Le 26 mai, la France a ouvert sa propre base militaire à Abou
Dhabi. Voir « La France
ouvre sa première base militaire permanente dans le Golfe persique » A
présent, le quotidien français Le Figaro rapporte que Paris a fourni des
garanties aux Emirats arabes unis (EAU) de les défendre « avec tous les
moyens militaires » c’est-à-dire également avec le recours à l’arme
nucléaire.
Le 15 juin, le quotidien conservateur, Le
Figaro écrivait, « Selon les clauses secrètes de l’accord renégocié
entre Paris et Abou Dhabi, la France s’engage à utiliser tous les moyens
militaires dont elle dispose pour défendre les Emirats arabes unis s’ils
venaient à être agressés. Tous les moyens militaires, c’est-à-dire également
l’arme nucléaire, s’il le faut. »
L’article du Figaro se base sur des
déclarations anonymes faites par des responsables de haut rang et des
diplomates versés dans la formulation du contrat. Selon le journal, le terme de
« nucléaire » n’apparaît pas dans le texte du contrat parce que
« Ce serait contraire à la philosophie de la dissuasion, qui consiste à en
dire le moins possible sur la doctrine d’emploi. » Toutefois, le contrat
est formulé de manière plus « contraignant[e] » encore que l’article
5 du traité de l’Atlantique Nord qui « engage les membres de l’OTAN à se
porter au secours (…) d’un autre membre qui aurait été attaqué. »
Aucune arme nucléaire n’est stationnée directement à Abou
Dhabi, mais la France dispose de ses propres sous-marins qui sont équipés
d’armes nucléaires et qui patrouillent en permanence dans la zone ainsi que le
porte-avions Charles de Gaulle qui a à son bord des avions de chasse équipés de
bombes nucléaires. Les sous-marins comme les avions de chasse peuvent être
déployés à tout moment dans la région du Golfe.
La France avait déjà signé un contrat de défense avec les EAU
en 1995, dont le texte était resté secret. Selon Le Figaro, le vieux
contrat maintenait l’obligation d’intervenir militairement dans « une
ambiguïté et une incertitude ». Le nouveau contrat et l’installation de la
base militaire française a radicalement changé la situation en augmentant
considérablement la possibilité d’un « déclenchement automatique de
l’accord bilatéral, puisqu’une attaque de l’Iran pourrait être considérée comme
portant atteinte aux intérêts vitaux de Paris. » Pour cette raison, selon Le
Figaro, Paris s’est placé « au premier rang en cas de conflit avec
l’Iran. »
Depuis son entrée en fonctions, il y a deux ans le président,
Nicolas Sarkozy, a entrepris une révision systématique de la politique de
défense française.
Il y a un an, il présentait le Livre blanc sur la Défense qui
redéfinit l’orientation stratégique du pays. L’accent géographique préconisé
dans le Livre blanc se concentrait sur « un axe allant de l’Atlantique
jusqu’à la Méditerranée, au Golfe arabo-persique et à l’océan Indien. »
Cet axe couvre les « zones où les risques impliquant les intérêts
stratégiques de la France et de l’Europe sont les plus élevés », précise
le Livre blanc. Les Emirats arabes unis occupent une position centrale sur cet
axe situé au bord du détroit d’Ormuz, par où transitent 40 pour cent de
l’approvisionnement en pétrole du monde, dans le voisinage immédiat de l’Iran.
Au début de cette année, la France a réintégré le commandement
de l’OTAN après l’avoir quitté en 1966 sous le président de Gaulle. Ce qui
superficiellement était apparu comme un rapprochement des Etats-Unis s’est en
réalité avéré être exactement l’opposé.
Une étude minutieuse entreprise par l’Institut allemand pour
la politique internationale et la sécurité (Stiftung Wissenschaft und Politik,
SWP) sous le titre « Le nouveau cours de l’OTAN de la France » arrive
à la conclusion « qu’il ne peut pas être question d’un changement complet
de la politique transatlantique de la France ». Avec le retour à l’OTAN,
Sarkozy poursuit plutôt le but de fournir à la France une plus grande
prépondérance dans l’Alliance atlantique et l’élargissement de la marge de
manœuvre internationale de son pays. De plus, il anticipe une augmentation
progressive mais nette de l’autonomie militaire de la Politique européenne de
sécurité et de défense (PESD) parce qu’il reconnaît que l’autonomie de la PESD
ne peut être amplifiée face à l’opposition américaine.
L’étude du SWP conclut en disant : « Ainsi, le
ré-intègrement du pays dans le commandement intégré de l’Alliance atlantique
est basé sur le calcul rationnel de sauvegarder le prestige international et le
droit de déterminer la politique tout en promouvant dans le même temps la PESD. »
L’accord conclu entre la France et les Emirats arabes unis
confirme cette analyse. Il est frappant de voir que l’accord ait été conclu à
un niveau bilatéral et renferme des clauses secrètes. Dans une région que les
Etats-Unis dominent depuis 50 ans et où ils sont engagés dans deux importantes
guerres, en Irak et en Afghanistan, la France offre une protection nucléaire à
un pays sans coordonner ses actions avec l’OTAN et les Etats-Unis. Sarkozy
n’aurait pu montrer plus clairement l’intention de la France de jouer à
l’avenir dans la région un rôle indépendant dans les conflits à venir.
Quant aux EAU, ils voient en leur alliance avec la France
l’occasion d’affaiblir leur actuelle dépendance des Etats-Unis. Le Figaro
remarque : « En demandant à Nicolas Sarkozy d’installer une base
française à Abou Dhabi, ils cherchent également à diversifier leurs alliances,
afin de ne plus dépendre uniquement de leur allié américain. »
Ce genre d’alliance bilatérale comportant des clauses secrètes
d’assistance rappelle fortement les conflits qui ont opposé les grandes
puissances au siècle dernier quand la lutte pour un nouveau partage du monde
avait finalement mené à la Première Guerre mondiale. L’émergence de la France
comme puissance nucléaire dans la région du Golfe ne fera qu’exacerber les
tensions dans cette poudrière où tout danger d’accroître des conflits devenant
incontrôlables augmente le risque d’une guerre nucléaire.
L’article du Figaro est largement passé inaperçu en
France. La raison en est que tous les partis politiques, y compris le Parti
socialiste et le Parti communiste, soutiennent sans réserve les objectifs
impérialistes de la politique étrangère française. C’est particulièrement vrai
pour la force de frappe française inaugurée par le président de Gaulle dans les
années 1960 dans le but de restituer à la France un statut de grande puissance
en réduisant son indépendance des Etats-Unis.
Même les différents groupes radicaux, tels le Nouveau Parti
anticapitaliste et Lutte ouvrière, gardent un silence discret lorsqu’il est
question de la force de frappe. Ils ne veulent pas gâcher leurs relations avec
des alliés potentiels dans les autres partis sur la question de la politique
étrangère.