Des missiles tirés par des drones Predator
américains ont frappé un village pakistanais durant le week-end, faisant au
moins 13 morts. Cette attaque survient au moment où des articles décrivent
l’intensification des opérations par les escadrons de la mort des forces
spéciales américaines du côté afghan de la frontière.
Ces formes de guerre, qui équivalent en
fait à des assassinats ciblés, sont à l’avant-plan des premières
opérations de l’escalade ordonnée plus tôt ce mois-ci par le président
Barack Obama, qui envoie au moins 30.000 soldats de plus en Afghanistan.
Ces méthodes sont les caractéristiques
d’une sale guerre de type colonial qui a pour but de réprimer la
résistance à une occupation qui vise à faire régner la domination de Washington
dans la région stratégique riche en énergie de l’Asie centrale.
Rapportant les paroles de responsables
pakistanais, le quotidien de Lahore The Nation a publié dimanche que le
total des victimes d’une attaque de drone sur un village du
Nord-Waziristan s’élevait à 13. Deux missiles auraient frappé des
installations du village Saidgi, situé à environ six kilomètres de la
principale ville du Nord-Waziristan, Miranshah.
Les drones continuant à patrouiller la
région, un bombardier américain B-52 a aussi survolé le village selon les
médias pakistanais, terrorisant la population locale.
La frappe de missile était la troisième de
ce type sur le Nord-Waziristan depuis le 17 décembre. Cette zone fait partie de
la région tribale du nord-ouest du Pakistan qui est utilisée par des éléments
de la résistance afghane, soutenus par les tribus pachtounes au Pakistan, pour
lancer des attaques contre les forces d’occupation en Afghanistan.
Les opérations de drones ont été dirigées
par la Central Intelligence Agency (CIA) américaine, utilisant un aérodrome
secret dans la province pakistanaise du Baloutchistan pendant que des agents de
la CIA contrôlent les tirs de missiles, assis devant des écrans vidéo à Langley
en Virginie. Le Pentagone mènerait ses propres attaques par drones.
L’administration Obama a
considérablement intensifié ce type d’attaques, en en lançant deux fois
plus durant la dernière année que ne l’avait fait l’administration
Bush lors de la dernière année de son mandat. Le caractère secret du programme
de la CIA sert en partie à masquer l’horreur des morts civiles causée par
les tirs de missiles Hellfire sur les villages pakistanais.
Comme c’est essentiellement le cas
pour toutes ces attaques, les médias américains ont répété les paroles des
responsables des services du renseignement en soutenant que les victimes de la
dernière frappe de missile étaient toutes des « militants », sans
aucune confirmation de l’identité de ces victimes.
Le quotidien The News de Lahore,
citant des données fournies par les responsables pakistanais, a rapporté en
avril que 687 civils avaient été tués par une soixantaine de frappes de drones
menées depuis janvier 2008. Avec la même proportion, 30 attaques de drones
supplémentaires ayant été lancées depuis, le nombre de civils pakistanais tués
pourrait facilement avoir dépassé le millier.
Pendant les deux dernières années, le
gouvernement pakistanais — autant celui du dictateur militaire Pervez
Moucharraf que son successeur, le président Asif Ali Zardari du parti du peuple
du Pakistan — a conçu un modus operandi avec Washington qui consiste pour
le Pakistan à protester publiquement les attaques de drones et à demander
qu’elles arrêtent, tout en leur donnant le feu vert dans les coulisses.
Les responsables américains ont présenté
les frappes de missiles comme une tentative de tuer des chefs d’Al-Qaïda.
Les dernières séries d’attaques, cependant, ont été lancées
spécifiquement contre des éléments de la résistance afghane que l’armée
américaine et les agences de renseignements nomment le réseau Haqqani, dénommé
pour son chef Jalaluddin Haqqani, qui opérait à partir du même sanctuaire situé
dans le Nord-Waziristan dans les années 1980. Il était alors un des principaux
récipiendaires des armes et de l’aide américaines dans le cadre de la
guerre, appuyée par la CIA, contre le régime pro-soviétique à Kaboul.
Depuis l’annonce de l’escalade
afghane, Washington a mis de la pression sur le gouvernement pakistanais pour
qu’il envoie ses troupes contre le groupe Haqqani et d’autres
forces alignées sur les talibans afghans qui opèrent à partir du Nord-Waziristan,
tout juste l’autre côté de la frontière afghane. Cependant, Islamabad a
refusé en citant sa présente campagne militaire au Sud-Waziristan, qui fait
partie des régions tribales fédéralement administrées.
La campagne au Sud-Waziristan est dirigée
contre des insurgés islamistes pakistanais tenus responsables pour une série d’attaques au nord-ouest du pays.
Comme le Washington Post l’a
fait remarqué, le gouvernement pakistanais a conclu une trève avec le seigneur
de guerre local au Nord-Waziristan, Hafiz Gul Bahadur, pour obtenir en retour
que ses forces demeurent hors des combats au sud.
« Les frappes de missiles sur son
territoire pourraient mettre en danger cet accord », selon le Post,
qui a ajouté : « Cependant, les Etats-Unis ont indiqué dans le passé
qu’ils n’hésiteront pas à lancer des missiles à partir de drones
s’ils trouvent une cible importante. »
Dans les récentes semaines, des
responsables et des commandants militaires américains ont augmenté la pression
sur le gouvernement pakistanais, le mettant en garde que s’il
n’agit pas au Nord-Waziristan, l’armée américaine et la CIA
interviendront unilatéralement.
Le New York Times a rapporté lundi
que l’armée américaine utilise de plus en plus ses unités secrètes
d’opérations spéciales comme une composante clé de l’« escalade »
d’Obama en Afghanistan. Ces forces — incluant l’Army Delta
Force et la Navy Seals — sont employées à trouver et tuer des Afghans qui
sont identifiés comme étant des chefs ou des partisans de la lutte contre
l’occupation menée par les Etats-Unis dans ce pays.
Les assauts par les forces
d’opérations spéciales ont été arrêtés en février dernier sur les ordres
du chef du commandement des opérations spéciales, le
vice-amiral William McRaven. Les assauts infligeaient
tellement de morts et de blessés civils qu’elles généraient de la sympathie
populaire pour les insurgés qui surpassait l’importance militaire de tuer
de supposés chefs de la résistance. La suspension de ces opérations n’a
duré que deux semaines.
Maintenant, le général Stanley McChrystal,
le plus haut dirigeant de l’armée américaine en Afghanistan, a ordonné
que ces attaques par les troupes d’opérations spéciales soient grandement
augmentées. Avant d’assumer le commandement en Afghanistan, McChrystal a
été le prédécesseur de McRaven à la tête du commandement des opérations
spéciales où les unités sous son commandement étaient impliquées dans la
torture de civils détenus en Irak.
L’utilisation de ces unités secrètes
contre ceux qui sont suspectés être les dirigeants de la résistance afghane se traduira
inévitablement en une augmentation importante de l’assassinat de civils,
hommes, femmes ou enfants.
Le New York Times a aussi rapporté
que des opérations similaires par des escadrons de la mort étaient organisées
sous la direction de la CIA de l’autre côté de la frontière au Pakistan.
Cirant un haut responsable anonyme de l’agence
militaire du renseignement au Pakistan, l’Inter-Services Intelligence
(ISI), le New York Times a rapporté qu’il y avait eu « plus
de soixante opérations conjointes de l’ISI et de la CIA dans les régions
tribales administrées fédérales et au Baluchistan l’an passé ».
Selon le quotidien, « ces missions
comprenaient des opérations de recherche et d’enlèvement de militants importants
ainsi que l’assassinat de dirigeants ».
L’intensification (surge)
ordonnée par Obama signifie une escalade importante de la violence des deux côtés
de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan ainsi que l’intensification
de la crise sociale et politique qui règne sur toute la région en conséquence
de la guerre américaine.
Tant l’Afghanistan que le Pakistan
font partie de la liste des dix pays confrontant les pires crises humanitaires
que dresse le groupe d’aide médicale basé en France, Médecins sans
frontières.
« [L]es civils afghans ont été
confrontés à une recrudescence de la violence d’un bout à l’autre
du pays » l’an dernier, a rapporté le groupe. Les
combats ont amené le système de santé du pays au bord de l’effondrement,
et « les Afghans qui ont besoin de soins de santé se voient
contraints de faire un choix impossible : prendre le risque de parcourir
des centaines de kilomètres dans une zone de guerre afin d'obtenir des soins
médicaux, ou laisser leur état de santé se dégrader jusqu'à ce que leur vie
soit menacée, pour ensuite seulement se rendre dans un établissement de santé
dont les services ont été de beaucoup amoindris. »
Les forces de l’occupation sous direction américaine,
dit le rapport, « se sont approprié les services d'assistance dans le
cadre d'initiatives destinées à gagner « la confiance et le cœur »
des Afghans » et « ont occupé les hôpitaux et arrêté des patients
dans leur lit ».
« Le Pakistan a été le théâtre
de violents combats tout au long de l’année 2009 » peut-on lire dans
le rapport, la situation déjà désespérée devenant encore pire. « Partout
dans le pays, les soins de santé font généralement défaut, et le Pakistan
affiche des taux de mortalité infantile et maternelle parmi les plus élevés de
la région. »
Les campagnes de l’armée pakistanaise, réalisées à l’insistance
de Washington, ont résulté en plus de deux millions de réfugiés dans la vallée
de Swat et en 300.000 personnes au Nord-Waziristan, selon Médecins sans
frontières. L’offensive militaire a forcé l’organisation a stoppé
son assistance médicale dans la vallée de Swat, où elle soutenait l’hôpital
local et fournissait les services d’ambulance.
Les hôpitaux et les cliniques médicales des camps des
déplacés dans les districts voisins sont « dépassés », rapporte l’organisme,
par le nombre des patients souffrant de « graves blessures de guerre, et
parmi eux, des enfants présentant des blessures provoquées par des armes à feu
ou des engins explosifs ».
L’an dernier a aussi connu une hausse importante du
nombre des soldats américains tués et blessés. Les pertes en Afghanistan pour
les forces d’occupation américaines ont atteint 310 soldats depuis le
début de 2009, soit le double de l’année précédente. Environ 2500 soldats
américains ont été blessés dans la même période, plusieurs ayant dû subir des
amputations ou ayant subi des brûlures graves ou des blessures à la tête après
que leur véhicule ait explosé sur une route.
Comme les commandants militaires américains l’ont déjà
concédé, l’arrivée en Afghanistan de 30.000 soldats américains et de
dizaines de milliers de sous-contractants militaires privés supplémentaires signifiera
une augmentation importante du nombre des assassinats et des morts à cause de
la guerre américaine déjà vieille de huit ans.
(Article original anglais paru le 28 décembre 2009)