Les phrases du discours d’investiture d’Obama
qui ont suscité le plus grand enthousiasme dans le spectre politique de l’establishment
américain, qui va de la droite républicaine aux libéraux démocrates, ont été
celles suggérant que le peuple américain était responsable de la catastrophe
économique actuelle. « Notre économie est gravement affaiblie »,
a-t-il déclaré, une « conséquence de la cupidité et de l’irresponsabilité
de certains, mais aussi de notre échec collectif à faire des choix difficiles
et à préparer la nation à une nouvelle ère. »
Obama n’a pas spécifié quels étaient
précisément ces « choix difficiles », mais il a clairement indiqué que
ceux-ci n’impliquaient en aucune façon un défi du système capitaliste de
marché, en déclarant que « sa capacité à générer de la richesse et à étendre
la liberté est sans égal ».
En gros, il a laissé entendre que les
« choix difficiles » qu’il ferait impliqueraient des coupes
drastiques dans les programmes sociaux, y compris la fin des programmes qui ne
« marchent » pas. Cette politique d’austérité qui, comme il l’avait
déjà indiqué précédemment, affecterait des programmes sociaux de base tels par
exemple la Sécurité sociale et Medicare, a été résumée par un appel à
« une nouvelle ère de responsabilité ».
L’exigence implicite de sacrifices plus grands
du peuple américain a été saluée par des commentateurs libéraux tels David
Ignatius du Washington Post qui a loué Obama pour avoir dit au peuple
que la crise était « en partie de notre faute ». Il a poursuivi en
disant « Nous connaissons tous les paroles de Pogo [figure centrale d’une bande
dessinée américaine] disant "nous avons rencontré l’ennemi, et l’ennemi c’est
nous-mêmes." Il semble qu’Obama les ait implicitement adoptées. »
Le chroniqueur de droite, George Will, dans
son article de la rubrique « éditorial et opinion » du Washington
Post s’est enthousiasmé pour ces mêmes paroles en écrivant que l’un des
thèmes d’Obama « était que non seulement les Américains avaient un
problème mais qu’ils sont le problème ».
Ces commentaires approbateurs résument
exactement la thèse profondément réactionnaire et trompeuse qui traverse le
discours d’Obama et qui se cache derrière la rhétorique du « Je comprends
votre souffrance ». La tentative d’Obama de rejeter la responsabilité de
l’échec du capitalisme américain au peuple américain n’est rien moins qu’une
diffamation, dont le but est de masquer les intérêts sociaux qui sont
réellement responsables de la catastrophe qui se développe et de perpétrer des
attaques encore plus graves contre la classe ouvrière.
La classe ouvrière ne porte aucune
responsabilité dans l’effondrement du système financier et de la récession qui
s’ensuit et qui est en train de se transformer en une dépression à grande
échelle. La population laborieuse n’a aucun contrôle sur la politique et les
agissements des multimillionnaires et des milliardaires qui envahissent Wall
Street. Elle n’a pas eu voix au chapitre sur les chaînes de Ponzi qui, jusqu’au
moment de leur effondrement inévitable, se sont traduites en compensations s’élevant
à plusieurs millions de dollars et en fortunes colossales pour l’aristocratie
financière.
Les travailleurs sont les victimes de la
cupidité effrénée de l’élite patronale et financière qui est elle-même l’expression
des contradictions fondamentales internes du système économique irrationnel
qu’elle supervise. L’on pourrait déduire des remarques faites par Obama que la
grande majorité des gens ont mené la grande vie aux Etats-Unis. En réalité, depuis
trois longues décennies ils assistent au déclin de leur situation sociale et à
la détérioration de leurs niveaux de vie alors qu’une part de plus en plus
grande de la richesse nationale remplissait les comptes en banque de l’élite dirigeante.
L’aspect le plus significatif de la vie
américaine, à savoir la croissance stupéfiante de l’inégalité sociale, n’a pas été
mentionné dans le discours d’Obama. Il ne pouvait pas y faire allusion et en
même temps accuser la population de culpabilité « collective ».
La seule référence fugitive faite par Obama à
la criminalité entrepreneuriale, « la cupidité et l’irresponsabilité de
certains », était en soi une couverture. De la part de
« certains » ? Le quasi-effondrement de l’économie américaine et
mondiale n’est pas dû à quelques financiers véreux ou à une simple aberration
comportementale. L’imposture, l’incompétence, la témérité étaient, et sont
encore, omniprésentes dans le capitalisme américain et sont systémiques.
C’est un système qui, durant des décennies, a épuisé
à mort l’industrie de base, a permis à l’infrastructure sociale de pourrir et a
accéléré la détérioration du niveau de vie de la majorité de la population dans
le but de générer par la manipulation et la spéculation des profits plus vastes
pour l’élite. L’élite dirigeante américaine est révélée au grand jour et déchue,
apparaît au monde telle une couche sociale semi-criminelle.
La « nouvelle ère de
responsabilité » signifie en réalité une amnistie générale pour le
système, pour la classe sociale et ceux des membres du gouvernement qui sont
vraiment responsables de la crise. Aucun des banquiers et des spéculateurs qui
ont créé une montagne de valeurs papiers sur la base de prêts immobiliers
prédateurs et qui étaient voués à l’échec n’auront à répondre de leurs actes. Pas
plus que les régulateurs du gouvernement qui sont intervenus et leur ont servi
de complices. Il en sera de même pour les membres du Congrès appartenant aux
deux partis qui ont démantelé les réglementations et qui ont supprimé les taxes
professionnelles pour obtenir en échange des fonds de campagne électorale et
autres pots-de-vin.
Pour n’en nommer que quelques-uns :
● Le sénateur Charles Schumer, président
du Joint Economic Committee de New York qui avait amassé, selon le Center Responsive
Politics (CPR), 12 928 000 dollars durant le cycle électoral
2003-2008. Figuraient parmi les cinq industries en tête de liste du financement
de sa campagne les sociétés de gestion de titres et d’investissement, les
cabinets d’avocats, les agences immobilières, diverses banques d’affaires et banques
commerciales qui lui ont permis d’engranger un total net de 3 937 000
dollars. Ses cinq plus importants bailleurs de fonds du côté des firmes étaient
Citigroup, UBS, Weiss et al., Kosowitz, Benson et al. et Metlife, qui ont versé
un total de 271 000 dollars à ses campagnes.
En tant que président du Comité sénatorial
démocrate de campagne durant ces quatre dernières années, Schumer a réussi à
augmenter de 50 pour cent les dons de Wall Street. Il avait récolté ces
dernières années plus de 120 millions de dollars de Wall Street.
● Barney Frank, le président démocrate
de la Chambre du Comité des services financiers. Il a rassemblé 2 282 000
dollars en 2007-2008, selon le CPR, grâce à ses cinq industries een tête de
liste pour le financement et comprenant des sociétés de gestion de titres et
d’investissement, des agences immobilières, des compagnies d’assurance, des
cabinets d’avocats et de conseils ainsi que des banques commerciales.
● Rahm Emanuel, le chef de cabinet
d’Obama à la Maison-Blanche. Après avoir quitté le gouvernement Clinton, il a empoché
18 millions de dollars net durant les trois ans, de 1999 à 2002, qu’il a passés
à la banque d’investissement Dresdner Kleinwort Wasserstein à Chicago.
Et puis, il y a Obama lui-même. Il est un
produit de la machine du Parti démocrate de l’Illinois qui est liée aux rois de
la finance tels Robert Wolf, le patron de la banque suisse UBS America et
Warren Buffet, le deuxième homme le plus riche des Etats-Unis. Obama, qui est
le bénéficiaire de centaines de millions de dollars de contributions
électorales venant du patronat, est lui-même un multi millionnaire qui incarne
la corruption sociale de l’élite dirigeante en général et du mouvement droitier
du Parti démocrate en particulier. Son ascension est le résultat du tournant
opéré vers la politique identitaire et les préférences raciales comme moyen
d’intégration de la classe moyenne supérieure noire dans l’establishment
politique en supprimant les questions fondamentales de classe dans la société
américaine.
Pour la classe ouvrière, la condition
préalable à l’établissement d’une « responsabilité » authentique est
de revendiquer l’obligation de rendre compte publiquement et intégralement du
pillage de l’économie et de la misère sociale qu’il a produit. Ceci doit inclure
une enquête sérieuse sur le rôle joué par les banquiers, les directeurs de
fonds spéculatifs, les spéculateurs et leurs complices au sein du gouvernement
ainsi que par les facilitateurs au sein des médias sous contrôle patronal.
Le procès de l’ensemble du système économique
et politique doit être fait et des poursuites judiciaires doivent être entreprises
contre les principaux délinquants. Les fortunes amassées grâce à l’imposture et
à l’escroquerie doivent être confisquées et la richesse volée au peuple
américain doit être restituée. Une telle obligation de rendre des comptes est
essentielle au développement d’une solution rationnelle et progressiste à la
crise.
Ceci ne peut être entrepris que sur la base
d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière luttant pour une
politique socialiste, y compris la nationalisation des banques et des
industries de base placées sous le contrôle démocratique de la population
laborieuse, et non de l’élite dirigeante, de ses deux partis et du système
capitaliste qu’ils défendent.