi, après la fermeture des marchés et après que des
rumeurs d’acquisition imminente aient circulé sur Wall Street, les
actions de Fannie Mae ont chuté de 21,9 pour cent et celles de Freddie Mac de
20,9 pour cent.
Il semblerait que l’un des éléments déclencheurs de
l’intervention gouvernementale fut le dumping d’une importante
quantité de titres de Fannie Mae et Freddie Mac par des investisseurs
asiatiques et à l’étranger. La Banque de Chine, la troisième plus grande
banque du pays, a annoncé à la fin août qu’elle s’était départie de
quelques 3,14 milliards $ en titres de créance des deux entreprises au
cours des deux mois précédents.
Au même moment, la banque centrale de Russie aurait procédé
au dumping de 40 milliards $ de titres de Fannie Mae, Freddie Mac et de la
Federal Home Loan Bank au cours de l’année, et d’autres coupures
sont attendues.
Le tarissement des investissements dans ces
compagnies garanties par le gouvernement soulève évidemment la possibilité
qu’un processus semblable puisse se développer envers les titres du
gouvernement américain. Actuellement, l’économie américaine est
dépendante des investisseurs étrangers, principalement d’Asie, qui
achètent jusqu’à 20 milliards $ de titres de dette des agences
américaines chaque mois.
Menaçant implicitement précisément un tel
retrait, le principal économiste de Chine, Yu Yongding, un ancien conseiller de
haut rang de la banque centrale, a commenté le mois passé : « Si le
gouvernement américain permet à Fannie et Freddie de faire faillite et que les
investisseurs internationaux ne sont pas compensés de façon adéquate, les
conséquences seront catastrophiques. Si ce n’est pas la fin du monde, ce
sera la fin du système financier international actuel. »
Il faut noter que l’agence de
notation financière, Standard & Poors, s’est sentie obligée de faire
une déclaration dimanche pour confirmer que la prise de contrôle, qui ajoute 5
billions $ de dettes au bilan de Washington, ne résultera pas en une
diminution de la cote de crédit du gouvernement américain.
L’ampleur de la crise et de
l’intervention gouvernementale est démontrée par le fait que Paulson
n’a pas informé que le président Bush avant d’annoncer le plan,
mais aussi le candidat présidentiel du Parti républicain, John McCain, celui du
Parti démocrate, Barack Obama et de hauts dirigeants du Congrès américain.
Les deux candidats ont annoncé qu’ils
appuyaient l’intervention tout en critiquant les actes passés du
gouvernement envers les deux prêteurs hypothécaires.
« Ces entités sont si gigantesques et
sont si liées au marché de l’immobilier qu’il est probablement
exact que nous fassions quelque chose pour nous assurer qu’elles ne
s’effondrent pas », a dit Obama devant une foule venue
l’entendre à Terre Haute en Indiana.
« Je crois que nous devons faire en
sorte que les gens puissent garder leur maison » a déclaré McCain lors
d’une interview qui fut télédiffusée dimanche à l’émission Face
the Nation sur le réseau CBS. Il a continué : « Il doit y
avoir une restructuration, il doit y avoir une réorganisation et il doit y
avoir une certaine confiance que nous allons stopper cette chute
incessante. »
Obama a proclamé que la prise de contrôle
ne doit pas servir à « protéger les investisseurs et les spéculateurs qui
comptent sur le gouvernement pour engranger des profits colossaux », alors
que McCain a dénoncé « les dirigeants des compagnies qui gagnent chaque
année des centaines de — certains plus d’un milliard de dollars
alors que tout plonge ». Le candidat républicain a reconnu,
« C’est ce copinage, cette corruption, qui fait que les gens, avec
raison, sont en colère. »
Tout cela n’est que démagogie vide.
La spéculation, le copinage et la corruption, omniprésents dans les opérations
de Fannie Mae et Freddie Mac, sont symboliques du parasitisme et de la
criminalité de l’élite dirigeante financière américaine dans son
ensemble.
De plus, cette unité des deux partis en
soutien de la prise de contrôle est l’expression la plus claire de la
subordination inconditionnelle des deux principaux partis politiques aux
intérêts fondamentaux de l’oligarchie financière américaine.
Un des facteurs qui ont décidé le
gouvernement à intervenir dimanche passé a été la vérification comptable des
compagnies réalisée par des conseillers de chez Morgan Stanley. Alors que les
rapports préliminaires étaient faits à grands traits, il semble que les
vérificateurs aient trouvé que les deux compagnies utilisaient des méthodes de
comptabilité à la Enron pour cacher la véritable ampleur de leur crise,
n’inscrivant pas la valeur de leurs titres dérivés des prêts subprimes.
Par conséquent, la quantité de capital que
les compagnies avaient pour se protéger de possibles pertes, déjà très faibles
selon les normes en vigueur, était en réalité beaucoup plus faible que celle
déclarée dans les livres. La capacité à accumuler de nouveaux capitaux
s’est nettement affaiblie avec la chute de la valeur de leurs actions au
cours des derniers mois.
« Freddie Mac a pris des décisions
comptables pour repousser les pertes dans le futur et retarder le manque de
capital jusqu’au quatrième trimestre de cette année, qui n’aura pas
à être déclaré avant le début de 2009 », a rapporté le New York Times.
« Fannie Mae a utilisé des méthodes semblables, mais à un degré moindre,
selon des personnes à qui on a fait rapport de la situation. »
Les deux géants du refinancement hypothécaire
ont déjà été impliqués dans des scandales comptables. Freddie Mac a été secoué
en 2003 après qu’il fut révélé que ses revenus déclarés avaient été
falsifiés pour un montant de 5 milliards $, alors que Fannie Mae était, elle,
accusée « d’erreurs comptables » totalisant la somme de 6,3
milliards $. Bien que Freddie et Fannie aient dû payer des amendes et remplacer
leur PDG, il n’y a pas eu d’enquête ni de changements importants
dans la façon d’opérer des compagnies.
Comme le New York Times décrit ces
opérations, les deux compagnies utilisaient l’appui implicite du
gouvernement pour « obtenir des prêts à un meilleur taux que celui du
marché et prêter de l’argent à un taux garantissant un retour sur
l’investissement supérieur à celui du marché », les transformant en
« ce qui revient à des gigantesques capitaux spéculatifs qui
n’opèrent qu’avec un très faible capital pour se protéger des
mauvaises surprises ».
Fannie Mae a été créée par le gouvernement
fédéral en 1938 lors du New Deal pour injecter du capital dans le marché de
l’hypothèque qui restait anémique après la Grande Dépression.
C’était à cette époque une agence gouvernementale qui avait le mandat
explicite de donner du crédit gouvernemental pour permettre aux familles
moyennes d’acheter une maison.
En 1968, elle a été transformée en une
compagnie privée, mais bénéficiant du soutien financier du gouvernement qui
avait pour objectif de sortir les dettes hypothécaires du bilan du gouvernement
déjà alourdi par les dépenses engagées pour la guerre au Vietnam. Freddie Mac a
été créé en 1970, lui aussi en tant que « compagnie soutenue par le
gouvernement ». Dans les années 1990, les deux agences ont joué un rôle
clé dans la bulle spéculative de l’immobilier qui a alimenté le boum sur
Wall Street avant l’actuelle crise du système financier mondial.
Le choix par le gouvernement des nouveaux
dirigeants pour les deux compagnies dont il vient de prendre le contrôle
indique bien les intérêts qu’il compte défendre. Le gouvernement a nommé
Herbert Allison, l’ancien vice-président de Merril Lynch, à la tête de
Fannie Mae alors que pour diriger Freddie Mac, c’est David Moffett qui a
été choisi. Moffett a été PDG de US Bancorp et est actuellement un conseiller
senior du groupe Carlyle.
(Article original anglais paru le 8
septembre 2008)