Les protestations du 5 juillet des
travailleurs et des étudiants ouïgours au Xinjiang et la brutale réaction
militaire du gouvernement chinois ont révélé qu’à l’approche des célébrations
du 60e anniversaire de la révolution de 1949, les fondations même d’une Chine
unifiée comptant 1,3 milliard de personnes, 56 nationalités ethniques et de
nombreuses différentes langues sont remises en question.
Les promesses de la révolution chinoise
de construire un pays socialiste fondé sur l’égalité de la propriété commune
des moyens de production unifiant ainsi les masses de travailleurs et de
paysans de tous horizons ethniques se sont depuis longtemps évanouies.
La violence de la police militaire ainsi
que la violence communautaire qui ont coûté la semaine dernière des centaines
de vies à Urumqi ont souligné les divisions évidentes causées par la
distribution inégale de la richesse sociale et qui existent entre les classes,
les groupes ethniques et les régions géopolitiques de par la Chine. Dans le
même temps, le déploiement à Urumqi et dans d’autres villes du Xinjiang de
troupes lourdement armées a une fois de plus montré comment on impose
l’exploitation capitaliste.
Aucun dirigeant mondial n’a ouvertement
dénoncé la répression militaire commise au Xinjiang par la direction du Parti
communiste chinois (CCP), à part le premier ministre turc, Tayyip Erdogan, qui
a déclaré, dans le but d’en appeler au nationalisme pan-turquiste de la scène
domestique que c’était « une sorte de génocide » des Ouïgours qui
parlent la langue ouïgoure.
En effet, les gouvernements de
l’impérialisme mondial ne savent que trop bien que des violents conflits
sociaux et ethniques sont inévitables dans un Etat où les travailleurs gagent
en moyenne des salaires horaires ne dépassant pas 20 centimes de dollars
américains de l’heure alors que dans le même temps, le pays dispose du deuxième
groupe de milliardaires (101 en 2008) le plus important du monde après les
Etats-Unis.
Dru Gladney, un spécialiste des questions
ethniques de Chine, avait mis en garde dans le Wall Street Journal le 12
juillet qu’« Une Chine affaiblie par un conflit interne, par l’inflation,
par une croissance économique inégale ou la lutte pour la succession politique
pourrait être en proie à davantage de divisions selon des lignes culturelles et
linguistiques. Les menaces auxquelles la Chine est confrontée auront
probablement pour origine des troubles civils et peut-être d’une agitation
ethnique interne venant de la soi-disant majorité Han. Nous devons rappeler que
c’était quelqu’un du Sud [Sun Yat-sen], né et éduqué à l’étranger, qui avait
dirigé la révolution qui a mis fin à la dernière dynastie chinoise. Quand cet
empire est tombé, les seigneurs de guerre rivaux, souvent soutenus par des
puissances étrangères, se livrèrent des luttes d’influence. »
La source des conflits avait été
l’incapacité de la bourgeoisie chinoise, menée par Sun, de créer un Etat
national unifié à cause de ses liens avec les seigneurs de guerre et les
puissances impérialistes et sa crainte de mobiliser les masses opprimées. Cette
tâche fut laissée à la jeune classe ouvrière chinoise, inspirée par la
Révolution russe de 1917. Toutefois, l’étouffement de la révolution chinoise de
1927 en raison de la politique opportuniste de la bureaucratie stalinienne
obligeant le CCP à se subordonner au régime bourgeois du Kuomintang (KMT),
laissa la Chine vingt ans de plus dans un état de démembrement et le régime KMT
à peine en mesure de contrôler les régions lointaines telles le Xinjiang.
La crise politique actuelle au Xinjiang est
le résultat de l’évolution historique de l’Etat chinois établi en 1949. La
révolution organisée par les maoïstes n’était ni socialiste ni communiste. En
1949, le CCP avait depuis longtemps coupé les liens avec la classe ouvrière
urbaine en faveur de la paysannerie. L’unification de la Chine sous Mao, dans
les conditions exceptionnellement favorables créées par la Guerre froide et
l’effondrement de tous les anciens empires coloniaux, faisait partie de la
théorie stalinienne des « deux étapes » : le Parti communiste
devant d’abord accomplir les tâches bourgeoises nationales démocratiques avant
d’engager la lutte pour le socialisme. Dans les centres urbains de la Chine, la
classe ouvrière fut impitoyablement réprimée par l’armée paysanne de Mao.
Xinjiang qui avait été dirigé par des
nationalistes ouïgours et des seigneurs de guerre chinois, souvent en tant que
vassaux de Staline, dans les années 1930 et 1940, fut incorporé de force et par
des manœuvres politiques dans le régime de Mao, et non par l’implication
démocratique et consciente des masses opprimées. La politique ethnique
maladroite de Beijing d’imposer des restrictions religieuses et son
indifférence à l’égard des coutumes régionales était enracinée dans la
consolidation par Mao d’un Etat national et d’une industrie nationale non
seulement à l’encontre des puissances occidentales mais aussi du régime de
Staline en URSS. Du fait de son enclavement, Xinjiang devint l’« arrière-cour »
de la Chine, un site pour les essais nucléaires et les installations d’armes
nucléaires.
Le tournant opéré par Mao en 1971 vers
l’impérialisme américain et qui fut marqué par la visite du président américain
Nixon et la politique qui s’ensuivit, ont déchaîné les forces qui à présent une
fois de plus menacent de faire éclater la Chine. Dans les années 1980, le
soutien apporté par la Chine aux opérations américaines à l’intérieur de
l’Afghanistan sous occupation soviétique, notamment la guérilla moudjahidin, a
créé la base pour l’islam au Xinjiang même.
Dans les années 1990, l’effondrement de
l’URSS et la séparation des républiques soviétiques d’Asie centrale ont offert
l’opportunité à l’impérialisme américain de pénétrer dans la région, y compris
Xinjiang. Cherchant à contrer cette pression, Beijing, dans le but de
consolider son contrôle, décida d’accroître massivement la migration des Han
vers le Xinjiang.
Ceci fut suivi par l’ouverture de régions
entières de la Chine à la pénétration de capitaux étrangers résultant ainsi
dans l’aggravation des tensions sociales et nationales. Depuis la mise en œuvre
du programme « Go west » par Beijing en 2000 pour exploiter les
vastes ressources minérales de la région, Urumqi a enduré l’arrivée de centres commerciaux,
de tours de bureaux, de grands magasins et de banques étrangères. Avec 30
milliards de tonnes de pétrole, Xinjiang détient un tiers des réserves de
pétrole de la Chine, 40 pour cent de son charbon et représente une base majeure
des récoltes industrielles telles que le coton. De plus, Xinjiang est à présent
la nouvelle frontière par où le capital chinois part sillonner l’Asie centrale
en quête de pétrole et de gaz, dans une semi-alliance avec la Russie.
Alors qu’une section de l’élite ouïgoure
liée au CCP est devenue une partie de la nouvelle élite chinoise riche, la
majorité des masses ouïgoures sont les laissés pour compte, faisant l’objet de
discrimination linguistique relative à l’emploi, ayant un niveau d’éducation
inférieur mais avant tout faisant partie des nombreux travailleurs pauvres de
la Chine. Selon certaines évaluations, Xinjiang figure à présent parmi les
provinces économiquement les plus inégales de Chine, quand bien même il dispose
du revenu par habitant le plus élevé du pays, hormis les provinces les plus
développées du Sud-Ouest.
Une section de l’élite ouïgoure qui veut une
part plus grande des profits provenant de l’ouverture de Xinjiang cherche à
établir des relations indépendantes avec les principales puissances
occidentales. Cette tendance est menée par la dirigeante ouïgoure exilée Rebiya
Kadeer qui était l’une des femmes les plus riches de Chine et une personnalité
de haut rang de la Chambre de commerce de Xinjiang et de la Conférence
consultative politique du peuple chinois (un comité de multimillionnaires
censés conseiller le CCP). Tout en manipulant les injustices ressenties par les
masses ouïgoures, cette couche de la bourgeoisie partage l’hostilité de classe
qu’éprouve Beijing envers la population laborieuse ordinaire.
L’image inversée du séparatisme est la
montée du chauvinisme Han après le massacre de la place Tiananmen en 1989 quand
le régime stalinien a brutalement écrasé la résistance de la classe ouvrière
contre sa politique pro-capitaliste. Avec la diminution de sa base de soutien
traditionnelle parmi la paysannerie, le CCP a promu sciemment le nationalisme
chinois afin de créer une base parmi les classes moyennes, un processus qui ne
peut qu’exacerber la fracture de l’unité nationale.
Alors que le régime du CCP tient à présent
le pays en recourant à la répression par la police militaire, il ne peut
arrêter les puissantes tendances centrifuges sociales, ethniques et
géographiques. A moins que et jusqu’à ce que la classe ouvrière chinoise
intervienne avec un programme internationaliste révolutionnaire et socialiste
pour unifier la population laborieuse de toutes appartenances ethniques
confondues contre toutes les formes de nationalisme et de chauvinisme, l’issue
inévitable sera une intensification de la violence communautaire accompagnée
d’un danger grandissant de guerre civile.