Durant les derniers jours de son voyage à
Washington, le président Hamid Karzaï a exigé la fin des frappes aériennes
américaines en Afghanistan. En réponse, le conseiller américain à la Sécurité
nationale, le général à la retraite James Jones, a insisté pour dire que le
bombardement des villages afghans se poursuivrait, que le prétendu gouvernement
souverain du pays le veuille ou non.
La juxtaposition des remarques de Karzaï et
de Jones en dit long sur le caractère de la guerre en Afghanistan. C’est une
sale intervention de style colonial dans laquelle Washington dicte sa politique
à un gouvernement fantoche tout en déclenchant la violence militaire contre une
population qui devient de plus en plus hostile.
Karzaï qui va entrer en lice pour des
élections en août, a évidemment réagi en réponse à l’indignation populaire
provoquée par le massacre qui a eu lieu la semaine passée dans l’ouest de
l’Afghanistan, et qui s’est manifestée par une montée de colère et des
manifestations dans tout le pays.
La réalité est que son régime corrompu et
impopulaire ne durerait pas une seule journée sans la protection de l’armée
américaine.
A la question d’ABC News dimanche, de
savoir si Washington se conformerait à la demande de Karzaï, Jones a répondu
que « lier les mains de nos commandants et dire que nous n’effectuerons
pas d’attaques aériennes, serait imprudent ».
Lorsque lui a été posée la question de
savoir si le président afghan comprenait cette position américaine, Jones a
poursuivi : « Je pense qu’il comprend qu’il est nécessaire que nous
disposions de la totalité de notre puissance militaire offensive lorsque nous
en avons besoin… nous ne pouvons pas combattre les mains liées derrière le
dos. »
La « totalité » de la puissance
militaire offensive américaine s'est déchaînée la semaine passée contre deux
villages dans le district de Bala Baluk dans la province de Farah dans l’ouest
de l’Afghanistan. Selon des témoignages de villageois, ainsi que des
découvertes de responsables locaux et d’agences humanitaires, le bombardement
américain de ces villages a causé la mort du plus grand nombre de civils depuis
que les Américains ont envahi le pays il y près de huit ans.
Les villageois ont rassemblé les noms de 147
civils dont on sait qu’ils ont été tués lorsque des bombes américaines sont
tombées sur des maisons remplies de femmes, d’enfants et de personnes âgées
terrifiés qui cherchaient à se protéger lors de combats entre les insurgés et
les forces gouvernementales afghanes soutenues par les Américains.
Ensuite, les habitants indignés ont conduit
des remorques remplies de corps mutilés et de parties de corps humains vers les
bureaux du gouvernement régional pour montrer l’ampleur du carnage.
Le Comité international de la Croix-Rouge
qui s’était rendu sur le site du bombardement a confirmé le bilan de masse des
victimes civiles.
Lundi, le journal britannique The
Guardian a cité un responsable participant à la mission des Nations unies
(ONU) à Kaboul qui avait qualifié d’« horrifiants » les comptes
rendus émanant des lieux. Le responsable de l’ONU qui avait rapporté les faits
au journal sous couvert de l’anonymat a dit que le bombardement avait eu lieu
des heures après que les combats entre les insurgés et les troupes soutenues
par les Américains avaient cessé.
« Les villageois locaux se sont rendus
à la mosquée pour prier pour la paix, » a-t-il dit. « Peu de temps
après la prière du soir, les frappes aériennes étaient signalées et elles se
sont poursuivies pendant quelques heures tandis que les villageois appelaient
frénétiquement le gouverneur local pour qu'il fasse cesser les attaques
aériennes. »
La réaction américaine à ce massacre est
tout aussi méprisable que le crime même. Recourant à sa procédure habituelle
face à de telles atrocités, le Pentagone a déballé son tissu de mensonges et
autres déformations. D’abord, il a nié que les forces américaines étaient
responsables du massacre en inventant une histoire absurde selon laquelle les
talibans avaient tué des villageois avec des grenades pour faire croire à une
frappe aérienne.
Face à des preuves irréfutables que des
maisons avaient été rasées au sol par des armes hautement explosives, l’armée
américaine a lancé sa propre « enquête », en concluant qu’il était
impossible de dire combien de victimes étaient des talibans et combien étaient
des civils, mais que de toute façon le nombre de morts relatés était
« exagéré ». Le Pentagone a aussi affirmé que la responsabilité du
massacre des civils incombait aux talibans qui soi-disant utilisaient les
villageois comme « boucliers humains. »
Le bombardement des maisons par une
puissance occupante, même dans le cas où des insurgés se trouvent dans les
parages, est interdit par la loi internationale et constitue un crime de
guerre.
De plus, la principale organisation afghane
de défense des droits de l’homme enquête sur des rapports selon lesquels
l’armée américaine a utilisé des obus au phosphore en attaquant le village
ainsi que lors d’attaques antérieures contre des cibles civiles.
Ces munitions incendiaires peuvent être
employées pour créer des écrans de fumée ou comme signaux lumineux. Employées
comme munition anti-personnelle toutefois, elles peuvent causer la mort et des
blessures terribles, en collant à la peau et en brûlant jusqu’à l’os.
L’emploi de telles armes contre des cibles
civiles constitue un crime de guerre.
Le Guardian a cité le docteur
Mohammad Aref Jalali qui est le chef du service des grands brûlés à Herat où
les victimes ont été transportées. « L’une des femmes qui est arrivée ici
nous a dit que 22 membres de sa famille avaient été complètement brûlés
», a-t-il dit. « Elle a dit qu’une bombe avait répandu de la poudre
blanche qui avait pris feu et qui ensuite avait embrasé les vêtements des
gens. »
Ces crimes de guerre ont été perpétrés sous
le gouvernement Obama qui va envoyer 21 000 soldats américains supplémentaires
pour faire la guerre en Afghanistan et qui projette de plus de doubler les
forces américaines d’occupation en les faisant passer à 68 000 d’ici 2010. Les
troupes supplémentaires signifieront davantage de crimes semblables et des
crimes plus grands.
Il est significatif que dimanche, l’ancien
vice-président Dick Cheney, est venu à l’émission « Face the Nation »
sur la chaîne CBS pour exprimer son accord avec Obama au sujet de l’Afghanistan
tout en estimant que l’armée américaine resterait « engagée là pour une
bonne période temps. »
« J’étais content de voir que le
président Obama déployait des troupes additionnelles en Afghanistan, » a
dit Cheney. « Je pense que nous devons faire ce que nous devons y faire
afin de pouvoir triompher. Les frappes aériennes en sont un élément important.
Et souvent les frappes aériennes provoquent une controverse. »
En dépit de la campagne partisane amère que
Cheney mène contre les démocrates, il s’est senti obligé d’exprimer ces mots de
solidarité, d’un criminel de guerre à un autre.
Derrière les promesses d’Obama de
« changement » et d’appels aux sentiments populaires anti-guerre durant
la campagne électorale, son gouvernement est en train de poursuivre et
d’intensifier les guerres d'agression qui avaient été initiées sous Bush pour
la domination des régions riches en pétrole et stratégiques de l’Asie centrale
et du Golfe persique.
Quant au Congrès, il est prêt à voter une
rallonge budgétaire de 96 milliards de dollars de plus pour financer ces deux
guerres jusque fin septembre. Entre-temps, les médias répètent comme des
perroquets la ligne gouvernementale en traitant avec indifférence les dernières
atrocités commises en Afghanistan.
Ce consensus qui règne au sein de l’establishment
politique en faveur de la guerre américaine en Afghanistan contraste fortement
avec l’hostilité à la guerre qu’éprouvent les masses de la population américaine.
L’augmentation continue des troupes (« surge ») du gouvernement Obama
est la preuve évidente que la lutte contre la guerre ne peut être menée par le
biais d’élections ou en exerçant des pressions sur les démocrates, mais
requiert la mobilisation indépendante de la classe ouvrière contre le système
de profit capitaliste qui est à l'origine de la montée du militarisme.