Des
reporters du World Socialist Web Site ont interviewé Alain Krivine lors
du congrès fondateur du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA.) Les réponses
données par Krivine, dirigeant historique de la Ligue communiste
révolutionnaire (LCR) clarifient la signification politique de la décision de
la LCR de se dissoudre dans le NPA et de répudier toute association avec le
trotskysme.
Après avoir
exprimé sa satisfaction sur le déroulement du congrès du NPA jusque-là, Krivine
a répondu aux questions des reporters du WSWS sur son analyse de la crise
économique en adoptant une position équivoque : « je ne suis pas
économiste ; je pense que personne n’est capable dire combien de temps
elle va durer et les ravages qu'elle va faire, mais c'est des ravages
considérables. »
Quand
on lui a demandé quelles seraient selon lui les conséquences politiques de la
crise économique, il a répondu : « Quand vous avez une situation de
détresse dans la vie des gens, il y a deux réponses possibles : soit les
gens résistent, ripostent, c'est l'explosion, soit les gens se replient sur
eux, ne croient plus à la lutte, c'est le sauve-qui-peut individuel. On peut
avoir les deux, donc, moi, je suis prudent. »
Faisant
référence, comme étant un signe encourageant, aux 2,5 millions de grévistes qui
ont participé à la journée d’action du 29 janvier organisée par les syndicats,
il a ajouté, « Donc j'ai dit qu’il y a une situation potentiellement
explosive, est-ce qu'elle explosera... ? » Et il a haussé les
épaules.
Sur
l’élection d’Obama, Krivine a dit, « Obama, nous on n'a pas d'illusions,
il a le soutien des gros banquiers, il est pro-capitaliste. » Mais il
s’est empressé d’ajouter, « Maintenant, on n'est pas neutre non plus,
c'est vrai qu'élire un Noir, avec tout ce que cela représente aux Etats-Unis,
c'est un pas en avant considérable. »
Détaillant
ses remarques, Krivine a contredit sa déclaration selon laquelle il ne se
faisait aucune illusion sur Obama. « L'aspect positif, c'est qu’aux
Etats-Unis, ça change tout », a-t-il dit. « Le deuxième aspect politique,
c'est qu'il a remobilisé le peuple américain et ça c'est un aspect positif, les
gens sortent dans la rue pour l'aider… On y fera des réformes mieux que Bush,
faut pas être pire que Bush, donc ça peut être un mot sur le chômage, piquer un
peu de fric aux patrons. »
Quand
on lui a demandé comment il voyait les relations entre les Etats-Unis et
l’Europe dans une situation politique dominée par les guerres et les interventions
étrangères, Krivine a répondu, « l'Europe maintenant c'est de la rigolade,
c'est les Américains qui dominent, donc l'Europe telle qu'elle est, alors par
rapport aux Etats-Unis avec des nuances ça changera pas tant que c'est une
Europe capitaliste. » Et il a ajouté, « Je pense qu'avec Obama
l'Europe va s'entendre un peu mieux, il sera un peu moins repoussoir que Bush. »
A
la question de savoir quelle perspective le NPA apporterait aux luttes des
travailleurs, il a dit que le but du NPA est d’« aider dans les luttes —
on n'est pas des syndicalistes, on essaie d'amener de la politique, d’essayer
d’arriver a une coordination des luttes, de faire en sorte qu'on soit pas
chacun dans son coin. » Ne se laissant pas arrêter par l’hostilité
publique des syndicats à une telle perspective dans tous les mouvements de
grèves importants de ces dernières années, il a poursuivi : « L'idée
globale c'est d’arriver à un “tous ensemble”, à la grève générale, c'est clair. »
S’exprimant dans
des phrases soigneusement choisies et elliptiques, Krivine a tracé les grandes
lignes d’une perspective consistant à ne pas appeler à une lutte
révolutionnaire, mais au cas où une telle situation se produirait, à l’utiliser
pour former un gouvernement de coalition avec les partis bien établis de la
gauche bourgeoise française, c’est à dire avec le Parti socialiste (PS) et le
Parti communiste (PC). Il a dit que le NPA oeuvrerait de façon à ce que
« si demain il y a une grève générale, ça dépend pas de nous, comme en 68
ça se termine mieux, c'est-à-dire que cela pose vraiment le problème du
pouvoir, quel type de société on construit, y compris comment, on peut changer
de pouvoir. »
Interrogé
sur la manière dont le NPA essaierait d’agir différemment par rapport à 1968,
Krivine a dit, « [En 1968] il aurait fallu que les gens apprennent à élire
des collectifs de grève, élire des délégués et les faire monter sur Paris,
c'est a dire construire un pouvoir peut-être pas légal, mais légitime, un
contre-pouvoir légitime qui aurait pu être candidat au pouvoir. »
Mais Krivine
s’est montré hostile à la prise du pouvoir par les travailleurs et insisté sur
le rôle des coalitions de partis existants de l’establishment politique
français : « Il y a eu des manifestations fin 68 où des centaines de
milliers de gens appelaient le pouvoir aux travailleurs, ça ne voulait rien
dire, à qui, pour quoi, donner à qui le pouvoir, et les partis politiques à
l'époque n'en voulaient pas, c'était le PC. Le PS était absent. Nous on était
tout petits, étudiants, donc il n'y avait personne qui était candidat au
pouvoir.
Quand
on lui a demandé si le NPA aujourd’hui essaierait de prendre le pouvoir,
Krivine a répondu : « Pas forcément, non, mais je dirais que j'espère
d'abord par exemple une association nationale des grévistes, un mouvement de
grève dans lequel des partis politiques comme nous joueraient un rôle. »
L’orientation
principale du NPA se tourne vers la construction d’une nouvelle coalition de
« gauche. » Quand les reporters du WSWS lui ont demandé avec quels
autres partis le NPA pourrait construire une telle coalition, Krivine a
répondu : « J'en sais rien, je sais pas dans quel état sera le Parti
communiste. A cette époque, il est en pleine crise, il y aura peut-être des
scissions plus importantes que Mélenchon [qui vient de fonder le Parti de
Gauche et qui appelle à une alliance électorale avec le NPA] dans le Parti
socialiste. Il y a d'autres groupes de l'extrême-gauche qui ne sont pas au NPA :
Lutte ouvrière, les Alternatifs, ils ne sont pas très nombreux, mais il y a des
petits mouvements qui ne viennent pas au NPA, bon pour leurs raisons, mais qui
ne sont pas négligeables non plus. »
Le
but de Krivine, dans une situation de regain révolutionnaire de la classe
ouvrière contre le capitalisme français, est donc de travailler avec les partis
de gauche de l’establishment pour partager le pouvoir d’Etat.
Une
telle perspective est totalement incompatible avec le trotskysme, c'est-à-dire
le marxisme révolutionnaire. Des alliances comprenant le PS et le PC, deux
défenseurs chevronnés du capitalisme français, ont présidé à la reprise du
travail et à la trahison de deux situations révolutionnaires extrêmement
prometteuses : la grève générale de 1936 sous le gouvernement de Front
populaire comprenant le Parti socialiste et le Parti radical bourgeois et la
grève générale de 1968 qui avait été lancée contre le gouvernement du général
Charles de Gaulle.
Dans
ses écrits après la trahison de la grève générale de 1936, Trotsky insista sur
le fait que les luttes révolutionnaires ne pouvaient réussir en France que sur
la base d’une rupture politique et organisationnelle d’avec ces partis : « Ce
qui peut sauver la situation c’est la création d’une véritable avant-garde
révolutionnaire de plusieurs milliers d’hommes, ayant une compréhension claire
de la situation, complètement émancipée de l’influence de l’opinion publique
bourgeoise et petite-bourgeoise (socialiste, communiste, anarcho-syndicaliste,
etc.) et prête à aller jusqu’au bout. Une telle avant-garde saura comment se
frayer un chemin vers les masses. » [Retraduit de
l’anglais.]
A
l’opposé, Krivine propose de construire des alliances avec ces partis. Ce n’est
pas une coïncidence si malgré des références occasionnelles favorables, Krivine
considère le trotskysme et l’histoire de la Quatrième Internationale, fondée
par Trotsky, avec hostilité et mépris. Interrogé sur la signification de
l’héritage de Trotsky aujourd’hui, Krivine a répondu : « Le mérite de
Trotsky, qui a fait des conneries, c'est d'avoir organisé la lutte contre le
stalinisme. »
Une
telle position cache une contradiction énorme : Krivine prétend que son
intérêt pour le trotskysme vient de la lutte contre le stalinisme et pourtant
aujourd’hui il envisage le PC stalinien comme partenaire possible d’une
coalition.
Quand
on lui a demandé quelles étaient selon lui les erreurs de Trotsky, Krivine a répondu :
« Je crois qu'il s'est trompé sur le stalinisme. Il a écrit qu'après le
stalinisme, un socialisme démocratique allait exploser. Mais, c'est pas le
socialisme démocratique qui est revenu, c'est l'horreur, c'est le capitalisme
sauvage avec Poutine et tout. Donc ce pronostic, il avait bien prévu que ça
allait se casser la gueule, le stalinisme, mais il s'est trompé sur ce qui
allait le suivre. »
Ici
Krivine est tout bonnement en train de falsifier la position de Trotsky qui a
exprimé, le plus notoirement peut-être dans La Révolution trahie son
jugement sur l’avenir de l’URSS : « l'évolution des contradictions
accumulées peut aboutir au socialisme ou rejeter la société vers le capitalisme;
la contre-révolution en marche vers le capitalisme devra briser la résistance
des ouvriers; les ouvriers marchant vers le socialisme devront renverser la
bureaucratie. La question sera tranchée en définitive par la lutte de deux
forces vives sur les terrains national et international. »
Le
sens de la falsification de Krivine est de faire porter la responsabilité pour
cette trahison de la révolution socialiste au sein de l’URSS, non sur les intéressés,
c'est-à-dire la bureaucratie soviétique et ses complices internationaux tels le
PC vers lequel Krivine oriente le NPA, mais sur le cours des événements dont
Krivine voir l’issue comme essentiellement inévitable.
Les
reporters du WSWS ont demandé à Krivine son opinion sur la scission de 1953
dans la Quatrième Internationale, au cours de laquelle le Comité international
de la Quatrième Internationale avait été fondé par ceux qui étaient hostiles à
une orientation vers les partis staliniens, tandis que les prédécesseurs de la
LCR soutenaient une tactique consistant à faire un travail politique à
l’intérieur des partis staliniens et à essayer d’influencer leur ligne
politique. Krivine a répliqué, « Moi je crois que c'est un débat
complètement dépassé maintenant. »
S’il
y a quelque chose de positif à tirer de ce congrès du NPA, c’est précisément
qu’il clarifie la position adoptée par Krivine, la LCR et le NPA sur l’héritage
politique de Trotsky. L’opinion de Krivine sur l’héritage de Trotsky et
l’histoire de la Quatrième Internationale est liée à une orientation politique
bien définie : le rejet manifeste du socialisme et la formation d’un
« parti anticapitaliste » fourre-tout de la gauche petite-bourgeoise,
qui pose les fondations d’une participation à des gouvernements de coalition
bourgeois.
(Article
original anglais paru le 12 février 2009)