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Contrairement aux Etats-Unis qui ont apporté leur soutien
inconditionnel à Israël en s’opposant à toute proposition de
cessez-le-feu suite à l’attaque d’Israël contre la Bande de Gaza,
l’Europe a pris une série d’initiatives diplomatiques. Présentement,
un nombre de délégations diplomatiques de haut rang s’activent au
Proche-Orient.
Benita Ferrero-Waldner, la commissaire européenne des
relations extérieures, le chef de la diplomatie européenne, Javier Solana et
les ministres des Affaires étrangères de France, de Suède et de la République
tchèque se sont rendus dans la région au nom de l’Union européenne (UE).
La République tchèque assure actuellement la présidence de l’UE.
L’ancien premier ministre britannique, Tony Blair, se trouve dans la
région au nom du soi-disant Quartet pour le Moyen-Orient (Nations unies,
Etats-Unis, UE et Russie). Dans l’exercice de ses fonctions de
co-président de l’Union méditerranéenne récemment constituée, le
président français, Nicolas Sarkozy, s’était rendu dans la région lundi
et mardi. Le deuxième président de l’Union méditerranéenne est Hosni Moubarak,
le président égyptien.
Tous les représentants européens ont appelé à un
cessez-le-feu immédiat. Ils ont discuté de leurs propositions avec Moubarak, Mahmoud
Abbas, le président palestinien, Ehoud Olmert, le premier ministre israélien,
et, en ce qui concerne Sarkozy, avec Bashar al-Assad, le président syrien. Dans
le même temps, les délégations européennes ont exclu tout pourparler avec le
Hamas, la cible directe de l’agression israélienne.
De nombreux adversaires de l’attaque israélienne sur
Gaza ont salué les initiatives diplomatiques de l’Europe. Le porte-parole
pour la politique étrangère du groupe parlementaire du parti allemand
« Die Linke » (La Gauche), Wolfgang Gehrke par exemple, a loué
l’intervention du président français.
Le militant israélien pour la paix, Michel Warchawski, a
simplement critiqué l’insuffisance et la lenteur de ces initiatives. Sur
le site du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) il a lancé un « appel
urgent à l’ensemble des militants de la société civile…
qu’ils fassent pression sur les gouvernements afin que ceux-ci
interviennent pour mettre fin à l’effusion de sang, et d’intervenir
maintenant, pas dans quelques jours ! » Il a poursuivi en réclamant
l’envoi d’« une force internationale d’interposition et
de protection de la population de Gaza. »
De telles déclarations ne reconnaissent pas la véritable nature
des interventions européennes.
Le premier point à relever est le fait qu’aucun
gouvernement européen n’a condamné l’agression israélienne en
l’appelant par son vrai nom : un crime de guerre. Au lieu de cela,
ils ont justifié les actes perpétrés par Israël, son blocus de 18 mois sur la
population de Gaza, ses assassinats ciblés des dirigeants du Hamas et son
bombardement du territoire densément peuplé et pratiquement sans défense, comme
étant des actes de légitime défense.
Avant d’entamer son voyage, le président Sarkozy a ouvertement
rendu le Hamas, et non l’armée israélienne, responsable de la souffrance
des Palestiniens en invoquant les tirs de roquettes du Hamas vers le sud
d’Israël. Le chef du gouvernement tchèque et l’actuel président de l’Union
européenne, Mirek Topolanek, a déclaré que l’armée israélienne avait un
caractère « défensif ». Et, lors d’une conversation
téléphonique avec le premier ministre israélien, la chancelière allemande,
Angela Merkel, a déclaré que la responsabilité des combats incombait
« clairement et exclusivement » au Hamas.
En réclamant un cessez-le-feu, les gouvernements européens poursuivent,
avant tout, leurs propres intérêts géopolitiques.
Ils craignent que les méthodes impitoyables employées par
Israël n’ébranlent les régimes arabes avec lesquels ils entretiennent des
liens économiques et politiques. La colère qui est très répandue contre les
actions d’Israël vise de plus en plus souvent les élites dirigeantes
arabes qui collaborent étroitement avec Israël et les Etats-Unis.
Les milieux dirigeants en Europe redoutent une
déstabilisation d’Israël résultant de sa guerre brutale contre Gaza.
Un éditorial paru le 5 janvier dans le journal conservateur Le
Figaro et intitulé « Agir vite pour un cessez-le-feu », mettait
en garde contre un tel développement en déclarant, « Agir dès maintenant
est indispensable parce que l’indignation enfle à mesure que
s’accumulent les victimes civiles de ce nouveau drame que vivent les
Palestiniens. » Le journal continue, « Malgré les difficultés, il
faut le faire sans attendre parce que le pire n’est peut-être pas encore
arrivé : toute incursion terrestre en zone densément peuplée est très
meurtrière. Et puis, que se passera-t-il si un deuxième front s’ouvre
avec le Hezbollah au Liban ? Il faut le faire vite, enfin, parce que la
passivité des Etats-Unis crée un vide qui encourage tous les extrêmes. »
Les gouvernements européens et notamment la France craignent
pour leur propre stabilité étant donné que des millions d’immigrés
d’Afrique du Nord et de pays arabes y vivent. Nombre de jeunes qui se
sont révoltés ces dernières années contre les conditions intolérables qui
règnent dans les banlieues françaises sont de descendance arabe et musulmane et
s’identifient aux Palestiniens.
Enfin et surtout, les Européens considèrent la passivité des
Etats-Unis qui sont occupés par un changement de gouvernement et une profonde
crise économique comme une occasion à saisir pour rétablir et renforcer leur
position au Proche-Orient. Ceci vaut tout particulièrement pour la France qui,
suite à l’effondrement de l’Empire ottoman, compta parmi les premières
puissances coloniales dans la région jusqu’au moment où elle fut évincée
par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
Ce point est également traité dans l’éditorial du Figaro
qui dit, « En l’absence momentanée des Américains, le président de
la République peut aussi espérer redonner un rôle aux Européens. »
Depuis sa prise de fonction, Sarkozy s’est efforcé de
renforcer le statut de la France dans la région méditerranéenne et au
Proche-Orient. C’était la raison qui se cachait derrière l’Union de
la Méditerranée créée en juillet dernier ainsi que la collaboration de Sarkozy
avec le président syrien Bashar al-Assad qui fait figure de paria à Washington.
Sarkozy entretient également des relations beaucoup plus étroites avec Israël que
ne l’avait fait aucun président français avant lui.
Avant d’entamer sa mission au Proche-Orient, Sarkozy
s’était vanté de ses relations étroites dans la région. « La France,
parce qu’elle a su construire un lien de confiance et d’amitié avec
l’ensemble des parties, a une responsabilité particulière, » a-t-il
dit dans une interview publiée par trois quotidiens libanais.
L’Allemagne aussi poursuit des intérêts propres au
Proche-Orient. La diplomatie allemande agit certes plus calmement que Sarkozy
et ce en raison surtout du rôle joué par le pays dans l’Holocauste, mais tout
en étant aussi ambitieuse. Tandis que Sarkozy se rendait au Proche-Orient
accompagné des médias, la chancelière Merkel et son ministre des Affaires
étrangères, Frank-Walter Steinmeier, étaient en contact téléphonique avec les
principaux acteurs. Au cours de ces dernières années, l’Allemagne a déjà
joué un rôle clé dans la formation de la police et des autorités judiciaires
dans les territoires nommément autonomes de Palestine.
Le cessez-le-feu que réclament les Européens correspond à
leurs ambitions impérialistes. Plutôt que de garantir la libération du peuple
palestinien et d’alléger sa souffrance, les puissances européennes sont
déterminées à établir un moyen plus efficace pour leur répression. A cette fin,
ils requièrent une force de police plus fiable. Les candidats les plus
probables pour endosser ce rôle sont le régime égyptien de l’homme fort Moubarak
et l’Autorité palestinienne soutenue par les Etats-Unis et dirigée par
Abbas.
Tandis qu’Israël intensifie ses bombardements et sa
guerre terrestre à Gaza, les Européens tentent de conclure un accord qui
arrange Tel-Aviv et Washington. Le journal Le Monde rapporte dans son
compte rendu des discussions des délégations européennes avec le gouvernement
égyptien, que la France considère la fin du trafic d’armes vers Gaza
comme une première condition à la signature d’un cessez-le-feu avec
Israël. A cette fin, il est nécessaire d’instaurer des contrôles encore
plus stricts le long de la frontière entre l’Egypte et Gaza, probablement
par le déploiement d’une force internationale.
Le journal Süddeutsche Zeitung suggère des projets
encore plus vastes. Le véritable but de l’offensive israélienne, écrit le
journal, est de repousser les Palestiniens dans le désert du Sinaï en « accordant
une responsabilité partielle à l’Egypte pour les 1,5 million de
Palestiniens. » Il poursuit en disant que « la situation serait presque
comparable à la Guerre des Six Jours de 1967. Des réfugiés de guerre arabes
avaient fui à l’époque les troupes israéliennes en se réfugiant dans les
pays arabes avoisinants et en y restant. Dans le cas présent, Israël pourrait annoncer
la fin des hostilités si une puissance neutre acceptait de superviser le
cessez-le-feu. L’Egypte est un candidat potentiel. Le Caire devrait être
chargé de maîtriser le Hamas et d’assurer que les gens aient quelque
chose à manger. Il porterait une responsabilité partielle pour l’administration
de la bande de Gaza. »
Le Süddeutsche Zeitung conclut que les Etats-Unis
seraient prêts à accepter une telle solution en exerçant une pression sur Le
Caire au motif que « Nous sommes les alliés les plus proches d’Israël
et le plus important bailleur de fonds du Caire. Moubarak sait que personne
d’autre n’est disponible. »
Le Financial Times britannique arrive à une
conclusion identique. Le journal écrit que l’Egypte soupçonne que le véritable
objectif d’Israël « est de rejeter la responsabilité de la Bande de
Gaza et de ses habitants sur Le Caire. » Le journal cite un responsable
égyptien de haut rang qui se plaignait en disant que « c’est un jeu
sinistre que l’on joue avec nous…Si nous ouvrons les frontières,
alors nous avons un énorme problème de réfugiés, et quoi faire alors ? Devons-nous
alors transférer la population vers le Sinaï ? »
De tels commentaires exposent clairement le caractère
sinistre de la diplomatie européenne. Après une guerre qui pourrait bien coûter
la vie à des centaines de Palestiniens et entraîner l’expulsion de Gaza
de centaines de milliers de personnes, les Européens sont en train de prévoir
une solution qui garantirait que Gaza demeure une prison. Et, en collaboration
avec Israël, les Etats-Unis et l’Europe, l’administration de cette
prison serait confiée à l’Egypte et à l’Autorité palestinienne.