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WSWS : Nouvelles et analyses : Economie mondiale

Cinquième conférence :

La Première Guerre mondiale : L'écroulement du capitalisme

Quatrième partie

Par Nick Beams
14 février 2009

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Cette conférence fut donnée par Nick Beams, secrétaire national du Parti de l'égalité socialiste (Australie) et membre du comité éditorial du WSWS, lors de l'école d'été du Parti de l'égalité socialiste (USA) qui s'est tenue du 14 août au 20 août 2005 à Ann Arbor, Michigan. C'est la cinquième conférence donnée à cette école. La première « La Révolution russe et les problèmes historiques non résolus du XXe siècle » (David North),  la seconde « Le Marxisme versus le révisionnisme à l’aube du Vingtième Siècle » (David North), la troisième « Les origines du bolchévisme et Que faire ? » (David North), la quatrième, intitulée « Le marxisme, l'histoire et la science de la perspective » (David North)  et la sixième « Le socialisme dans un seul pays ou la révolution permanente » (Bill Van Auken) sont disponibles sur le site en langue française du WSWS. Nous publions ici la quatrième partie de cette cinquième conférence.

La guerre et la révolution russe

Dans son analyse de la guerre, James Joll, notant les déclarations de la Seconde Internationale selon lesquels les guerres sont inhérentes à la nature du capitalisme et cesseront seulement quand l’économie capitaliste sera remplacée, reconnaissait que cette doctrine, si elle était vraie, « fournirait l’explication la plus complète du déclenchement de la Première guerre mondiale, bien qu’elle laisserait ouverte la question de savoir pourquoi cette guerre particulière avait commencé à ce moment particulier de la crise montante du capitalisme. » [35]

L’analyse marxiste de la guerre cependant, ne cherche pas à établir exactement pourquoi la guerre éclata au moment particulier où elle le fit, comme si les contradictions du système capitaliste opéraient avec une sorte de déterminisme de fer qui excluait la chance et l’accident. Au contraire, le marxisme insiste sur le fait que les lois du capitalisme exercent leur influence non pas directement, mais plutôt à travers l’accidentel et le contingent.

Dans le cas de la Première Guerre mondiale, il est clair que, sans la circonstance accidentelle de l’assassinat de l’archiduc autrichien, la crise ne se serait pas développée comme elle le fit. Même après l’assassinat, il n’était en aucune manière prédéterminé que la guerre en résulterait. Mais il n’y a pas de doute que même si la guerre avait été évitée, les tensions croissantes résultant de processus historiques à long terme, de plus en plus évidentes depuis le début du siècle, auraient conduit, plutôt tôt que tard, au déclenchement d’une autre crise.

Si l’analyse marxiste ne prétend pas que le déclenchement de la guerre en août 1914 ait été prédéterminé, elle maintient que des transformations très profondes dans l’économie mondiale chargeaient d’énorme tension des crises politiques et des conflits internationaux pour lesquels il existait plus que suffisamment de combustible.

L’année 1913 constitue un moment critique dans la courbe à long terme du développement capitaliste. Les 15 années précédentes avaient vu la croissance économique la plus soutenue dans l’histoire du capitalisme à cette date. Il y avait des crises et des récessions, mais elles étaient de courte durée et suivies d’une croissance encore plus rapide une fois passées. Mais en 1913, il y avait des signes clairs d’un retournement majeur de l’économie internationale.

L’importance de ce retournement de l’économie mondiale peut être mesurée par un examen des statistiques commerciales. Si l’on prend comme base l’année 1913 avec un index de 100, le commerce mondial dans les années 1876-1880 était seulement de 31,6, croissant à 55,6 dans les années 1896-1900. Cela signifie que dans les 13 années suivantes, il doubla presque. Toutes les puissances capitalistes les plus importantes devenaient de plus en plus dépendantes du marché mondial et sensibles à ses mouvements, dans des conditions où la lutte concurrentielle entre elles devenait plus intense.

Comme Trotsky devait le souligner, le retournement économique de 1913 eut un impact significatif sur les relations politiques entre les grandes puissances parce que ce n’était pas simplement une fluctuation périodique du marché, mais signifiait un changement de la situation économique de l’Europe.

 « Une continuation du développement des forces productives à un rythme similaire à celui observé en Europe pendant la quasi-totalité des deux dernières décennies était extrêmement difficile. Le militarisme ne se développe pas seulement parce que le militarisme et la guerre créent un marché, mais aussi parce que le militarisme est un instrument historique de la bourgeoisie dans sa lutte pour l’indépendance, pour sa suprématie et ainsi de suite. Il n’est pas accidentel que la guerre ait commencé dans la seconde année de la crise qui révélait les grandes difficultés du marché. La bourgeoisie sentait la crise par l’intermédiaire du commerce, de l’économie et de la diplomatie… Cela créait une tension de classe, exacerbée par la politique, et cela conduisit à la guerre en août 1914. » [36]

Ce n’est pas que la guerre ait mis un arrêt au développement des forces productives. Plutôt, à partir de 1913, la croissance des forces productives se heurta aux barrières imposées par l’économie capitaliste. Cela signifiait que le marché était divisé, que la compétition était « exacerbée au plus haut point et que désormais les pays capitalistes ne pouvaient réussir à éliminer leurs concurrents du marché seulement par des moyens mécaniques. » [37]

Le retournement de 1913 n’était pas simplement une fluctuation du marché — une récession prenant place au milieu d’un mouvement général de progression de la courbe à long terme du développement capitaliste. C’était un tournant dans la courbe elle-même. Même s’il n’y avait pas eu de guerre en 1914, la stagnation économique se serait installée, accroissant les tensions entre les puissances capitalistes majeures et rendant plus probable l’éclatement d’une guerre dans le futur proche.

Que le retournement de 1913 n’était pas une récession ordinaire est indiqué par le fait qu’après la fin de la guerre, l’économie européenne ne retrouva jamais les conditions de la décennie ayant précédé la guerre. D’ailleurs, dans le contexte de la stagnation économique générale des années 1920 (la production dans de nombreux secteurs ne retrouva ses niveaux de 1913 que vers 1926-27) la période d’avant-guerre en vint à être considérée comme une belle époque [en français dans le texte, ndt] qui ne pourrait jamais revenir.

Afin de mettre en lumière quelques-unes des questions fondamentales de perspective au centre des controverses qui entourent la Première Guerre mondiale, je souhaiterais faire la critique du travail d’un universitaire anglais, Neil Harding. Dans son livre Leninism, Harding trouve que les théories de Lénine n’étaient pas le résultat de conceptions politiques attardées résultant de la situation russe — comme cela est si souvent affirmé en ce qui concerne Que faire ? par exemple — mais étaient « authentiquement marxistes » et avaient effectivement revitalisées le marxisme comme théorie de la révolution. C’est précisément parce que le léninisme représente un marxisme authentique que, selon Harding, il est nécessaire de le réfuter.

Harding maintient que le déclenchement de la guerre et la trahison des dirigeants de la Seconde Internationale convainquirent Lénine de ce « [qu’] il avait une responsabilité unique de réaffirmer l’impératif marxiste d’une révolution à l’échelle mondiale, et de la reformuler dans les conditions économiques et politiques du monde moderne. » [38]

Contrairement à tous ceux qui cherchent à peindre Lénine comme une sorte d’opportuniste qui s’engagea dans une prise de pouvoir dans le chaos produit par la guerre en s’appuyant sur les revendications populaires pour le pain, la paix et la terre, Harding écrit que la réponse de Lénine à la guerre fut de construire une « explication marxiste de la nature du capitalisme contemporain et de comment celui-ci avait, par nécessité, produit le militarisme et la guerre. » Cette explication, qui est intégrée dans son livre L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, « définissait les caractéristiques globales de ce qui était considéré comme une époque entièrement nouvelle de l’histoire humaine — l’époque de l’effondrement final du capitalisme et l’avènement du socialisme » et elle fournissait la fondation théorique pour la révolution menée par les bolcheviks en octobre 1917. [39]

Harding montre de façon correcte que dans la période précédent la guerre, les différentes écoles révisionnistes avaient soutenu que la révolution était une stratégie à la fois peu plausible et inutile et que, au moins entre leurs mains, « en tant que théorie et pratique de la transformation révolutionnaire, le marxisme était virtuellement mort vers 1914. » Il écrit : « C'est Lénine qui, presque à lui tout seul, le fit revivre, à la fois en tant que théorie révolutionnaire et en tant que pratique révolutionnaire ; la théorie de l'impérialisme était par excellence la pierre de touche de toute cette entreprise. » [40]

Il montre que, pour ce qui est des évènements de la Révolution russe, le point de vue de Lénine fut rejeté dès le départ. Quand Lénine avait avancé la possibilité de la révolution socialiste et la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, il avait rencontré l'opposition non seulement des dirigeants de toutes les autres tendances politiques, mais aussi celle de ses plus proches associés au sein de son propre parti. La Pravda insistait sur le fait que les Thèses d'avril correspondaient aux vues personnelles de Lénine, et qu'elles étaient inacceptables, car elles découlaient « de l'hypothèse que la révolution démocratique bourgeoise est terminée et comp[taient] sur la transformation immédiate de cette révolution en révolution socialiste. » Néanmoins, partant d'une minorité constituée de lui seul en avril 1917, Lénine allait devenir, en novembre, le dirigeant du premier Etat ouvrier.

Pour Harding, le vice fondamental de la perspective proposée par Lénine tient au fait que le capitalisme continua de survivre, en dépit des affirmations faites dans L'impérialisme. Cela s'avéra n'être ni le plus haut point, ni le stade final du développement capitaliste.

« La persistance même, l'adaptabilité et la vitalité persistante du capitalisme ne pouvaient pas être expliquées par la logique du léninisme. Le trait principal de son système de pensée qui rendait l'ensemble intelligible était... l'argument qu'en 1914 le capitalisme était moribond, qu'il ne pouvait plus continuer de se reproduire lui-même, son temps était révolu. Il était tout à fait évident que plus longtemps le capitalisme survivait à ce pronostic, plus l'évidence empirique sapait la métaphysique léniniste de l'histoire. » [41]

Lénine caractérisait assurément l'impérialisme comme le « stade suprême du capitalisme » et comme la « veille » de la transformation socialiste, et il n'envisageait certainement pas que le capitalisme survivrait jusqu'au vingt et unième siècle. La perspective qui guidait la révolution était-elle donc fausse ? La confusion qui règne sur cette question est grande, tant parmi ceux qui soutiennent la perspective de Lénine que parmi ceux qui la dénoncent.

Par exemple, quand nous avons expliqué que la mondialisation représentait un développement supplémentaire d'un point de vue qualitatif de la socialisation de la production, nous avons été attaqués par les spartakistes et d'autres groupes radicaux qui nous ont accusés de rejeter Lénine. Si l'impérialisme était « le stade suprême » du développement capitaliste, alors comment pouvions-nous parler de la mondialisation comme étant un développement qualitatif dans la socialisation de la production ?

Ensuite il y a ceux qui soutiennent que l'analyse de Lénine est réfutée par le fait que le capitalisme a subi d'importants changements depuis la rédaction de L'impérialisme et que depuis cette date un important développement des forces productives était intervenu. Comment alors est-il possible de parler de l'impérialisme comme du stade suprême du capitalisme ? Et cela ne signifie-t-il pas que la Révolution russe elle-même était une tentative prématurée de renverser l'ordre capitaliste et de commencer la transformation socialiste ? C'est-à-dire qu'elle était vouée à l'échec depuis le commencement parce que le capitalisme n'avait pas épuisé son potentiel progressiste.

Tout d'abord, Lénine n'avait pas la conception mécaniste qu’on lui impute si souvent. Au début, il parla de l'impérialisme comme de la « dernière phase » du développement capitaliste. Il le caractérisait certainement comme un capitalisme « décadent » et « moribond ». Mais il faisait remarquer que ce serait « une erreur de croire que cette tendance à la putréfaction exclut la croissance rapide du capitalisme ; non, telles branches d'industrie, telles couches de la bourgeoisie, tels pays manifestent à l'époque de l'impérialisme, avec une force plus ou moins grande, tantôt l'une tantôt l'autre de ces tendances. Dans l'ensemble, le capitalisme se développe infiniment plus vite qu'auparavant, mais ce développement devient généralement plus inégal, l'inégalité de développement se manifestant en particulier par la putréfaction des pays les plus riches en capital (Angleterre). » [42]

Lénine caractérisait les activités du capital anglais, vivant de ses revenus d'exportation de capitaux — le processus du « poinçonnage des coupons », comme l'expression du parasitisme et du déclin dans le pays le plus riche en capital. On peut se demander ce qu'il aurait eu à dire des activités de sociétés comme Enron et WorldCom, du pillage associé aux activités boursières et de la bulle spéculative Internet [bulle spéculative sur les « valeurs technologiques » qui a éclaté au cours de l’année 2000, ndt].

Notes

 [35] Traduit de l’anglais : Joll, op cit, p. 146.
[36] Traduit de l’anglais : Leon Trotsky, “On the Question of Tendencies in the Development of the World Economy,” in The Ideas of Leon Trotsky, H. Tickten and M. Cox ed. (London: Porcupine Press, 1995), pp. 355-70.
[37]
Traduit de l’anglais : Trotsky, The First Five Years of the Communist International, vol. II, p. 306.
[38]
Traduit de l’anglais : Neil Harding, Leninism, p. 11.
[39]
Traduit de l’anglais : Ibid, p. 113.
[40]
Traduit de l’anglais : Ibid, p. 114.
[41]
Traduit de l’anglais : Ibid, pp. 277-78.
[42] Lenin, Collected Works, Volume 22, p. 300.
Traduction française reprise de L’Impérialisme stade suprême du capitalisme :
http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp10.htm


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