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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Rwanda : un rapport gouvernemental éclaire le rôle de la France dans le génocide de 1994

Par Kumaran Ira et Alex Lantier
16 septembre 2008

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Le 5 août, le gouvernement rwandais de Kigali a publié un document de 500 pages détaillant le rôle de la France dans le génocide anti-Tutsis mené par le gouvernement hutu, allié de la France, en 1994. S'appuyant sur des sources françaises — des documents personnels du président François Mitterrand récement publiés et des reportages de la presse écrite et télévisée — ainsi que des témoignages de témoins rwandais, ce rapport apporte de nombreuses preuves de la collaboration active de la France avec ceux qui ont planifié et mené les massacres.

Les conclusions sont largement en accord avec celles des enquêtes françaises sur le génocide, mais le rapport donne en outre les noms de politiciens français de haut rang, responsables des événements au Rwanda et présente des témoignages détaillés impliquant directement l'armée française dans les atrocités. Ce rapport établit l'implication de 33 politiciens et officiers français dans le génocide et appelle à ce qu'ils soient traduits en justice. Parmi les personnes nommées figurent l'ancien président de la République François Mitterrand et son fils Jean-Christophe, Édouard Balladur et Alain Juppé, respectivement premier ministre et ministre des Affaires étrangères à l'époque, ainsi que le premier adjoint de ce dernier, Dominique de Villepin, qui fut par la suite Premier ministre de 2005 à 2007.

Les massacres de 1994 ont eu lieu au moment où le Rwanda était confronté à une récession économique écrasante due à une dévaluation massive, exigée par le FMI, de sa monnaie et à l'effondrement des cours du café, sa principale culture d'exportation. Il devait également faire face à une invasion menée par le Front patriotique rwandais (FPR), majoritairement tutsi et soutenu par les États-Unis. En avril 1994, après la mort du président rwandais Juvénal Habyarimana lorsque son avion avait été abattu au-dessus de Kigali, le gouvernement avait commencé à diffuser à la radio des appels à la milice de l'Interahamwe, recrutée principalement parmi les jeunes Hutus au chômage, pour qu'ils se livrent au massacre des Tutsis. On estime que, d'avril à juin, l'Interahamwe et les autres milices qui lui étaient alliées ont tué 800 000 personnes, des Tutsis, mais aussi des Hutus opposés au gouvernement.

Des troupes d'élite françaises — 2550 soldats au sol plus un soutien aérien — se sont envolées pour Goma, à l'Est du Zaïre (aujourd'hui la République démocratique du Congo), et sont entrées au Rwanda. Leur but n'était cependant pas d'empêcher les massacres, mais de protéger le gouvernement contre l'invasion du FPR lié aux intérêts américains.

Le rapport qui vient d'être publié à Kigali et distribué aux médias établit que les troupes françaises ont collaboré avec les troupes gouvernementales à plusieurs reprises lors des atrocités commises contre les Tutsis. Selon le Kigali New Times, qui s'est procuré une copie, le rapport affirme : « Les soldats français ont participé à l'assassinat de Tutsis et de Hutus accusés de cacher des Tutsis. Les soldats français ont commis de nombreux viols contre les survivantes tutsies. Ces violences sexuelles visant spécifiquement les survivantes tutsies étaient systématiques ; en d'autres mots, fréquentes, tolérées, et résultaient des normes et des habitudes de l'institution à laquelle appartenaient les hommes qui les ont commises. »

Toujours selon le Kigali New Times, le rapport expose aussi la collaboration française lors des meurtres et des nettoyages ethniques : « Les troupes françaises ont adopté une politique de la terre brûlée. Elles ont donné l'ordre aux autorités locales dans trois préfectures, à Cyangugu, Kibuye et Gikongoro, d'inciter la population hutue à fuir vers le Zaïre en masse. Ils ont également exigé que les Tutsis qui s'étaient infiltrés dans les camps de réfugiés leur soient présentés et que l'Interahamwe en tue au moins quelques-uns. En plusieurs endroits des trois préfectures, ils ont laissé l'Interahamwe tuer des Tutsis sous leurs yeux. »

Une version de travail de 337 pages de ce rapport, publiée en novembre 2007, avait été mise en ligne par le Nouvel Observateur. En plus d'un matériel historique très dense tiré des archives gouvernementales françaises et rwandaises, elle fournissait des centaines de pages d'articles de journaux et de témoignages oculaires sur les atrocités commises ou avalisées par les troupes françaises, réunies lors de réunions publiques qui se sont tenues dans différentes villes du Rwanda.

D'après l'un des témoins, « Pendant le génocide, à la fin juin 1994, les Français sont arrivés à Nyarushishi où ils ont établi leurs positions. Tout autour du camp de Nyarushishi, il y avait des barrages routiers gardés par l'Interahamwe et la police. Pour arriver à Nyarushishi, les Français devaient passer les barrages. Un jour, trois jeunes ont été découverts par l'Interahamwe et se sont enfuis vers le camp, poursuivis par l'Interahamwe. Ils ont même réussi à entrer dans le camp de Nyarushishi. Le commandant de la police est entré dans le camp et les a emmenés. Les Français regardaient et n'ont rien fait. On n'a jamais revu ces trois jeunes. »

Un ex-membre de l'Interahamwe a déclaré dans son témoignage, « On a tué aussi des Tutsis qui sortaient des camps pour aller chercher du bois pour le feu, dont le fils de Sembeba, Charles. Après les avoir tués, nous les jetions dans une fosse commune près du barrage. Les troupes françaises venaient voir ce que nous faisions et disaient que nous étions de bons soldats. Comme récompense ils nous offraient des rations de survie. Ils nous accompagnaient aussi lors de nos patrouilles de nuit. »

La version de travail comprenait aussi une longue liste d'accusations de violences sexuelles de la part des soldats français contre des civiles rwandaises.

Malgré les atrocités relatées dans ces rapports, le gouvernement français a refusé de présenter des excuses et le gouvernement rwandais s'est pour l'instant gardé d'utiliser ces preuves pour inculper des politiciens français. Le ministre de la justice Tharcisse Karugamara a déclaré au Kigali New Times, « C'est un rapport d'enquête ; ce n'est pas un dossier criminel. Ce n'est pas une reconnaissance de culpabilité, mais sur la base de ce rapport, d'autres choses peuvent suivre. Nous ne souhaitons pas utiliser ce rapport comme une reconnaissance de culpabilité pleine et entière. »

Certains responsables français directement nommés dans le premier rapport l'ont attaqué ouvertement. Alain Juppé, qui était ministre des Affaires étrangères en 1994 y a fait référence dans un texte publié sur son blog le 27 janvier : « Ces dernières années, nous avons vu une tentative insidieuse de réécrire l'histoire. Cette tentative vise à faire passer la France du statut d'acteur engagé à celui de complice de génocide. C'est une falsification inacceptable. »

Le ministre de la Défense actuel, Hervé Morin, qui était en 1994 assistant du ministre de la Défense François Léotard, a qualifié les conclusions du rapport  d'« absolument intolérables » et a ajouté froidement que les soldats français « [n'avaient] rien à se reprocher ».

Pour l'instant, la réponse officielle du gouvernement consiste à tenter de faire oublier le rôle de la France dans le génocide en n'accordant aucune attention au rapport. Le ministre des Affaires étrangères a qualifié les accusations contenues dans le rapport d'« inacceptables », mais il a aussi déclaré qu'il voulait continuer à renforcer les liens de la France avec le Rwanda. « La France reste toujours aussi déterminée à construire une nouvelle relation avec le Rwanda, qui transcenderait ce passé difficile », a-t-il ajouté.

Le quotidien de centre-gauche français Le Monde, a commenté : « Tout le monde a reçu le message : ne faites pas de vagues... Les vacances d'été ont permis aux autorités françaises d'en faire le moins possible, et les nouvelles sur la France et le Rwanda seront diluées dans celles sur les Jeux Olympiques de Pékin. Le pouvoir exécutif a décidé que le Quai d'Orsay [ministère des Affaires étrangères] apportera la seule réaction officielle, au cours de ses conférences de presse quotidiennes. » Il a cité des assistants de Kouchner qui ont dit : « Nous ne voulons pas donner l'impression que nous prenons ce rapport trop au sérieux, pour éviter de lancer une polémique. »

Des négociations entre les représentants français et rwandais sont en cours. En décembre dernier, le président Sarkozy a rencontré le président rwandais Paul Kagame à Lisbonne, au Portugal. Il y a exprimé le « désir ardent de la France pour une réconciliation et également son souci de se confronter aux faiblesses et aux erreurs de la communauté internationale, dont la France, à l'épreuve du génocide rwandais. » Le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner s'est rendu à Kigali en janvier 2008. Un groupe de travail franco-rwandais s'est réuni à trois occasions par le passé pour négocier la reprise des relations officielles entre Kigali et Paris.

(Article original anglais paru le 14 août)


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