Les projets d'alliance entre les NPA et les partis de gouvernement aux
élection régionales de mars 2010 donnent une mesure importante de
l'évolution rapide du NPA vers une collaboration gouvernementale avec la
gauche établie. Depuis l'automne, des rencontres publiques régulières ont
lieu entre le Front de Gauche -- c’est-à-dire le Parti de Gauche (PG) et le
Parti Communiste Français (PCF) -- et le NPA, pour décider des modalités de
l'alliance.
Le 7-8 novembre, le Conseil Politique National du NPA a voté à 66 pour
cent un « accord national », sur la base de listes « indépendantes de celles
présentées par le PS et Europe-Ecologie » au premier tour avant des «
fusions démocratiques » au second tour des élections régionales. Ceci
suppose des négociations avec le PS, pour le placement de candidats dans des
positions éligibles dans la liste de « fusion démocratique », selon la
proportion éventuelle de votes gagnés par le PS, le NPA, et les autres
partis alliés. L’accord national du NPA reprenait essentiellement un texte
voté par une réunion du Front de Gauche le 28 octobre.
L’accord entérine bel et bien le principe que le NPA participerait à des
administrations PS, malgré les prétentions d’indépendance du NPA et les
vagues critiques de « social-libéralisme » qu’il destine au PS.
Ayant fait ce pas, le NPA a immédiatement tenté de brouiller les pistes
en proposant un amendement au texte du Front de Gauche. La motion du NPA
déclarait que sa participation aux exécutifs régionaux "ne sera pas possible
dans le cadre d'exécutifs qui seraient dominés par le PS et/ou
Europe-Ecologie qui mènent des politiques d'adaptation au libéralisme".
Cette condition posée par le NPA ne sert qu’à maintenir une indépendance
de façade par rapport au PS, car elle soulève la question suivante: quelle
pourrait être la politique d’une alliance incluant le PS et le PCF, sinon
une politique libérale? Ces deux partis ont mené des politiques d’austérité
bien connues sous la présidence de François Mitterrand (1981-1995) et le
gouvernement du premier ministre Lionel Jospin (1997-2002). Après le début
de la crise financière l’année dernière et l’échec du PS aux élections
européennes de juin 2009, une section importante du PS a même voulu éliminer
le terme « socialiste » du nom du parti !
En clair, le NPA participerait à des administrations PS, tant que la
politique de ce dernier ne suscite pas trop de critiques pour son caractère
libéral et droitier. Mais, en cas de controverse, il veut se préserver le
droit de faire des critiques limitées du PS.
L’amendement du NPA n’a pas convenu à Marie-George Buffet et Jean-Luc
Mélenchon, chef du PG -- dont les partis dépendent d’une alliance plus
étroitement liée au PS.
Buffet, secrétaire nationale du PCF, avait exposé ses vues dans
l'Humanité du 6 novembre pour faire pression sur le NPA: « La vocation
du Front de gauche est de rassembler la gauche sur la plus haute ambition
pour les citoyens. Au second tour, nous nous rassemblerons, nous l’avons dit
avec clarté, pour battre la droite et former des majorités pour porter nos
propositions. Car, contrairement à Olivier Besancenot, nous ne pensons pas
qu’il faut une « bonne opposition de gauche» dans les régions, mais bien de
bonnes majorités de gauche ».
Le 16 novembre, les représentants du Front de Gauche ne sont pas venus à
une réunion prévue avec le NPA.
Dans un article du 22 novembre, le NPA est revenu sur sa proposition que
refuse le Front de Gauche : "La possibilité de participer aux exécutifs
régionaux dépend donc des rapports de force politiques et sociaux qui
conditionnent la politique qui pourrait y être réellement mise en œuvre.
[...] Nous refuserons donc de participer à un exécutif dominé par le PS ou
Europe Écologie qui mènerait une politique libérale conforme aux exigences
du patronat et de l’Union Européenne. ».
La proposition A, formulée le 25 novembre par la majorité du NPA,
confirme cette concession à la droite: "De telles fusions démocratiques, que
permet la loi dans le cas où nos listes dépasseraient les 5%, ne pourraient
se concevoir qu'avec des listes de gauche sans accord avec le MoDem."
Malgré l'échec, le NPA ne ferme pas la porte à une alliance avec le Front
de gauche : « le NPA, dans les semaines qui viennent, poursuivra les
discussions en cherchant à rassembler toutes les forces disponibles pour une
telle politique. Ni adaptation au cadre proposé par la direction du PCF ni
satisfaction d’un repli solitaire, qui ne constitue pas notre politique. »
Ces négotiations vont au coeur de la raison d'être du NPA, fondé en
février 2009 par la Ligue Communiste Révolutionnaire. Le principal enjeu
idéologique du congrès fondateur était de renier l'association historique de
la LCR avec le trotskysme, pour mieux permettre une collaboration avec les
partis de gouvernement en France. La principale question d’actualité
débattue au congrès fondateur était de voir comment faciliter les alliances
avec le PG et le PCF, à qui le NPA a permis de distribuer des tracts à
l’intérieur de son propre congrès.
Pour les élections européennes de juin 2009, le NPA est parti seul,
refusant une alliance avec le Front de Gauche du PCF et du PG. Les résultats
du NPA ont été mauvais: il s’est retrouvé derrière le Front de Gauche, avec
respectivement 4 et 6 pourcent des voix. L'échec des élections européennes a
servi de justification pour la position centrale du congrès, à savoir un
rapprochement avec les staliniens et les sociaux-démocrates.
Les négotiations elles-mêmes ont un caractère factice, tendant à cacher
les liens profonds qui existent entre le NPA et le Front de Gauche. Une
section importante du NPA, la minorité Gauche unitaire dirigée par Christian
Piquet, milite au sein du Front de Gauche. Cependant, cette tendance a
obtenu une représentation officielle au sein de la direction nationale du
NPA lors du congrès fondateur -- où l'attitude vers le PCF et le PG parmi
les délégués était des plus bienveillantes.
Il n'est pas sûr, non plus, que le NPA impose une ligne nationale à ses
sections dans les régions. Elles pourraient bien arriver à leurs propres
arrangements avec le Front de Gauche et le PS, région par région.
Le caractère factice de l'opposition du NPA à la droite ressort également
des tentatives de lancer une alliance NPA-Front de Gauche. Le Front de
Gauche n'a aucune opposition de principe à des accords avec la droite -- le
PCF a participé dans plusieurs municipalités à des listes jointes avec le
MoDem aux élections municipales de 2008, notamment à Lille et à Dijon.
Pour le PS, l'alliance avec une section de la droite a une importance de
plus en plus critique. Lors des dernières élections régionales en 2004, le
PS avait obtenu 20 régions sur 22 en métropole. Or, le parti socialiste a
perdu les élections présidentielles de 2007 et les européennes en 2009. Pour
conserver ces régions, le PS doit conclure des alliances les plus larges
possibles, et l'alliance avec le MoDem, ainsi qu'avec les Verts qui sont des
alliés de longue date du PS, est de plus en plus souhaitée au sein du PS.
L'attitude du NPA envers cette éventualité donne un aperçu essentiel de
l'hypocrisie de son opposition verbale au PS et aux partis de droite. Dans
une déclaration, le NPA observe qu'une alliance PS-Bayrou serait «
exactement le même scénario qui a conduit à la catastrophe en Italie. Alliée
au centriste Prodi, la gauche a d'abord battu Berlusconi puis déçu les
attentes populaires, ouvrant la voie à Berlusconi II. Aujourd'hui, il ne
reste plus un seul député de gauche au parlement italien ».
L’exemple italien est fondamental, car il souligne que le NPA tente de
nouer des alliances, sachant qu'elles se solderont par une trahison des
travailleurs. Lors de l’élection de 2006, Rifondazione Comunista
(Refondation communiste), le Parti des communistes italiens (PdCI) et les
Verts avaient pu obtenir ensemble près de 4 millions de suffrages. Les 14 et
15 avril 2008, ces mêmes partis se sont effondrés, n’obtenant même pas le
minimum requis pour une représentation au parlement italien.
Durant les deux années qui ont séparé ces deux élections, les partis
composant la Gauche arc-en-ciel avaient participé activement au gouvernement
de Romano Prodi et avaient soutenu à tous égards sa politique à l’encontre
des intérêts des travailleurs. Le gouvernement de Romano Prodi a envoyé des
troupes militaires supplémentaires en Afghanistan et a réduit le déficit
public, en s'attaquant notamment aux retraites.
Toutes ces mesures ont été soutenues par la Gauche arc-en-ciel, avec
l’argument que c’était le seul moyen pour empêcher le retour au pouvoir de
Silvio Berlusconi. Alors que les éléments les plus droitiers du gouvernement
Prodi imposaient leur politique, la soi-disant « gauche » s’inclinait devant
cette politique et poignardait ses électeurs dans le dos.
Les critiques qu'adresse le NPA au gouvernement Prodi et implicitement
aux co-penseurs italiens du NPA, regroupés depuis 2007 dans l'organisation
pabliste Sinistra Critica, sont fondamentalement impuissantes. Les pablistes
italiens avaient participé au parti stalinien Rifondazione Comunista, qui
fut une composante essentielle de la coalition de Prodi. Aujourd'hui, le NPA
agit comme l'ont fait les pablistes italiens: il prépare une alliance avec
les staliniens français, dont le but ne peut être que de ramener le PS au
pouvoir, sur un programme politique droitier.