Les élections européennes de ce weekend ont lieu dans un
contexte de violentes tensions nationales et internationales. Les conflits de
l’Allemagne, avec la France d’une part, et avec les Etats-Unis de l’autre,
s’intensifient à tel point que les conflits nationaux au sein de l’Europe
menacent de faire éclater l’Union européenne.
Berlin et Washington accumulent les désaccords quant à la
manière de gérer la crise financière et économique internationale. La
chancelière allemande Angela Merkel a attaqué mardi le gouvernement américain
avec une véhémence inhabituelle. Devant un auditoire de représentants
économiques à Berlin, Merkel a déclaré qu’elle regardait « avec grand
scepticisme » les pouvoirs cédés à la Réserve fédérale américaine en
raison de la crise économique. Elle a aussi critiqué la banque centrale
britannique, la Bank of England. La presse financière américaine et
britannique a réagi avec indignation. Le Financial Times de Londres a
publié à la une « Merkel moleste les banques centrales » [Merkel
mauls central banks], tandis que le Wall Street Journal a qualifié
d’« inhabituelle » la critique publique de Merkel.
Que se cache-t-il derrière ce conflit ?
Malgré ses effets négatifs, les milieux politiques
dirigeants en Allemagne ont vu dans la crise financière mondiale l’occasion de
renverser la suprématie de Wall Street et de la City. Malgré tous ses efforts,
le centre financier de Francfort n’a jamais été en mesure de rivaliser
sérieusement avec Londres et New York. La force de l’économie allemande est ses
industries d’exportation, mais c’est justement ce secteur qui a été frappé par
la crise des marchés financiers. Les fonds spéculatifs internationaux, qui ont
fait l’achat de nombreuses compagnies allemandes, ont fini par rencontrer de
plus en plus de résistance à leurs activités en Allemagne. Lorsque
l’effondrement de Lehman Brothers entraîna à sa suite nombre de banques
allemandes et plongea l’économie mondiale en récession, la conclusion qui fut
tirée en Allemagne était claire : les Etats-Unis étaient responsables de
la crise.
Mais tous les espoirs qui voyaient Washington adopter un
rôle plus modeste en réponse à la crise et être plus enclin, sous la gouverne
du nouveau président Barack Obama, à coopérer d’égal à égal avec les Européens
ont été anéantis. Face à la crise, le capitalisme américain n’a que redoublé
d’ardeur pour résoudre ses problèmes aux dépens du reste du monde.
Les montants faramineux que l’administration Obama a
offerts à Wall Street ont détruit tous espoirs de réorganiser les marchés
financiers et alimentent les craintes d’une inflation incontrôlable qui aurait
des conséquences désastreuses pour les industries d’exportation allemandes. Ce
sont ces craintes que Merkel exprimait lors de son discours à Berlin.
Elle a accusé les gouvernements de Washington et Londres
d’injecter des billions de dollars dans leurs institutions financières avec
l’intention de les ramener à leurs positions traditionnelles de pouvoir,
c’est-à-dire comme elles étaient avant l’introduction de nouvelles régulations
sur les marchés financiers internationaux. Elle a « très clairement »
vu que les marchés financiers regagnant du pouvoir rendraient leurs
réglementations plus difficiles et que cela constituait un danger. Merkel a
ajouté que, « Tous ceux qui vont émerger en quelque sorte renforcés de
cette crise vont tenter de résister à de futures contraintes. » Elle a
noté avec inquiétude que les banques avaient déjà un choix remarquable
d’occasions de spéculation, « notamment la gestion des crédits
gouvernementaux », parce que les Etats ont dépensé tellement d’argent pour
leur sauvetage.
Le Süddeutsche Zeitung a commenté que dans plusieurs
capitales « il était de plus en plus évident que la crise financière avait
été déclenchée par des distorsions sur le marché de l’immobilier aux
Etats-Unis, mais que sa véritable origine était très différente : les
années de politique monétaire trop généreuse, en particulier, par les Etats-Unis. »
Les gouvernements allemands et français, qui sont dans des
situations similaires, réagissent à la pression américaine en cherchant à
avancer, en étant de plus en plus agressifs, leurs propres intérêts
impérialistes. Deux jours avant son discours à Berlin, la chancelière Merkel
s’est jointe au président Sarkozy pour écrire un article intitulé « 10
thèses pour une Union européenne forte ». Le point fort de l’article
affirmait que, « L’Europe doit jouer un rôle de premier plan dans le monde ».
Le ton anti-américain des thèses commence avec une analyse
des causes de la crise financière et économique internationale. « Le
libéralisme sans règles a échoué. Cet échec a conduit à la crise que nous
affrontons aujourd’hui », déclare l’article. « Le modèle que nous
voulons, c’est celui de l’économie de marché responsable, qui privilégie
l’entrepreneur et le salarié sur le spéculateur, l’investissement de long terme
sur le profit immédiat. »
Voici deux politiciens conservateurs qui profitent de
relations étroites avec les plus hautes sphères du monde des affaires et qui ne
peuvent, en aucun cas, être accusés d’avoir une quelconque sympathie pour le
socialisme. Leur attaque sur le marché, la spéculation et le profit ne peut
être comprise que comme une attaque sur le capitalisme américain.
Merkel et Sarkozy appellent à une « véritable
régulation européenne dans le secteur financier » et à un « commerce
mondial loyal basé sur la réciprocité ». Advenant un échec du cycle de
Doha sur les négociations concernant le commerce mondial, ils menacent de faire
bande à part en envisageant « des solutions européennes
provisoires ».
Cela est suivi d’un engagement inconditionnel envers un
rôle international plus important pour le capitalisme européen : « L’Europe
doit être plus ambitieuse pour son industrie, pour ses entreprises. Elle doit
favoriser l’émergence d’entreprises européennes puissantes à l'échelle
mondiale ; et nos politiques de renforcement de la compétitivité de
l’industrie européenne doivent y contribuer. »
Le conflit
avec les Etats-Unis a aussi pour effet de transformer l’Union européenne
elle-même. Sous la pression des Américains, les forces centrifuges gagnent en
importance sur le continent européen, menaçant de faire exploser l’UE. Il
semble assuré que les forces extrêmement nationalistes et chauvines vont se
trouver renforcées au terme de l’élection européenne.
Aux Pays-Bas,
où le vote a eu lieu jeudi dernier, le Parti de la liberté, anti-musulman,
dirigé par le populiste de droite Geert Wilders a terminé deuxième. Obtenant 16
pour cent des voix, il n’était pas loin derrière les chrétiens-démocrates du
premier ministre Jan Peter Balkenende qui ont obtenu 20 pour cent des voix. Le
Parti travailliste, un parti social-démocrate, est arrivé en troisième position
avec seulement 13 pour cent des voix exprimées.
En
Grande-Bretagne, on s’attend à ce que le Parti de l’indépendance du
Royaume-Uni, un parti anti-UE, obtienne plus de voix que le Parti travailliste
au pouvoir. Ce dernier devrait connaître une débâcle électorale. Les tories du
Parti conservateur, qui sont en avance dans les sondages pour former le
prochain gouvernement britannique, sont en négociations avec des groupes ultranationalistes
comme le parti polonais Droit et Justice (PiS) des frères Kaczynski pour former
un nouveau groupe parlementaire au Parlement européen. Dans la prochaine
session parlementaire, les tories prévoient quitter le Parti populaire
européen, un regroupement des principaux partis conservateurs soutenant l’Union
européenne. Un gouvernement eurosceptique en Grande-Bretagne, qui fait partie
du groupe des quatre principaux pays membres, laisserait planer un doute sur
l’existence même de l’Union européenne.
Ces forces de
droite ne jouissent pas d’un soutien de masse. Elles bénéficient du très faible
intérêt des électeurs pour les élections européennes, avec un taux de
participation d’environ 30 pour cent, et du déclin des partis
sociaux-démocrates à la suite de leurs attaques pendant des années contre les
travailleurs. Néanmoins, ces forces d’extrême-droite représentent un véritable
danger. L’éclatement de l’Europe en Etats-nations et en région en concurrence
aura des conséquences sociales et politiques dévastatrices. Cela évoque les
abominations nationalistes qui ont accablé l’Europe dans la première moitié du
20e siècle et que l’on a vues plus récemment dans les Balkans.
Les
travailleurs ne peuvent pas et ne doivent pas défendre l’Union européenne. L’UE
est un outil des capitalistes européens. Plus ceux-ci sont agressifs en
cherchant à étendre leur influence à l’étranger, plus ils attaquent avec force
la classe ouvrière européenne. Ce processus est primordial dans le
démantèlement des droits démocratiques et sociaux. La catastrophe sociale
actuelle en Europe de l’Est est largement le produit de la politique de l’UE.
La colère et l’indignation qui s’expriment par les forts taux d’abstention aux
élections portent sur l’UE et ses institutions. Les forces de la droite,
toutefois, cherchent à exploiter cette colère et à la canaliser dans la direction
du chauvinisme.
Les
travailleurs ne peuvent demeurer indifférents ou passifs devant ces
développements. Ils doivent prendre l’initiative d’unir l’Europe sur une base
socialiste. La défense des droits sociaux et des droits démocratiques doit être
liée à une lutte pour un programme socialiste international et pour la
formation des Etats unis socialistes d’Europe. C’est la perspective qui est
mise de l’avant par le Parti de l’égalité sociale (PSG), la section allemande
de la Quatrième Internationale. Un vote pour le PSG ce dimanche est un premier
pas dans le développement d’un parti socialiste international dans toute
l’Europe.