Le gouvernement sri lankais poursuit la
détention et l'interrogatoire des trois médecins, Dr Thurairajah Varatharajah,
Dr Thangamuttu Sathyamurthi et Dr V. Shanmugarajah, qui ont risqué leur vie
pour apporter une aide médicale aux milliers de civils tamouls pris au piège
dans les combats entre l'armée et les Tigres de libération de l'Eelam tamoul
(LTTE.)
Les journalistes et la plupart des
humanitaires n'ayant pas droit d'accès à la zone de combat, ce sont ces
médecins nommés par le gouvernement qui ont donné un aperçu de la situation
horrifique confrontant plus d'un quart de million de civils dans la petite
enclave tenue par le LTTE. Leur témoignage fournit des preuves oculaires des
crimes de guerre perpétrés par l'armée sri lankaise qui a bombardé des zones
occupées par des civils. Leur clinique de fortune a été touchée à maintes
reprises durant les dernières semaines de combat.
Les trois médecins ont fui en même temps que
des milliers de civils juste quelques jours avant que l'armée n'envahisse le
territoire du LTTE. Ils ont été détenus par des soldats puis remis à la police.
Pour détourner l'attention de leurs propres crimes, le gouvernement a accusé
les médecins d'aider le LTTE et a qualifié leurs comptes-rendus de propagande.
Seul le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a eu accès aux trois
hommes.
Le ministre des droits de l'Homme, Mahinda
Samarasinghe a dit à la BBC la semaine dernière que les médecins étaient
détenus « pour cause de suspicion bien fondée de collaboration avec le
LTTE ». Il a ajouté : « Je ne sais pas ce que l'enquête
révélera, mais peut-être faisaient-ils même partie de toute cette conspiration
visant à mettre à avant l'idée que les forces gouvernementales bombardaient et
ciblaient les hôpitaux et ciblaient sans discrimination des civils, suite auxbombardements. »
Ce que Samarasinghe veut dire quand il parle
de « conspiration », c'est l'accumulation de preuves d'atrocités dont
le gouvernement sri lankais et l'armée sont responsables. Le gouvernement de
Colombo soutenu par la Chine, la Russie et l'Inde a empêché le vote d'une
motion au Conseil des droits de l'Homme des Nations unies ce mois-ci appelant à
une enquête indépendante sur les crimes de guerre commis à la fois par l'armée
et le LTTE.
Des rapports des Nations unies, qui ont fait
l'objet de fuites, estiment à au moins 7000 le nombre de civils tués depuis
janvier dernier durant l'offensive finale de l'armée contre le LTTE. Alors que
le président Mahinda Rajapakse fait porter au LTTE la responsabilité de la
mort des civils, les images satellites et les paroles des survivants révèlent
au grand jour le mensonge du gouvernement selon lequel l'armée n'avait pas
utilisé d'armes lourdes sur une zone peuplée de civils. D'autres estimations
fondées sur des sources des Nations unies et des photos aériennes font état de
plus de 20 000 morts.
Les commentaires faits aux médias par les
trois médecins ont fourni un compte-rendu choquant du sort terrible de
centaines de milliers de civils tamouls dans l'enclave du LTTE, dont une grande
partie avait cyniquement été proclamée « zone sécurisée. » Eau et
nourriture était en quantité extrêmement limitée. Les médecins devaient faire
face chaque jour à des centaines de blessés arrivant dans des conditions
terribles, et ce, sans matériel médical adéquat.
Le 13 mai, l'Agence France-Presse a dit que
le Dr Varatharajah leur avait dit que l'hôpital de fortune avait été touché
pour la seconde fois en deux jours. Au moins 50 personnes avaient été tuées,
dont une aide soignante et 60 autres personnes avaient été blessées. Le Dr V.
Shanmugarajah a dit à Associated Press par téléphone que c'était la troisième
fois en un mois que l'hôpital était touché.
Finalement, les médecins ont été contraints
de partir. Associated Press a rapporté le14 mai que l'hôpital avait été
abandonné, car il était trop dangereux d'y travailler. Quelque 400 patients en
situation critique sont restés à l'intérieur, nécessitant désespérément des
soins médicaux. Un membre de l'équipe médicale a dit: « A regarder
l'hospice et entendre les civils crier, on ne peut que ressentir le
désastre. » L'armée a envahi les derniers retranchements du LTTE le 18
mai.
Amnesty International a dit avoir vu les
médecins le 25 mai à un poste de tri des personnes déplacées dans le pays (IDP)
près de Omanthai. Pour faire taire les interrogations toujours plus nombreuses
sur leur sort, le commandant de l'armée a nié avoir la moindre connaissance du
lieu où ils se trouvaient. Mais le 20 mai une équipe du CICR les a aperçus sur
ce même site. L'armée a ensuite remis les hommes à la police et ils ont été
placés en garde à vue à la Division des enquêtes terroristes (TID.)
La porte-parole du CICR Sarasi Wijeratne a
dit au WSWS le 3 juin que des avocats, des journalistes et des proches
s'étaient vus interdire l'accès aux trois médecins. Interrogée sur leur état de
santé et le lieu où ils se trouvaient, elle a dit que le CICR était contraint
au silence du fait d'un accord passé avec les autorités sri lankaises.
Interviewé par le journal britannique Independent,
Satish Kumar, beau-frère du Dr Shanmugarajah a dit que des représentants du
CICR lui avaient dit qu'ils avaient pu remettre des vêtements au docteur et
qu'il « n'avait pas été torturé ». Cette question de la torture est à
prendre très au sérieux, car le TID est bien connu pour faire usage de
coercition physique contre les « personnes suspectées de terrorisme »
afin d'obtenir des aveux pour ensuite les utiliser au tribunal. Dans le cas des
trois médecins, les enjeux sont bien plus importants pour le gouvernement et
c'est pourquoi il cherche à faire en sorte qu'ils se rétractent.
Kumar a dit au journal: « Si le
gouvernement les poursuit, alors on pourra prendre un avocat. Tout le monde
sait qu'ils n'ont fait qu'aider des civils et essayer de leur sauver la vie.
Ils ont peut-être donné des chiffres des victimes, mais est-ce que c'est un
délit? Le nombre de personnes qui ont été blessées est une évidence: ils sont
maintenant tous dans les camps. »
Mais le ministre des droits de l'Homme
Samarasinghe a dit que l'enquête sur les médecins pourrait durer un an ou plus
avant que des charges ne soient portées contre eux. Selon les pouvoirs
extraordinaires draconiens du pays et la Loi de prévention du terrorisme (PTA),
les suspects peuvent être détenus quasiment indéfiniment sans motif
d'accusation.
Samarasinghe a déclaré que les remarques des
médecins aux médias internationaux avaient été faites dans une situation où le
LTTE les menaçait d'un « pistolet à la tempe. »Il a poursuivi:
« Il y a eu beaucoup de battage médiatique disant que nous avions lancé
une attaque contre un hôpital. Ce battage médiatique a eu lieu à cause des
médecins. Ils sont à présent en garde à vue au TID, avec mandat d'arrêt.
Bientôt ils comparaîtront devant un tribunal. Et vous apprendrez ce qui s'est
réellement passé. »
Ces remarques de Samarasinghe appellent la
question suivante: si leurs commentaires précédents avaient été faits sous la
menace, pourquoi détenir les médecins et empêcher que des journalistes, des
avocats et des proches leur parlent ? Le fait même que ces trois hommes
puissent être détenus avec interdiction de communiquer pendant un an ou plus
signifie que le gouvernement a bien des choses à dissimuler.
La BBC a rapporté hier que le Dr
Sathyamurthi avait été présenté devant un tribunal à Colombo comme le requiert
formellement le PTA. Il n'a rien dit durant sa courte comparution puis a été
remis en garde à vue policière.