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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

En honneur du bicentenaire d’Abraham Lincoln et de Charles Darwin

28 février 2009

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La naissance le même jour, le 12 février 1908, d’Abraham Lincoln et de Charles Darwin, figure parmi les coïncidences les plus remarquables de l’histoire. Lincoln, en tant que le 16e président des Etats-Unis, apporta une contribution immense à la libération politique de l’humanité. Darwin contribua énormément, dans les sphères de la science, à sa libération intellectuelle. Aujourd’hui, le World Socialist Web Site rend hommage à la mémoire de ces deux très grands hommes.

Abraham Lincoln

La place d’Abraham Lincoln dans l’histoire repose sur sa capacité de direction des Etats-Unis lors de la Guerre civile (1861-1865) et son rôle central joué dans l’élaboration de la proclamation d’émancipation qui posa les fondements légaux pour l’abolition de l’esclavage. Mais l’esclavage et l’oligarchie sudiste qui en dépendait ne furent finalement détruits que par la victoire de l’armée de l’Union dans le Sud qui transforma le conflit sur l’esclavage en ce que l’historien James McPherson a appelé correctement la seconde Révolution américaine.

On a écrit davantage sur Lincoln que sur n’importe quel autre personnage de l’histoire américaine. Chaque aspect quasiment de son extraordinaire carrière politique a été expliqué dans le détail. La légende qui entoure son nom est si vaste qu’il devient difficile de faire la part entre l’individu réel de l’icône. Mais, la manière dont la vie et le caractère de Lincoln furent liés aux plus grandes questions historiques de notre temps, l’esclavage et le sort de l’Union, mérite une attention particulière.

Lincoln joua un rôle crucial dans l’une des grandes luttes progressistes de l’histoire moderne. La Guerre civile avait inexorablement émergé des contradictions fondamentales qui n’avaient pas été résolues après la première Révolution américaine, laquelle avait proclamé, dans un langage émouvant, l’égalité entre les hommes et approuvé le recours à la révolution pour détruire toute forme de tyrannie.

Les révolutionnaires de 1776, bien qu’ils aient été conscients de la contradiction entre leur rhétorique sur l’égalité et l’existence de l’esclavage, firent des compromis sur leurs principes quand il fut question de « l’institution singulière ». Il ne fait pas de doute qu’ils étaient nombreux à espérer que le problème de l’esclavage se résoudrait avec le temps. Mais, suite à la révolution, la classe esclavagiste augmenta progressivement ses pouvoirs sur les institutions de l’Etat, alors même que le poids social et la puissance industrielle du Nord augmentaient.

L’expansion territoriale au début de la République soulevait constamment le problème de l’équilibre des forces entre Etats esclavagistes et Etats libres. La classe des planteurs du Sud lutta jalousement pour sauvegarder sa position politique privilégiée en faisant en sorte que de nouveaux territoires esclavagistes correspondent, au moins en nombre et en poids électoral, aux Etats dans lesquels l’esclavage était illégal. Certains éléments au sein de l’élite sudiste de plus en plus perturbée jouaient même avec la vision d’un empire esclavagiste qui s’étendrait jusqu’aux Caraïbes.

La guerre provocatrice des Etats-Unis contre le Mexique en 1846, visant à profiter au « pouvoir esclavagiste » avec un vaste nouveau territoire allant du Texas à l’Océan pacifique, mit en branle une série d’événements qui conduisirent finalement à la Guerre civile. Ce fut en réaction à cette guerre que Lincoln, alors membre du Congrès en Illinois, tint l’un de ses discours les plus remarquables en condamnant comme fausse « gloire militaire, cet arc-en-ciel attrayant qui s’achève en averses de sang ». Lincoln soumit à un examen minutieux tous les prétextes de guerre du président James K. Polk en les exposant comme faux et la guerre comme anticonstitutionnelle. Ecoeuré à la suite de la guerre mexico-américaine Lincoln quitta le Congrès pour reprendre son métier d’avocat à Springfield dans l’Illinois.

Durant les années 1850, l’élite sudiste consolida sa domination politique des leviers du pouvoir en contrôlant la présidence, le Congrès et la Cour suprême. Elle traduisit ce pouvoir, en actes provocateurs qui exaspérèrent de plus en plus l’opinion publique nordiste.

Le Kansas-Nebraska Act de 1854 fut initié et soutenu au Congrès par le sénateur démocrate de l’Illinois, Stephen Douglas. En essence, la loi faisait capoter le compromis du Missouri de 1820 en permettant l’élargissement de l’esclavage au territoire du Nord sur la base de la « souveraineté populaire » et en créant une guerre civile sur le territoire du Kansas entre sa majorité anti-esclavage et les forces pro-esclavage du Missouri voisin. Puis, en 1857, l’affaire tristement célèbre de Dred Scott dans laquelle la Cour suprême dont le juge en chef était Roger Taney décida que toutes les personnes ayant une ascendance africaine, qu’elles soient esclaves ou personnes libres, ne disposaient pas de droits en tant que citoyen ou en tant que personne, et que le Congrès n’avait nulle part le pouvoir d’interdire l’esclavage aux Etats-Unis.

Le Kansas-Nebraska Act incita Lincoln à revenir à la vie politique et donna l’impulsion à la création du Parti républicain. Lincoln formula dans son discours de Peoria en 1854 son opposition à l’élargissement de l’esclavage aux nouveaux territoires. A partir de ce moment, son étoile politique s’éleva au même rythme que le Parti républicain et l’opposition nordiste grandissante à l’esclavage, opposition qui s’était renforcée après l’arrêt Dred Scott.

En acceptant en 1858 la nomination républicaine pour le Sénat, Lincoln fit campagne contre Douglas dans une série de débats légendaires en Illinois. Des milliers d’habitants de l’Illinois voyageaient plusieurs jours durant pour assister à ces duels qui duraient des heures. La question brûlante était l’esclavage. Douglas préconisait une politique de conciliation envers le Sud tandis que Lincoln s’opposait à une extension de l’esclavage et au Kansas-Nebraska Act. Les débats Lincoln-Douglas étaient suivis de près par la nation entière, signifiant que l’histoire ne s’était pas seulement emparée de Lincoln mais aussi des masses de nordistes. Et bien qu’il eût failli perdre les élections, Lincoln émergea en tant que personnalité jouissant d’une importance nationale.

Ce qui catapulta Lincoln à la direction nationale du Parti républicain fut néanmoins son discours prononcé fin février 1860 à la Cooper Union [établissement d’enseignement supérieur] de New York. Le discours était une exposition brillante et soigneusement pensée de la futilité du plaidoyer de Douglas en faveur de la souveraineté populaire. Le discours démontra non seulement la force de l’intellect de Lincoln mais ses immenses qualités politiques. Ces qualités lui permirent de vaincre, lors de la nomination présidentielle républicaine de 1860, les candidats mieux connus, le sénateur William Seward de New York et le gouverneur Salmon Chase d’Ohio.

Lincoln remporta en 1860 une élection présidentielle divisée de quatre manières différentes, en battant le démocrate Stephen Douglas dont les rêves d’un compromis furent brisés du fait qu’au sein de son propre parti, les démocrates du Sud retirèrent leur soutien à la nomination de John Breckinridge du Kentucky. Le restant du Parti whig nomma John Bell. La polarisation du pays était telle que Lincoln fut vainqueur dans tous les Etats du Nord sauf au New Jersey, et il fut exclu du vote dans tous les Etats du Sud à l’exception de deux.

La victoire de Lincoln eut pour conséquence la sécession de la plupart des Etats du Sud en l’espace de trois mois. Puis, en avril 1861, les forces du Sud attaquèrent la base de l’armée fédérale du Fort Sumter en Caroline du Sud. En réaction, Lincoln appela immédiatement à une mobilisation populaire pour vaincre ce que Lincoln allait dorénavant appeler une rébellion. Il était confronté à une tâche politique de taille.

La répugnance de Lincoln à faire un compromis sur la survie de l’Union se heurta à l’incompréhension et à la résistance de bon nombre de gens dans le Nord qui croyaient qu’il serait impossible, voire imprudent de mettre en échec l’insurrection dans le Sud. Parmi ceux-ci se trouvaient des personnalités gradées de l’armée, dont le général McClellan dont le refus de faire la guerre avec suffisamment de détermination frôlait la trahison.

C’est un fait connu que l’intention initiale de Lincoln n’était pas la destruction de l’esclavage, que, personnellement, il désapprouvait, mais le maintien de l’Union. Il adressa une lettre célèbre à l’abolitionniste Horace Greeley en 1862, « Si je pouvais sauver l’Union sans libérer d’esclave je le ferais et si je pouvais la sauver en libérant tous les esclaves, je le ferais et si je pouvais la sauver en en libérant certains et en en laissant d’autres, je le ferais aussi. » Des abolitionnistes, tels Frederick Douglass et William Lloyd Garrison trouvaient cette position inadéquate et vouée à l’échec. En fin de compte, il s’avérera que les abolitionnistes eurent raison.

Lincoln finit par reconnaître que la défaite de l’insurrection du Sud nécessitait l’adoption par l’Union  d’une politique révolutionnaire ; que l’Union ne pourrait pas être sauvée sans détruire l’oligarchie sudiste et le système de l’esclavage. Une fois arrivé à cette conclusion, la détermination avec laquelle il poursuivit cet objectif révolutionnaire l’éleva au rang des grands dirigeants politiques, non seulement des Etats-Unis, mais de l’histoire moderne.

Lincoln se révéla être un politicien extrêmement habile. Il fit preuve d’habileté en évaluant la situation et le cours probable de son développement en permettant aux questions cruciales de mûrir avant de prendre une décision. Par moment, sa patience à laisser les événements se développer semblait friser la temporisation.

Karl Marx, qui écrivait des articles pour un journal allemand sur la Guerre civile aux Etats-Unis, avait remarqué cette qualité dès 1862, après que Lincoln eut renvoyé McClellan, et écrivit « Le président Lincoln ne fait jamais un pas, avant que le cours des événements et l’état général de l’opinion publique, interdisent tout délai supplémentaire. Mais, une fois qu’« Old Abe » s’est convaincu lui-même qu’un tel tournant a été atteint, il surprend autant ses amis que ses ennemis par la soudaineté d’une opération menée avec le moins de bruit possible. »

C’est en raison de sa détermination à poursuivre la guerre civile que le personnage de Lincoln s’identifia à la grande cause historique de l’émancipation. Le 1er janvier 1863, Lincoln lançait la proclamation de l’émancipation qui déclarait que « toutes les personnes détenues en esclavage » dans la Confédération « seront déclarées libres ». La proclamation d’émancipation était nécessaire en raison des exigences de la guerre. Mais elle reconnaissait clairement, pour la première fois, le caractère révolutionnaire de la guerre. En libérant légalement les esclaves, la plus grande saisie, par un Etat, de la propriété privée dans toute l’histoire mondiale avant la Révolution russe, Lincoln asséna un coup mortel à l’ordre social tout entier dans le Sud.

Les travailleurs conscients de leur classe en Europe considéraient Lincoln comme le dirigeant d’une grande cause progressiste, la destruction de l’esclavage, à laquelle ils s’identifiaient totalement en manifestant leur solidarité politique. Ce fut le cas notamment pour la classe ouvrière anglaise et bien que la guerre civile privât de coton leurs usines de textile. Quoique les capitalistes britanniques aient amoncelé d’énormes profits des Etats du Sud de l’Amérique, la haine des travailleurs britanniques pour l’esclavage rendit une intervention dans la guerre aux côtés des sudistes, considération envisagée jusqu’en 1864, politiquement impossible.

A l’occasion de sa réélection, Marx adressa à Lincoln ses félicitations au nom de la Première Internationale. Il incombait à Lincoln, écrivait Marx, « l’énergique et courageux fils de la classe travailleuse, pour conduire son pays dans la lutte sans égale pour l’affranchissement d’une race enchaînée et pour la reconstruction d’un monde social ». La lettre de Marx fut bien accueillie et une réponse fut envoyée par l’ambassadeur de Lincoln en Grande-Bretagne, Charles Francis Adams, le petit-fils de John Adams.

La force de l’intégrité qui sous-tendait ses actions explique l’éloquence extraordinaire et simple avec laquelle il formulait les idéaux de l’Union pour un auditoire international. A côté de la prose de Thomas Jefferson dans la Déclaration de l’Indépendance, les discours de Lincoln n’ont rien perdu de leur vitalité ; son expression mémorable reste parmi les plus éloquentes de la langue anglaise.

Lincoln était apparu juste au moment où la littérature américaine était en train d’établir une présence artistique de qualité mondiale ; Nathaniel Hawthorne et Herman Melville étaient ses contemporains. Les influences littéraires principales de Lincoln étaient la Bible de King James et Shakespeare, son intérêt dans la première était toutefois entièrement d’ordre littéraire. Il n’adhéra jamais à une église et avait déclaré une fois, « La Bible n’est pas mon livre et la chrétienté n’est pas mon dogme. » Ses associés se souviennent que Lincoln étaient capable de réciter par cœur de longs passages des pièces historiques et des tragédies de Shakespeare.

La métaphore biblique et la perception par le poète du théâtre de l’histoire imprègnent la prose de Lincoln. Dans le discours de Gettysburg en 1863, Lincoln identifiait la lutte à une guerre visant à garantir que « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, ne disparaîtra pas de la terre ». En 1858, lors d’un débat avec Douglas, Lincoln avait dit, « de même que je refuse d’être un esclave, je refuse d’être un maître. Telle est mon idée de la démocratie. » En acceptant la nomination républicaine pour un siège de sénateur dans l’Illinois en 1858, Lincoln avait prophétiquement mis en garde qu’« une maison divisée contre elle-même ne peut rester debout ».

Dans son deuxième discours inaugural, Lincoln remarquait sur le ton de l’incrédulité sardonique les relents religieux de la Guerre civile. « Les deux camps lisent la même Bible, prient le même Dieu, et chacun invoque son aide contre l’autre. Il peut paraître étrange que quiconque ose demander le secours d’un Dieu juste pour continuer à gagner son pain à la sueur du front des autres ; mais ne jugeons pas, de peur d’être jugés. »

Lincoln était véritablement humain. A la stupéfaction de ses généraux, il suspendit des centaines de condamnations à mort de soldats accusés d’avoir fui les champs de bataille. Lors de l’un des cas de clémence le plus vaste de l’histoire américaine, de la part de l’exécutif, il révisa personnellement et commua les peines de mort de 269 hommes Sioux, des indigènes américains, qui avaient été condamnés à mort par pendaison pour un soulèvement dans le Minnesota en 1862.

Il était également connu pour être un excellent raconteur d’histoires et un homme d’esprit et d’humour inhabituel. Mais, allait de pair avec toutes ces caractéristiques une profonde mélancolie qui se lit sur le visage de l’homme sur les photographies. Durant la Guerre civile, Lincoln restait dans un bureau télégraphique de Washington à attendre les rapports sur les résultats des batailles et le nombre de victimes. La guerre qui dura quatre ans et qui coûta la vie à plus 600 000 personnes, pesa lourdement sur Lincoln tout comme les tragédies personnelles qui accablèrent sa famille et la vie turbulente de sa femme, Mary Todd. La mort priva le couple de deux jeunes enfants ; Lincoln avait été particulièrement attaché au second, Willie, qui mourut en 1862 à l’âge de 11 ans, probablement de la typhoïde.

Tragédie poétique, Lincoln fut lui-même assassiné le 14 avril 1865, une semaine après la reddition de la Confédération à l’Appomattox Court House en Virginie. Lincoln fut mortellement touché alors qu’il assistait à la représentation d’une comédie au Théâtre Ford à Washington au moment où Wilkes Booth, un acteur bien connu, fit irruption dans sa loge pour lui tirer une balle dans la nuque.

A la suite de l’assassinat de Lincoln, Marx reprit une fois de plus sa plume au nom des travailleurs socialistes d’Europe, pour s’adresser cette fois à Andrew Johnson, le vice-président de bien moindre envergure de Lincoln. Lincoln, écrivait Marx, était un homme « que l’adversité ne pouvait abattre, que le succès ne pouvait griser, qui poursuivait inflexiblement son but élevé, sans jamais compromettre par une hâte aveugle sa progression lente et ininterrompue, sans jamais se laisser emporter par le flot de la faveur du public ni décourager par un ralentissement du pouls populaire, tempérant ses actes de rigueur par un cœur chaleureux, éclairant les noires scènes de la passion du sourire de son humour et accomplissant son œuvre de géant, avec autant de simplicité et de modestie que les souverains de droit divin aiment à faire les petites choses avec une pompe et un éclat grandiloquents ; en un mot, c’était l’un des rares humains qui ait réussi à devenir grands sans cesser d’être bon. De fait, ce grand et brave homme était si modeste que le monde ne découvrit son héroïsme qu’après qu’il fût tombé en martyr. »

Peut-être était-ce la combinaison de sa conviction et de son humanité dans la poursuite de cette grande cause de la Guerre civile qui fait que nos sentiments à l’égard de Lincoln perdurent. Il est difficile d’imaginer une autre personnalité de l’histoire moderne dont la mémoire suscite 144 ans après sa mort un sentiment aussi authentique d’affection profonde. L’assassinat de Lincoln en 1865 est encore profondément ressenti comme une grande tragédie historique.

Pourtant, en l’espace d’une génération après sa mort, les célébrations officielles de Lincoln donnèrent à l’élite dirigeante américaine le moyen d’édulcorer la signification révolutionnaire de sa vie et de dissimuler les nouvelles contradictions que la victoire du Nord dans la guerre civile avait révélées. Dès 1877, le conflit des classes sociales avait éclaté aux Etats-Unis, ponctué par des grèves massives et sanglantes tout au long du 19e siècle. A partir de ce moment, ce nouveau conflit allait rester la force motrice centrale de l’histoire américaine.

Ce n’est un hasard si cette même année, en 1877, la politique de Reconstruction dans le Sud fut abandonnée. Les capitalistes du Nord conclurent, par le biais du Parti républicain, un pacte avec l’élite sudiste vaincue en permettant la réhabilitation politique de cette dernière en échange d’une domination sans entrave du capitalisme industriel et de sa politique de par le pays.

L’assassinat de Lincoln laisse à jamais sans réponse la question de savoir comment il aurait réagi à la crise politique qui émergea durant la période de la Reconstruction. Malgré tout, le développement de l’Union selon les lignes capitalistes était un processus historiquement déterminé avec tout ce que cela comporte. Il est difficile de penser que Lincoln aurait été en mesure d’empêcher la trahison fondamentale de la Reconstruction.

Au cours des décennies qui suivirent, la grande masse de la population afro-américaine fut privée de ses droits civiques, et fut assujettie à l’humiliation d’un régime d’apartheid appliqué par le lynchage et autres cruautés. La dénégation systématique des droits civiques aux Afro-Américains devait se poursuivre jusque dans les années 1960, cent ans après la Guerre civile.

Mais, cette histoire ne diminue en rien la position de Lincoln en tant que le dirigeant d’une révolution authentiquement progressiste et démocratique. Comme toutes les grandes figures de l’histoire, Lincoln porte les marques et les limitations de son temps. Mais dans un certain sens, toute cause historique progressiste dépasse son propre temps et s’adresse aux générations suivantes. L’action de Lincoln et le langage qu’il a utilisé pour la justifier et l’expliquer continuent d’être une inspiration.

Tom Eley

Charles Darwin

L’ouvrage de Charles Darwin, L’origine des espèces annonça une révolution de notre compréhension du monde naturel. Assimilant les réalisations scientifiques des Lumières, Darwin découvrit les lois de la dialectique de la nature qui régissent l’émergence de formes complexes dans l’histoire naturelle. Deux cents ans après sa naissance, l’évolution par sélection naturelle de Darwin reste la théorie unificatrice d’un éventail grandissant des sciences biologiques.

La découverte de l’évolution par la sélection naturelle doit être comprise dans le contexte du développement du naturalisme des Lumières dont la théorie de Darwin est le point culminant. Les progrès faits en optique permirent à Copernic, Bruno et Galilée de remplacer la cosmologie théologique par la conception scientifique de l’univers régi par des lois issues de l’observation plutôt que de la bible. De la même façon, la loi de l’évolution par la sélection naturelle comme l’a définie Darwin dans L’origine des espèces synthétise un vaste ensemble de connaissances accumulées par les sciences anatomiques, l’expérimentation dans l’élevage, la taxinomie, les expéditions géologiques et scientifiques à l’échelle mondiale.

De grandes collections d’organismes découverts lors des voyages entrepris aux 18ème et 19ème siècles furent classifiées en fonction de leurs distinctions anatomiques par des naturalistes tels Carl von Linné, Geoffroy Saint-Hilaire, Georges Cuvier et Robert Owen. Les organismes furent classés hiérarchiquement selon leurs affinités anatomiques qui manifestement correspondaient à leurs conditions d’existence respectives.

Certains naturalistes, y compris le comte de Buffon, Jean-Baptiste Lamarck, Robert Chambers et le grand-père de Darwin, Erasmus, avaient affirmé longtemps avant Darwin que les organismes changeaient avec le temps. Le géologue Charles Lyell en commentant les os d’organismes éteints enfouis dans la terre, reconnaissait que la vie avait changé considérablement au cours de la longue histoire de la terre mais, ne disposant d’aucun mécanisme pour expliquer ces modifications, il suggéra que Dieu les avait créés.

Suite à son voyage à bord du Beagle en 1836, Darwin vint à reconnaître que les espèces vivantes et éteintes « n’ont pas été créées indépendamment les unes des autres mais que, comme les variétés, elles descendent d’autres espèces ». Darwin avait observé que la variation caractérisait tous les organismes et que ces variations pouvaient être transmises à leur descendance selon le principe d’hérédité. Il a également remarqué que dans la même lutte pour la survie, certaines variétés étaient aptes à survivre tandis que d’autres ne l’étaient pas. Il écrivit en 1859 dans la fameuse conclusion de son ouvrage L’origine des espèces :

« Le résultat direct de cette guerre de la nature, qui se traduit par la famine et par la mort, est donc le fait le plus admirable que nous puissions concevoir, à savoir : la production des animaux supérieurs. N’y a-t-il pas une véritable grandeur dans cette manière d’envisager la vie, avec ses puissances diverses insufflées primitivement dans un petit nombre de formes, ou même à une seule ? Or, tandis que notre planète, obéissant à la loi fixe de la gravitation, continue à tourner dans son orbite, une quantité infinie de belles et admirables formes, sorties d’un commencement si simple, n’ont pas cessé de se développer et se développent encore. »

La découverte de Darwin a immédiatement provoqué un tumulte et se trouve à ce jour au centre d’une multitude de controverses intellectuelles et politiques. Le nom de Darwin reste un anathème pour la droite religieuse et tous ceux qui encouragent et cultivent pour une raison réactionnaire ou une autre, l’ignorance et la superstition. La théorie de l’évolution par la sélection naturelle ne se contente pas juste d’annuler l’histoire biblique de la création, une « histoire du monde manifestement fausse » selon Darwin, mais elle ancre fermement l’émergence de l’humanité et de la pensée dans le domaine de l’histoire naturelle.

Darwin écrivait que dans la nature toute chose est le résultat de lois fixes, y compris l’humanité et les organes de la pensée. Il a avancé que par la compréhension de l’évolution, la psychologie sera fondée sur une nouvelle base, à savoir celle de « l'acquisition nécessairement graduelle de toutes les facultés et de toutes les aptitudes mentales ».

L’accomplissement de Darwin égale presque celui de Marx et d’Engels qui furent parmi les premiers à comprendre la signification de son œuvre. La rédaction du Capital et la découverte des lois historiques qui sous-tendent le développement social reflètent tout autant la culmination de l’accomplissement des Lumières.

Darwin envisageait avec confiance l’avenir, les jeunes naturalistes naissants, en écrivant que par la compréhension de l’évolution nous pouvons vaguement prévoir qu’il y aura une révolution dans l’histoire naturelle. Il avait vraiment vu juste. La théorie de Darwin s’est épanouie depuis en s’enrichissant par la génétique selon Mendel, la Synthèse moderne, la découverte de l’ADN et un vaste champ de disciplines biologiques modernes.

Sa théorie est aujourd’hui plus vivante que jamais : aucun domaine biologique ne peut être compris sans l’évolution qui est certainement la théorie de la vie la plus unificatrice. L’évolution se trouve au cœur de la biochimie, de la génétique et de la microbiologie, de la biologie du développement, de l’épidémiologie et de la médecine moderne. L’évolution s’est poursuivie dans les voies traditionnelles telles la paléontologie, mais s’est aussi étendue à des domaines nouveaux comprenant la neurobiologie et la biopsychologie.

Deux cents ans après sa naissance, la révolution scientifique et intellectuelle inspirée par l’œuvre de Charles Darwin continue à se développer et à prendre des forces.

Par Daniel Douglass

(Article original paru le 12 février 2009)


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