Selon de récents reportages de presse, les Etats-Unis et
l’OTAN projettent de créer de nouvelles routes d’approvisionnement allant des
républiques d’Asie centrale aux forces d’occupation en Afghanistan. L’initiative
est prise en préparation au doublement attendu du contingent militaire
américain sous le gouvernement Obama et en réaction au nombre grandissant
d’attaques perpétrées contre sa principale ligne d’approvisionnement en
provenance du Pakistan.
Actuellement, plus de 80 pour cent de l’ensemble de
l’approvisionnement destiné aux troupes américaines et alliées sont déchargés
au port pakistanais de Karachi puis transportés à Peshawar dans le nord, en
traversant le Pakistan, pour finalement arriver en Afghanistan en franchissant
le col de Khyber, un passage montagneux et étroit qui sépare les deux pays.
Comme la résistance à l’armée américaine s’est accrue au sein
des tribus, tant afghanes que pakistanaises, les attaques contre les convois
d’approvisionnement sont devenues de plus en plus fréquentes. En décembre, lors
d’une attaque particulièrement hardie, un grand nombre de militants avaient
envahi des dépôts à Peshawar, une ville de trois millions d’habitants située au
sud du col de Khyber, et détruit plus de 300 jeeps Humvee et des camions
destinés à être livrés aux forces de l’OTAN en Afghanistan (Voir (en
anglais): « Insurgent
attacks on NATO trucks highlight US military crisis in Afghanistan. »)
L’armée pakistanaise a réagi à la détérioration de la sécurité
en occupant le col de Khyber et en opérant des représailles contre les tribus
dans la région. Toutefois, les efforts entrepris par Islamabad ne parviendront
pas à apaiser les inquiétudes de Washington quant à l’approvisionnement de ses
forces. Il n’est pas certain que l’armée pakistanaise soit en mesure de
rétablir le contrôle dans la région où des combattants hostiles aux Etats-Unis,
et qui seraient compréhensifs à l’égard des talibans, jouissent d’un vaste
soutien. De plus, la survie même du régime pakistanais est incertaine étant
donné que la crise économique et sociale grandissante engendre une haine
populaire à l’encontre de la politique pro-américaine du gouvernement.
La situation est pire encore dans l’Afghanistan sous
occupation américaine. Le régime de Karzaï est partout haï et des attaques
militantes se produisent de plus en plus régulièrement et en toute impunité de
par le pays. Pour ne citer qu’un exemple, un chef de tribu afghan, Mullah
Salam, de Musa Quala qui, avait annoncé l’année dernière son soutien pour
Karzaï, a été victime de tentatives d’assassinat répétées. Dernièrement, un
groupe de 30 combattants ont attaqué sa maison, tuant plus de 20 de ses gardes
du corps.
En vue de réagir contre le caractère précaire de sa principale
route d’approvisionnement à travers le Pakistan et avant l’intensification de
la guerre en Afghanistan les Etats-Unis ont multiplié les efforts pour bénéficier
de la collaboration d’anciennes républiques soviétiques situées en bordure de
la frontière au nord de l’Afghanistan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan.
Ils s’efforcent aussi de réduire les opérations d’approvisionnement avec le
Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, état riverain de la mer Caspienne, et la Russie.
L’expansion proposée des routes d’approvisionnement
américaines pour la guerre en Afghanistan à partir de l’Asie centrale et du
Caucase représente une évolution inquiétante. Elle reflète les objectifs
expansionnistes et hégémoniques des Etats-Unis qui sont déterminés à étendre
leur influence militaire, économique et politique sur l’Asie centrale aux
dépens de ses principaux rivaux dans la région, la Chine, la Russie et l’Iran.
C’est ce qu’a révélé le diplomate de carrière indien, M K
Bhadrakumar, dans un récent article publié par Asia Times Online
(« All
roads lead out of Afghanistan », [Tous les
chemins conduisent hors d’Afghanistan]). « Les Etats-Unis poussent
fortement en avant une présence militaire accrue dans l’arrière-cour de la
Russie (et de la Chine) en Asie centrale, » écrit-il, « au motif que
les exigences d’un effort renforcé en Afghanistan rendent précisément nécessaire
une telle extension de la présence militaire américaine. »
Selon un récent article du New York Times (« US to Widen Supply Routes in Afghan War »
[Les Etats-Unis cherchent à élargir les routes d’approvisionnement dans la
guerre en Afghanistan]) les Etats-Unis cherchent à obtenir des concessions de
la part de pays d’Asie centrale, notamment l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, en
promettant que les livraisons seront assurées par des entreprises commerciales
et ne comporteront pas d’armement. De son côté, l’OTAN tente d’élaborer un
accord par lequel la Russie lèverait son interdiction sur l’acheminement
d’armement vers l’Afghanistan via son espace aérien.
Cependant, les routes d’approvisionnement ne sont qu’une
première étape. Le chef de l’état-major général des forces armées russes, le
général Nikolaï Makarov, qui selon Bhadrakumar « n’aurait pas pu
s’exprimer sans l’autorisation du Kremlin », avait dernièrement
« révélé que Moscou avait des informations selon lesquelles les Etats-Unis
insistaient sur l’installation de nouvelles bases militaires au Kazakhstan et
en Ouzbékistan ».
Comme le signale Bhadrakumar, le problème auquel les
Etats-Unis sont confrontés est qu’il n’existe présentement aucune alternative sûre
de route terrestre vers l’Afghanistan qui ne traverse le territoire d’une
puissance rivale, à savoir la Russie, la Chine ou l’Iran. Les Etats-Unis pourraient
préparer une autre route caspienne qui traverserait la Géorgie sur la mer Noire
où les Etats-Unis se trouvent dans les étapes finales de l’élaboration d’un
accord de défense, en direction de l’Azerbaïdjan sur la mer Caspienne et puis des
Etats d’Asie centrale. Ceci pourrait aussi servir de route du pétrole et du gaz
indépendante de la Russie et étendre potentiellement l’OTAN dans le Caucase et en
Asie centrale si les puissances européennes acceptent la nécessité d’une
défense des sources d’énergie vitales, conduite par les Etats-Unis.
La tentative d’étendre l’influence américaine en Asie centrale
a lieu après des années durant lesquelles leur position s’était détériorée dans
la région. Les Etats-Unis se sont servi des attaques terroristes du 11
septembre contre le World Trade Center en 2001 pour déclencher une guerre prédatrice
contre l’Afghanistan. A l’époque ils purent gagner à leur cause plusieurs pays
d’Asie centrale. Mais la position des Etats-Unis s’est vite érodée.
Des organisations rivales telles l’Organisation du traité de
sécurité collective (OTSC) et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) ont
repris de l’assurance. En 2005, l’Ouzbékistan a expulsé l’armée américaine.
Parmi les Etats d’Asie centrale, actuellement seul le Kirghizistan permet aux
Etats-Unis d’opérer des bases militaires sur son territoire.
Lors de sa campagne présidentielle, Barack Obama a fait de
l’extension de la guerre américaine en Afghanistan son objectif central de la
politique étrangère. Ce faisant, il s’exprimait au nom d’une section de l’establishment
politique qui croyait que l’accent primordial accordé par le gouvernement Bush à
la guerre en Irak avait été mis aux dépens de sa position en Asie centrale face
à la Chine et à la Russie. Le besoin de troupes supplémentaires en Afghanistan
est devenu depuis une politique consensuelle au sein de l’élite dirigeante
américaine.
La tentative américaine de regagner sa popularité en Asie
centrale est motivée par des intérêts géostratégiques bien définis et qui
seront poursuivis de manière encore plus agressive par un gouvernement Obama. L’actuel
ministre de la Défense de Bush, Robert Gates, qui a été reconduit à son poste
par Obama, expose les grandes lignes d’un
tel approfondissement de la guerre dans l’actuelle édition du
magazine Foreign Affairs.
« Pour être franc, écrit Gates, ne pas réussir, ou
avoir l’air d’échouer, soit en Irak soit en Afghanistan serait un coup désastreux
porté contre la crédibilité des Etats-Unis à la fois auprès des amis et des
alliés que des adversaires potentiels… A bien des égards, l’Afghanistan représente
un défi à long terme bien plus complexe et bien plus difficile que l’Irak, un
défi qui… nécessitera pendant un certain temps un important engagement
militaire et économique américain. »
L’amplification de la présence américaine en Afghanistan et en
Asie centrale représente un nouvel avertissement selon lequel la crise
économique est en train d’exacerber les tensions géopolitiques et représente la
menace d’une guerre de bien plus grande envergure et plus destructrice encore.