Mahmoud Ahmadinejad sera assermenté aujourd’hui pour
son deuxième mandat de quatre ans en tant que président de la République
islamique d’Iran, dans des conditions où les divisions au sein de
l’élite dirigeante sont aggravées par des menaces économiques et
militaires des Etats-Unis.
Les différends existant dans les milieux dirigeants
iraniens sont apparus symboliquement à la cérémonie de lundi lorsque le guide
suprême du pays, l’ayatollah Ali Khamenei, a appuyé officiellement
Ahmadinejad en tant que vainqueur de l’élection présidentielle du 12
juin.
Dans un geste sans précédent, certains des personnages les
plus puissants du pays ont boycotté l’événement. Parmi eux se trouvaient
les anciens présidents Ali Akbar Hashemi Rafsanjani et Mohammed Khatami ;
les candidats à la présidence défaits Mir Hossein Mousavi et Mahdi Karroubri;
ainsi que Hassan Khomenei, le petit-fils et l’héritier le plus en vue du
fondateur du régime, l’ayatollah Ruhollah Khomenei.
Des dizaines de clercs, de politiciens et de fonctionnaires
moins en vue, mais ayant tout de même de l’influence, ont aussi indiqué
qu’ils rejetaient la légitimité d’Ahmadinejad en refusant
d’assister à la cérémonie.
A la suite des résultats du 12 juin, les partisans de
Mousavi, qui défendent un rapprochement avec les Etats-Unis et les autres
grandes puissances ainsi qu’une profonde restructuration économique
néolibérale, ont organisé des manifestations durant des semaines. Ils ont
prétendu que les résultats étaient truqués et ont exigé de nouvelles élections.
Le boycott de lundi indique que la campagne de
l’opposition va se poursuivre malgré les appels et les menaces de
l’ayatollah Khamenei et ses partisans. La journée précédente, quelque 100
partisans de l’opposition qui avaient été arrêtés au cours des
manifestations (y compris l’ancien vice-président Muhammed Ali Abtahi) ont
été amenés devant un tribunal télévisé pour « avouer » et déclarer
leur loyauté à l’Etat islamique.
Malgré les accusations émanant de l’opposition, il
n’existe aucune preuve crédible d’une fraude électorale massive.
Ahmadinejad a remporté 60 pour cent des votes, surtout parmi la classe ouvrière
et les couches pauvres de la campagne. Souffrant déjà d’un chômage élevé
et d’une inflation galopante, des millions d’Iraniens ont craint
que les demandes de Mousavi pour d’importantes coupures dans les dépenses
sociales empirent leurs conditions de vie. Ils ont voté pour Ahmadinejad en tant
que « moindre mal ». Les travailleurs étaient sensiblement absents
des manifestations postélectorales subséquentes.
Les partisans de Mousavi proviennent en grande majorité de
couches sociales aisées qui espèrent bénéficier des politiques néolibérales et
de sections de jeunes qui croient naïvement aux vagues promesses de réformes
démocratiques. Mousavi a été appuyé par la famille Rafsanjani qui détient un
certain nombre d’entreprises et de vastes propriétés terriennes et par
d’autres sections de la grande entreprise iranienne qui veulent mettre
fin à leur isolement des marchés, des prêts et des investissements
internationaux.
Les Etats-Unis et leurs alliés ont cherché à exploiter la
crise politique afin faire pression sur le régime iranien en le poussant à
implanter les éléments principaux du programme politique, au pays et à
l’étranger, de Mousavi. Ils tentent d’obtenir ainsi un meilleur
accès aux réserves de pétrole et de gaz naturel, au marché intérieur et à la
considérable main-d’œuvre éduquée et bon marché de l’Iran,
ainsi que de l’aide pour consolider les occupations, dirigées par les
Etats-Unis, de l’Irak et de l’Afghanistan.
L’appui des puissances impérialistes est un facteur
significatif qui encourage la campagne en cours en Iran. Les groupes d’opposition
appellent à des manifestations contre la cérémonie d’assermentation
aujourd’hui aux principaux marchés de Téhéran et dans les autres villes.
Résumant les plans de l’opposition, un candidat défait, Mahdi Karroubri,
a dit à un journal espagnol hier : « Nous ne considérons pas ce
gouvernement comme étant légitime. Nous allons continuer de protester. Nous ne
coopérerons jamais avec ce gouvernement. Nous ne voulons pas lui faire de tort,
mais nous allons critiquer ses actions. Nous n’allons l’aider
d’aucune manière. »
Les menaces des Etats-Unis contre le régime
s’accentuent. Lundi, le New York Times a rapporté que
l’administration Obama cherche à rallier le Congrès, contrôlé par le
Parti démocrate, et les principaux alliés des États-Unis internationalement
afin qu’il appuie un embargo sur les produits pétroliers raffinés contre
l’Iran si ce dernier refuse de mettre fin à son programme nucléaire.
Ce geste hautement provocateur menace de faire éclater une
confrontation majeure avec l’Iran. Même si l’Iran est un producteur
pétrolier majeur, il importe présentement 40 pour cent de sa demande intérieure
en pétrole et en essence en raison d’une faible capacité de raffinage.
Sans les importations, l’Iran serait acculé au pied du mur.
Le New York Times a encore une fois fait référence à des affirmations
non confirmées selon lesquelles la Maison-Blanche avait conclu une entente avec
le gouvernement israélien pour que ce dernier attende que soient terminées les
rencontres du Conseil de sécurité de l’ONU de septembre avant de lancer
une attaque aérienne unilatérale contre les installations nucléaires
iraniennes.
Le but de ce délai serait de
donner à Washington plus de temps pour lui permettre d’obtenir l’endossement
par l’ONU de sanctions économiques plus dures contre l’Iran. Ceci
pourrait forcer Téhéran à reculer ce qui aurait pour conséquence de favoriser l’opposition
iranienne. Au contraire, toute attaque de la part d’Israël galvaniserait
la population de l’Iran derrière la défiance populiste de Khamenei et
Ahmadinejad contre les principales puissances.
Dans la période avant le
début des sessions de l’ONU, situation rappelant comment l’hystérie
d’« armes de destruction massive » en Irak avait été déclenchée,
des « sources occidentales des agences d’espionnage » anonymes se
sont confiées au Times de Londres,
affirmant sans preuve que l’Iran avait la capacité de construire une
bombe nucléaire en douze mois.
Le Conseil de sécurité de l’ONU,
toutefois, ne supportera probablement pas un train de sanctions plus dures.
Tant le gouvernement chinois que le gouvernement russe, conscients que la
question nucléaire n’est qu’un prétexte qu’utilisent les
Etats-Unis pour augmenter leur influence en Iran, pourraient faire usage de leur
droit de veto pour bloquer toute résolution.
De plus, les sanctions, peu
importe qu’elles soient endossées par l’ONU ou unilatéralement
appliquées par les Etats-Unis et les grandes puissances européennes, devront bénéficier
de l’appui de l’armée. L’Iran a menacé à plusieurs occasions
de répondre à une telle agression en fermant le détroit d’Hormuz par lequel
passent de nombreux pétroliers transportant d’immenses quantités de
pétrole du golfe Persique vers l’Asie et d’autres marchés.
Alors que l’administration
Obama a offert à l’Iran de négocier avec lui sur la question des
programmes nucléaires iraniens, la crise politique à Téhéran diminue de
beaucoup la possibilité de voir se réaliser cette offre. Les efforts des Etats-Unis
d’imposer des sanctions contre l’Iran ou de voir se réaliser une
attaque par l’Israël des installations nucléaires iraniennes pourraient
plonger le Moyen-Orient dans une autre guerre.