L'inauguration d'une base militaire
française à Abou Dabi, capitale des Emirats arabes unis (EAU) le 26 mai dernier
démontre que le capitalisme français est désireux d'assurer ses intérêts dans
le golfe Persique et a l'ambition de jouer un rôle sur la scène mondiale.
Nommée Camp de la paix, la première base
militaire permanente de la France dans les EAU, qui sont historiquement plus
proches de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, n'est qu'à 150 miles de la
côte iranienne. Elle est proche aussi du stratégique détroit d'Ormuz par où
passent 40 pour cent de l'approvisionnement en pétrole du monde. Elle
représente un pied-à-terre pour l'impérialisme français dans une région
militairement dominée surtout par les Etats-Unis.
Cette base comprend une base aérienne, une
base navale, un camp d'entraînement et elle accueillera jusqu'à 500 soldats
français. La base aérienne sera équipée d'avions de combat Mirage et Rafale de
l'armée de l'air française à al-Dhafra; La base navale comprend 300 mètres de
quai à Mina Zayed et entretient actuellement les navires déployés dans l'Océan
indien. La base terrestre, située dans l'Emirat de Camp Zayed, dans le désert
comprend des équipements d'entraînement au combat urbain.
Dans son discours-programme après
l'inauguration de la base, le président Nicolas Sarkozy a dit,
« L’implantation militaire française permanente d’Abou Dabi illustre les
responsabilités que la France, puissance globale, entend assumer aux côtés de
ses partenaires privilégiés, dans une région absolument névralgique pour le
monde entier. » Il a ajouté, « La France s’engage dans la réalisation
de cette implantation militaire, fondatrice d’une ère nouvelle pour ses
relations de partenariat non seulement avec les Emirats arabes unis mais avec
l’ensemble de ses partenaires au Moyen-Orient. »
Les EAU et la France ont décidé ensemble
d'établir cette base à Abou Dabi lors de la visite de Sarkozy dans la région du
Golfe en janvier 2008. La création de la base fait partie d'un accord de
défense signé en 1995 entre les deux pays.
La base Camp de la paix, première base
outre-mer de la France 50 ans après la fin de la période coloniale, représente
un changement significatif de la politique étrangère française. Jusqu'à
présent, la France avait concentré ses bases militaires dans ses anciennes
colonies d'Afrique. Sur les plus de 12 000 soldats français déployés dans
le monde, plus de la moitié le sont en Afrique, avec le contingent le plus
important (2800 soldats) à Djibouti dans la Corne de l'Afrique. La France a
3000 soldats déployés en Afghanistan.
L'établissement de la base du Golfe souligne
l'intérêt de la France pour ces régions afin de garantir son approvisionnement
en énergie et des marchés potentiels pour les grandes entreprises françaises,
notamment de technologie énergétique et militaire.
Ces dernières années, la France a étendu ses
relations commerciales avec les EAU. Elle est un des principaux fournisseurs
militaires des EAU depuis la première guerre du Golfe. Selon des sources de
l'Elysée, aujourd'hui « 50 pour cent de leur équipement militaire est
d'origine française. » Dans un entretien avec WAM, l'agence de presse
officielle des EAU, Sarkozy a dit, « Les Emirats arabes unis sont
aujourd'hui notre premier partenaire dans le Golfe et le Moyen-Orient. Bien
sûr, [c'est] notre premier partenaire économique dans la région. Les chiffres
parlent d'eux-mêmes. Les exportations françaises vers les EAU ont triplé durant
les dix dernières années. Les EAU reçoivent aujourd'hui la moitié des
investissements de la France dans le Golfe. »
La visite de Sarkozy avait aussi pour but de
gagner un contrat de plusieurs milliards d'euros pour les entreprises
françaises de services Total et GDF et l'entreprise de nucléaire Areva qui
cherchent à obtenir un contrat pour construire des centrales nucléaires civiles
dans les EAU. La France est confrontée à la concurrence de la compagnie
américaine General Electric et de Korea Electric Power pour avoir des parts
dans le projet des EAU de construction d'un réacteur nucléaire.
Le 25 mai, le Financial Times citait
un directeur de l'Institute for Near East and Gulf Military Analysis, Riad
Kahwaji, « Vu du côté d'Abou Dabi, ils ont le total engagement d'une
autre puissance occidentale pour la sécurité de cette région et, de plus, il
n'existe plus de monopole d'un seul côté pour la sécurité de cette région, et
il est certain qu'ils vont chercher à obtenir une plus grande contribution de
la France en termes de transfert de technologie et de programmes économiques et
industriels ensemble. »
Hormis les intérêts que cela représente sans
aucun doute pour les entreprises en question, des intérêts stratégiques
puissants contraignent la bourgeoisie française à renforcer son influence
militaire dans la région.
L'année dernière, Paris avait publié un
livre blanc sur les plans militaires de la France pour les 15 années à venir et
une réorientation globale de ses déploiements militaires. D'après ce document
la France se concentrera sur « un axe géographique prioritaire allant de
l'Atlantique à la Méditerranée, le Golfe arabo-persique et l'Océan indien. Cet
axe correspond aux régions où les risques liés aux intérêts stratégiques de la
France et de l'Europe sont les plus élevés. »
En particulier, cette démarche de Sarkozy
est liée à la redistribution de l'influence stratégique dans le Golfe, au
moment où on voit des attentes plus grandes de négociations entre les
Etats-Unis et l'Iran et la possibilité d'une amélioration des relations entre
ces deux pays.
Avant sa visite dans les EAU, Sarkozy avait
accordé une longue interview à WAM le 24 mai. Au sujet du programme nucléaire
iranien, il avait dit, « La crise iranienne est franchement un des
problèmes qui menacent la sécurité mondiale. Ma position était claire, et je
dis encore avec insistance qu'il n'est pas acceptable que l'Iran dispose de
l'arme nucléaire. » [retraduit de l'anglais]
Néanmoins il a bien accueilli la suggestion
du gouvernement Obama qu'il pourrait y avoir des négociations avec l'Iran. Il a
dit, « Je suis convaincu que cette approche est la meilleure et est
peut-être l'unique possibilité de régler cette question à l'amiable. »
Depuis l'élection d'Obama, les représentants iraniens sont en faveur de
négociations avec le nouveau gouvernement américain. Durant sa campagne
électorale, Obama avait proposé de parler avec le gouvernement iranien.
Dans son discours d'inauguration à la base,
Sarkozy n'a pas explicitement mentionné l'influence de l'Iran dans le golfe Persique
mais il a dit la France resterait aux côtés des EAU. « Cette implantation
militaire... est le témoignage concret et fort de notre souhait » a-t-il
dit, « de nous tenir, quoi qu'il advient, aux côtés des Emirats arabes
unis. » En même temps, il a ajouté, « Cette présence militaire
permanente de la France ne vise personne. »
En réponse à la présence militaire
permanente de la France dans le Golfe, les représentants iraniens ont dit que
la décision des EAU d'autoriser à la France d'installer une présence militaire
à Abou Dhabi n'améliorera pas la situation de la sécurité dans la région. Le
porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien Hassan Qashqavi a
commenté, « La décision des EAU est illogique et ne peut être considérée
comme une démarche qui va améliorer la sécurité dans la région. » Il a
ajouté, « Autoriser des étrangers à accroître leur présence militaire dans
la région va miner la sécurité et la stabilité et conduire à une course aux
armements. »
Quant à la presse bourgeoise française, elle
calcule que Sarkozy sera en mesure de promouvoir les intérêts français dans les
EAU en jouant sur les inquiétudes de la classe dirigeante des EAU de perdre de
l'influence à Washington au moment où les Etats-Unis négocient avec l'Iran.
Le quotidien français Le Figaro a
écrit le 25 mai, « Le petit État du Golfe redoute la perspective d'avoir
un jour pour voisin un Iran chiite nucléaire. Abou Dhabi recherche donc de
nouveaux protecteurs. » Et de citer un représentant anonyme impliqué dans
les négociations concernant cette base et qui a dit, « Mieux vaut deux
alliés qu'un seul… Surtout à une époque où les Américains réévaluent leurs
choix stratégiques dans le monde. »