Des statistiques publiées jeudi par l’agence
Eurostat de l’Union européenne révèlent que la production s’est effondrée dans
toute l’Europe à la fin de 2008. Les chiffres annoncés sont bien pires que ne
l’avaient prévu les analystes. En décembre, la production industrielle a baissé
de 2,6 pour cent par rapport au mois de novembre. Sur une année la production
européenne a chuté de 12 pour cent.
Les hommes politiques européens avaient pendant un certain temps essayé de donner aux chiffres en
baisse de la production européenne un aspect positif, mais les chiffres publiés
jeudi amenèrent un changement de ton. Le commissaire européen à l’Industrie,
Günter Verheugen, dit au Financial Times Deutschland « l’ampleur et
la vitesse de la crise est tout à fait nouvelle ».
La veille de la publication de ces nouvelles
statistiques, une étude de l’institut de recherche économique Ifo révélait que
les perspectives du monde des affaires des seize pays de la zone euro étaient
en baisse pour le sixième trimestre consécutif, atteignant son point le plus
bas depuis 16 ans, c'est-à-dire depuis que ces études existent. La BCE (Banque
centrale européenne) publia elle aussi une mise en garde selon laquelle la
récession qui s’était emparée de l’Europe ne serait pas de courte durée. Selon
la BCE, il s’agit bien plutôt d’une baisse d’activité forte et prolongée.
La réaction des différentes nations
européennes à la montée de la crise a été d’adopter une suite de mesures
protectionnistes. Le premier ministre italien, Silvio Berlusconi a ainsi averti
récemment le producteur d’appareils ménagers Indesit SpA de ne pas transférer
sa production et ses emplois en Pologne, et en Grande-Bretagne les syndicats et
les hommes politiques revendiquent des « emplois britanniques pour les
ouvriers britanniques ».
Mercredi, le président du Conseil européen en
exercice, le premier ministre tchèque Mirek Topolanek se présenta devant la
presse à Bruxelles et mit en garde contre une « course protectionniste »
en Europe, tout en reconnaissant que les économies nationales de l’Union
europénne étaient durement frappées par la crise internationale et qu’elles
étaient en perte de vitesse d’une façon non envisagée jusque-là.
Topolanek dit « à la suite de la crise
économique et financière apparaissent des problèmes que l’Union européenne
considérait être des reliques du siècle passé et comme résolus de longue
date ».
A la suite d’une réunion avec le président de
la Commission européenne, Manuel Barroso, Topolanek décrivit la situation en
Europe comme « pire qu’elle ne l’[avait] jamais été ». La confiance
des citoyens dans le système économique a été ébranlée, dit-il, et il avertit
de ce que la fermeture des marchés nationaux mettait en danger le marché
intérieur européen et l’économie mondiale.
Le journal allemand Süddeutsche Zeitung
se fit l’écho des déclarations du président du Conseil européen et écrit :
« Tout homme politique cherchant à résoudre la crise économique par des
mesures protectionnistes ne fait qu’aggraver la situation. »
Barroso adressa aussi une mise en garde aux
Etats qui voulaient faire cavalier seul. Les chefs d’Etat et de gouvernement européen
devaient mettre un terme à tout « nombrilisme nationaliste » dit-il.
Sans quoi il existait le danger qu’une forte tendance à la baisse ne s’intensifie ».
L’industrie automobile européenne est frappée
de façon particulièrement dure par l’absence de crédit. Une analyse de l’Union
européenne déclare à ce propos : « L’accès aisé au crédit joue un
rôle important dans l’industrie automobile où entre 60 et 80 pour cent des
achats privés se font sur la base du crédit ». Les experts de la
Commission européenne ont fait état d’une baisse des commandes entre 43 et 57
pour cent pour l’industrie sidérurgique.
La direction de l’UE s’attend à une forte
hausse du chômage dans les mois qui viennent. Selon Verheugen, le commissaire à
l’Industrie, les entreprises ont éliminé 158 000 emplois ces quatre
derniers mois, n’en créant qu’à peine 25 000. C’est un brusque revirement
par rapport aux trois premiers trimestres de 2008 où l’emploi avait
généralement tendance à augmenter.
Mercredi dernier, le producteur automobile
français Peugeot annonçait la suppression d’au moins 11 000 emplois et
Renault annonçait le lendemain ses propres plans de réduction d’effectifs et la
suppression de 9000 emplois. Ces suppressions d’emplois ont été approuvées par
le gouvernement et les syndicats français et coïncident avec l’annonce d’un
plan de subventionnement des producteurs automobiles français à hauteur de 6
milliards d’Euros.
Sarkozy déclara qu’il était selon lui
irresponsable de continuer à produire des voitures francaises en République
tchèque. Il réclama un arrêt des transferts de production vers d’autres pays.
Si l’Etat donnait de l’aide à l’industrie automobile dit-il, ce n’était pas
pour qu’elle installe des usines en République tchèque. Il pressa aussi les
industriels de l’automobile de soutenir les industries de sous-traitance qui
fournissent matériel et services à l’industrie automobile française.
Le premier ministre tchèque Topolanek réagit
vivement à l’annonce de ce cours ouvertement protectionniste et appela à la tenue
d’un sommet européen spécial afin de bloquer ce genre de politique ou des
politiques similaires.
La chancelière allemande Angela Merkel (CDU –
Union chrétienne démocrate) critiqua-t-elle aussi la décision française. La
défense du libre marché et du marché intérieur européen était d’une importance
primordiale, dit-elle.
L’économie allemande qui dépend fortement de
ses industries d’exportation, serait particulièrement vulnérable à toute
augmentation des mesures protectionnistes en Europe.
Sarkozy a défendu sa décision et a attiré
l’attention sur le fait que la chancelière allemande avait, il y a quelques
semaines, rejeté un programme commun de relance en Europe. Maintenant, chaque
gouvernment était forcé de prendre ses propres mesures pour venir à bout de la
crise, a-t-il dit. Il ajouta que le dernier en date des programmes allemands de
relance était destiné à subventionner les entreprises allemandes.
Le conflit entre Paris et Berlin est profond.
Sarkozy a réclamé de façon répétée, en tant que président du Conseil européen
l’année dernière, l’établissement d’une « administration économique »
pour la zone euro, disant clairement qu’il se considérait comme le meilleur
choix pour diriger une telle administration.
Sarkozy, qui jouit du soutien d’une majorité
des seize pays de la zone euro, cherche à forcer le gouvernement allemand à
prendre davantage de responsabilités en matière de politique financière. Selon l’Elysée,
l’Allemagne doit, en tant que plus importante économie du continent, contribuer
beaucoup plus fortement à la gestion de la crise.
Le gouvernement allemand lui, veut précisément
éviter une telle situation. Il se considère comme étant mieux préparé à
supporter la crise que les autres pays de la zone euro, dû aux réformes du
marché du travail introduites par le précédent gouvernement SPD-Verts qui
réduisit drastiquement la protection contre le chômage et ouvrit la voie à la
création d’un immense secteur de bas salaires.
Soutenu par les organisations patronales du
pays, le gouvernement Merkel cherche à exploiter la crise afin de renforcer le
rôle dominant de l’Allemagne en Europe. Berlin s’oppose avec véhémence à la
prise de quelque responsabilité que ce soit vis-à-vis des « Etats faible »
de l’Europe, c’est-à-dire des pays qui n’ont pas jusqu’à présent réussi à
imposer des coupes drastiques de leur protection sociale et de la protection
contre le chômage.
Derrière les appels de la chancelière à
l’adhésion au « libre marché » et derrière son rejet du
protectionnisme, il y a les intérêts égoïstes de l’élite économique allemande
qui profite le plus du marché intérieur européen.
Les performances économiques inégales des
différents pays de la zone euro et l’absence de politique financière et
économique commune ont conduit à des « écarts » croissants dans les
conditions auxquelles sont consentis les crédits gouvernementaux des pays de la
zone euro. A la mi-janvier, la Grèce a dû contracter un nouveau prêt à un taux
d’intérêt bien supérieur aux trois pour cent fixés pour les prêts
gouvernementaux à l’Allemagne. Les experts financiers ont dit que la tendance à
des écarts croissants se poursuivait « de façon définitive » et ils
avertirent de ce que cela pouvait avoir des conséquences explosives quant au
sort de l’Euro en tant que monnaie européenne commune.
Lorsque le président de l’Eurogroupe, le
ministre des Finances et premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker
suggéra l’introduction d’eurobons afin de permettre aux Etats membres moins
forts d’avoir accès au crédit dans le cadre d’une solution paneuropéenne, sa
proposition fut immédiatement rejetée par le ministre des Finances allemand,
Peer Steinbrück (SPD). Au lieu de cela, le gouvernement allemand cherche à se
servir de son commissaire à l’Industrie, Günter Verheugen, afin de forcer les
Etats membres à effectuer des coupes budgétaires et à imposer une stricte
politique d’austérité.
Face à ces tensions croissantes, la présidence
de l’Union europénne et la Commission européenne ont annoncé la préparation de
pas moins de trois sommets européens pour les trois mois à venir. Le 1er mars,
les chefs d’Etat et de gouvernement se rencontreront à Bruxelles afin de « coordonner
les programmes nationaux de relance ». L’ordre du jour doit comprendre la
lutte contre les tendances protectionnistes, des mesures pour raviver la
circulation du crédit, les mesures à prendre vis-à-vis des « actifs toxiques »
et la politique à suivre vis-à-vis de l’augmentation du chômage. Trois semaines
plus tard aura lieu le régulier sommet de printemps de l’Union européenne, qui
se concentrera probablement lui aussi sur la crise économique et financière. Et
le président tchèque du Conseil européen a invité les Etats membres à Prague
pour un sommet sur l’emploi au mois de mai.
Derrière cette frénésie de rencontres au
sommet, il y a la peur d’un possible éclatement de l’Union européenne et d’un
développement de la résistance de la classe ouvrière au chômage de masse et à
la pauvreté croissante.
(Article original anglais paru le 14 février
2009)