Les salariés de Télédiffusion de France (TDF) sont confrontés à
un plan annoncé soudainement par la direction le 12 juin de licencier 600
salariés sur 2400. TDF est la principale entreprise française de diffusion Radio
et télévision (détenant les trois quarts du marché). Elle intervient également
sur les relais de téléphone mobile, ayant diversifié ses activités dans de
nombreux secteurs des télécommunications et d'autres pays.
La lettre envoyée aux employés et aux médias par le directeur,
Patrick Babin, annonce la suppression de 550 "équivalents temps plein" -- soit
un peu plus de 600 emplois réels -- notamment en externalisant des services
administratifs. Elle invoque comme seul motif le passage à la télévision
numérique, qui nécessiterait moins de personnel.
Le passage à la télévision numérique étant prévue de longue
date, les salariés jugent que la véritable raison tient aux délais de
remboursement des emprunts contractés par des actionnaires privés qui ont acquis
des parts de TDF. La crise actuelle laisse supposer qu'ils ne pourront pas être
tenus, alors même que l'entreprise continue à générer un bénéfice net de plus de
300 millions d'Euros.
Les salariés étaient en grève les 22 et 23 juin derniers pour
s'opposer à ce plan. Le mardi 23 au matin, le taux de grévistes était de 90 pour
cent, et 500 à 600 d'entre eux venus de toute la France ont manifesté devant la
direction à Montrouge. Prétextant trop de bruit, l'intersyndicale et la
direction qui discutaient dans une salle du rez-de-chaussée sont montées dans
les étages poursuivre leur discussion.
Selon les informations qui nous sont parvenues, et contrairement
à ce qui a été annoncé dans les médias, la direction n'a été séquestrée à aucun
moment. Simplement, les salariés inquiets de leur avenir ont profité d'une
fausse manœuvre de la porte d'entrée pour pénétrer à l'intérieur, les vigiles
laissant faire. En revanche, il est exact que la direction s'était fait livrer
des matelas par crainte d'être retenue.
La manifestation s'est ensuite rendue sous la Tour Eiffel et a
été rejointe par des grévistes de Radio France International (RFI). Cette chaîne
publique de radio mondiale, la troisième la plus écoutée au monde, est
confrontée à un projet de suppression de plus de 200 postes sur 1000 mené par la
directrice de RFI, l’ancienne présentatrice du jounal télévisé Christine
Ockrent, qui est aussi l'épouse de l'actuel ministre des affaires étrangères,
Bernard Kouchner.
Le déficit de 8,7 millions d'euros invoqué pour ce plan est
presque entièrement dû à des erreurs de gestion de la direction précédente et
aux frais du changement de direction. Le mouvement d'opposition des salariés de
RFI dure maintenant depuis deux mois.
Pour seul résultat, la direction a annoncé qu’elle « gelait »
les emplois. Prétextant que les vacances d'été pourraient rompre l'élan, les
syndicats ont suspendu la mobilisation des salariés, ajoutant des promesses
d’une action « plus musclée » à la rentrée. Dans leur dernier tract du 3
juillet, ils se proposent de « mettre un terme à ce projet, au moins sous sa
forme actuelle, qui met en péril l'entreprise. » et indique que «
l'intersyndicale travaillera cet été à la construction de la riposte et vous
donne rendez-vous début septembre, d'ici là, restons vigilants. »
TDF était à l'origine une entreprise publique, issue de
l’éclatement de l’ORTF (Office de Radiodiffusion-Télévision Française) en 1975.
Elle est devenue une SA En juin 1987, l'année où le gouvernement Chirac cédait
TF1 à Bouygues. En 1991, le groupe France Télécoms (FT) détenait 100 % du
capital de TDF. En 2002 FT cède TDF à un consortium dans lequel elle conserve
une participation. C’était le résultat de l'énorme compétition entre opérateurs
de télécoms qui eut lieu à l'époque et laissa les compagnies avec une
surcapacité massive et d'énormes dettes.
Les 20 premières compagnies européennes avaient une dette totale
de 300 milliards de dollars (voir notre article en anglais :
). FT
détenait le record : 70 milliards de dollars, avec 15 milliards à rembourser dès
l'année suivante FT fut obligée de vendre certaines de ses filiales les plus
profitables (et donc les plus chères) et de réduire les effectifs.
Dans les années 80, TDF comptait 4000 employés, l'entreprise a
été réduite à l'effectif actuel en l’espace d’une vingtaine d'années sans plan
de licenciement, en supprimant des postes au rythme de 9 par mois. Mais il en
faut toujours plus aux actionnaires, et pour réduire les coûts, la convention
collective est dénoncée, TDF passe de la convention de l'audiovisuel héritée de
l'ORTF à celle, globalement moins favorable, des télécommunications.
En novembre 2004, encombré de dettes, France Télécoms a cédé
l’intégralité de sa participation résiduelle dans TDF aux autres actionnaires
pour 2,3 milliards d'euros. De plus, deux décisions de la Cour Européenne de
Justice étaient intervenues contre EDF et risquaient d'être applicable à FT et
TDF. L'une sanctionnait comme une entrave à la concurrence le fait qu'EDF
bénéficie de la garantie illimitée de l'état pour ses dettes (ce qui le
dispensait de s'assurer). L'autre sanctionnait des liens trop étroits entre
l'activité de gestion du réseau et celle de production d'électricité, les
principes dégagés dans ces arrêts peuvent s'appliquer à toutes les activités de
service public.
En 2005, TDF a perdu son statut de diffuseur du service public.
Radio France a lancé un appel d'offres pour une partie de ses fréquences FM, bon
nombre d'entre elles ont été attribuées à Towercast, du groupe NRJ, le principal
concurrent français de TDF. En 2006, TDF annonce une recomposition importante de
son capital, avec l'arrivée du fonds d'investissement américain Texas Pacific
Group.
Ces prises de participations se font par le mécanisme de
Leveraged Buy-Out (LBO), qui consiste à rembourser l'emprunt nécessaire à
l'achat d'actions en quelques années en ponctionnant lourdement les finances de
la société dont les actions sont acquises. Le résultat est d’habitude l’abandon
une grande partie de l'investissement et de la maintenance. En conséquence, le
matériel vieillis et les salariés sont confrontés à des exigences de plus en
plus importantes, notamment sur les heures supplémentaires.