Le gouvernement
d'Obama considère de plus en plus son intervention croissante au Pakistan comme
une guerre contre-insurrectionnelle spécifique, pour laquelle il demande le
même type de pouvoirs militaires extraordinaires déjà obtenus par le
gouvernement Bush en Afghanistan et en Irak.
C'était là le
principal message délivré par les représentants du Pentagone à Capitol Hill
[c'est-à-dire devant le congrès, ndt] ces derniers jours, s'y ajoutaient des
avertissements de plus en plus clairs selon lesquels le gouvernement
pakistanais risquait de s'effondrer sans une aide américaine immédiate et
inconditionnelle consistant à financer son armée.
Le ministre de la
Défense Robert Gates avait prévenu le congrès mercredi que si celui-ci
n'approuvait pas rapidement le versement de 400 millions de dollars demandés
par le Pentagone pour un nouveau Fond de capacité anti-émeute, l'armée
pakistanaise manquerait de trésorerie d'ici quelques semaines pour ses
opérations contre les résistants de la Province frontalière du nord-ouest
(PFNO) et aussi d'autres zones du Pakistan occidental.
Dans sa
déposition, Gates a également révélé que, même après la fermeture programmée du
centre de détention de Guantanamo, le gouvernement américain pourrait encore
détenir 100 de ces prisonniers sans mise en accusation ni procès. Le
gouvernement a demandé au Congrès 50 millions de dollars pour construire des
prisons aux États-Unis destinées aux détenus qu'il déclare dangereux mais
non-jugeables, principalement parce que les preuves qui sont censées jouer
contre eux ont été arrachées sous la torture.
Les 400 millions
de dollars demandés sous forme d'aide militaire au Pakistan font partie d'un
plan de financement de 83,5 milliards de dollars demandé par Obama, la grande
majorité de cette somme devant servir à financer la continuation de la guerre
en Irak et en Afghanistan.
S'exprimant devant
le Comité des acquisitions du Sénat, Gates a déclaré que le Pentagone demandait
que le contrôle total de l'aide militaire soit confié au Général David Petraeus,
le chef d'état-major de l'armée américaine. Il a déclaré que le Pentagone avait
besoin de « cette autorité exceptionnelle pour les circonstances
exceptionnelles et urgentes auxquelles nous sommes confrontés au Pakistan –
pour faire face à un défi qui exige à la fois des capacités de temps de guerre
et de temps de paix. »
Certains membres
du Congrès ont renâclé devant la demande, qui reprend les tactiques
autoritaires du gouvernement Bush, lequel exigeait l'attribution immédiate de
financements pour l'Irak et l'Afghanistan sans conditions.
Comme l'a fait
remarquer le Washington Post vendredi : « Les législateurs de
l'Assemblée et du Sénat ont exprimé des inquiétudes quant à la création du
nouveau flux de financement militaire du Pakistan par l'intermédiaire du
Pentagone. Traditionnellement, de telles aides militaires transitent par le
département d'Etat [ministère des Affaires internationales, ndt] et sont
soumises aux restrictions de laLoi sur l'assistance aux pays étrangers
(Foreign Assiance Act). »
Ces 400 millions
sont inclus dans un paquet d'aides sur cinq ans d'une valeur de 3 milliards de
dollars, 700 autres millions sous forme d'aide militaire y sont également
prévus pour l'année budgétaire 2010.
Ce programme
d'aide militaire comprend un accroissement significatif de l'entraînement des
forces de sécurité pakistanaises par les États-Unis, bien au-delà des 70
membres des opérations spéciales américaines qui entraînent actuellement les
unités de garde-frontières et des forces spéciales pakistanais. Les officiers
pakistanais et leurs troupes seraient entraînés hors du pays. De plus,
Washington fournirait largement du matériel militaire récent, dont des
hélicoptères, les lunettes infrarouges et des armes de poing.
Sous la
législation américaine, le département d'État est censé superviser les
programmes d'aide militaire et s'assurer qu'ils sont réalisés en accord avec la
politique étrangère américaine et les lois régissant ces aides. Il existe une
exception lorsque les États-Unis sont en guerre, c'est sur cette base que le
gouvernement Bush a pu contourner les autorités civiles et mettre en place ce
genre de programme pour l'Irak et l'Afghanistan.
Le Washington
Post a cité le porte-parole du Pentagone, Geoff Morrell, disant que
l'utilisation d'un argument similaire en ce qui concerne le Pakistan impliquait
d’« une argumentation extrêmement fine ». Il a poursuivi :
« Ce n'est pas une zone de guerre pour l'armée américaine. Mais étant
donné l'urgence de la situation, il nous faut le même genre d'autorité pour
aider le Pakistan à entraîner et équiper ses troupes pour des opérations
anti-émeutes le plus tôt possible. »
Le général
Petraeus a défendu le même argument d'une manière encore plus agressive dans
une lettre au Comité des forces armées de l'intérieur dans laquelle il
prévenait d'un effondrement potentiel du gouvernement pakistanais.
Il déclarait que
les « progrès » des États-Unis en Irak et en Afghanistan avaient pu
être réalisés, car « ces fonds sont disponibles immédiatement et les
commandants sont en mesure de s'adapter rapidement aux circonstances
fluctuantes du terrain ». Il a déclaré qu'il fallait les mêmes libertés
d'action pour l'armée au Pakistan, « Là où une insurrection montante
menace l'existence même du pays et a un effet direct et meurtrier sur les
forces des États-Unis et de la coalition qui opèrent en Afghanistan. »
En privé, Petraeus
aurait déclaré à des membres du Congrès et du gouvernement que, si l'armée
pakistanaise ne parvenait pas à supprimer l'insurrection dans les deux
semaines, le gouvernement pourrait tomber.
Citant des sources
anonymes « familières de ces discussions », Fox News prétend que
Petraeus a mentionné que l'armée américaine procédait à une évaluation de la
campagne pakistanaise contre les militants du nord-ouest du pays « avant
de déterminer les prochaines actions des Etats-Unis ».
L'article ajoutait
que Petraeus avait déclaré que l'armée pakistanaise ne pourrait pas survivre à
la chute du gouvernement du président Ali Zardari et que l'armée, dirigée par
le chef d'état-major, le général Ashfaq Kayani, était « supérieure »
au gouvernement civil.
Cette déclaration
fait écho à la position prise par le président Barack Obama lors de la
conférence de presse de mercredi soir qui marquait ses 100 premiers jours en
fonction. Obama y a déclaré qu'il était convaincu que l'arsenal nucléaire
pakistanais resterait en mains sûres, « En premier lieu, parce que l'armée
pakistanaise reconnait, je pense, les implications que cela entraînerait si ces
armes tombaient entre de mauvaises mains. » Il a ajouté, « Nous avons
de forts liens de consultation et de coopération entre nos deux armées. »
À l'opposé, le
président américain a décrit le gouvernement du président Zardari comme
« très fragile » et manquant « de la capacité à rendre des
services de base » ou « de gagner le soutien et la loyauté de son
peuple ».
Obama a terminé en
disant du Pakistan, « Nous voulons respecter leur souveraineté, mains nous
admettons également que nous avons un intérêt stratégique très important, un
intérêt de sécurité nationale très important, à nous assurer que le Pakistan
soit stable et que l'on ne se retrouve pas avec un Etat militant disposant de
l'arme nucléaire. »
Quand un
journaliste a tenté de demander si cela signifiait que l'armée américaine
pourrait intervenir pour sécuriser les armes nucléaires, Obama a refusé de se
« lancer dans des hypothèses ».
Les remarques
d'Obama et Petraeus suggèrent fortement que Washington s'appuie d'abord et
avant tout sur les liens entre le Pentagone et l'armée pakistanaise, et qu'il
pourrait, dans l'éventualité d'une aggravation de la crise actuelle, apporter
son soutien au retour d'une dictature militaire. Cela fait moins de neuf mois
que le dernier homme fort issu de l'armée, le Général Pervez Musharraf, a rendu
le pouvoir à un gouvernement civil après une décennie de pouvoir militaire.
Cela pourrait
également expliquer, au moins en partie, la détermination du Pentagone, de la
Maison-Blanche et du département d'Etat à s'assurer que l'aide militaire passe
par les canaux militaires et non par ceux, classiques, du département d'Etat,
qui sont soumis à la Loi sur l'assistance aux pays étrangers. Parmi les
restrictions imposées par cette loi, figure l'interdiction d'accorder une aide
militaire à « un pays dont le chef du gouvernement régulièrement élu a été
déposé par un décret ou un coup militaire ».
Il devient évident
qu'Obama, qui doit en grande partie son élection à l'opposition de larges
couches de la population américaine aux politiques militaristes du gouvernement
Bush, ne se contente pas de continuer les deux guerres initiées sous Bush, il
en prépare une troisième.
Dans un article
intitulé « Maintenant, les États-Unis voient le Pakistan comme une affaire
distincte de l'Afghanistan », le New York Times notait vendredi
qu'à l'origine, la stratégie mise en avant par le gouvernement Obama était de
mener des attaques militaires à la frontière pakistanaise pour priver les
insurgés afghans de bases arrières et préparer un afflux de renforts [la
« surge »] en Afghanistan qui consistera en un doublement des
troupes américaines au cours des prochains mois.
Cette stratégie,
note le Times, a été « réduite à néant par l'offensive des talibans
au Pakistan occidental ». L'objectif principal de Washington est
maintenant d'« empêcher de nouvelles avancées d'une insurrection islamiste
combative au Pakistan qui s'est installée sur des territoires qui ne sont qu'à
60 miles [moins de 100 kilomètres, ndt] d'Islamabad. »
Dans un article
publié le 16 avril, Jane Perlez et Pir Zubair Shah du New York Times ont
décrit les tensions de classes intenses qui ont nourri l'insurrection. Les
forces décrites comme des talibans, écrivent-ils, ont réussi à prendre le
contrôle de la Vallée de Swat grâce à une « révolte de classe »
venant de « profondes fractures entre un petit groupe de riches
propriétaires terriens et leurs fermiers sans terres ».
Selon cet article,
les militants islamistes ont organisé et armé les paysans sans terres au cours
d'une campagne pour faire fuir les riches propriétaires de la région, qui
étaient également les représentants locaux du gouvernement et les dirigeants
des partis politiques bien établis. Outre l'imposition de la Loi islamique dans
la vallée de Swat, une région abritant 1,3 million d'habitants, les islamistes
ont organisé une « redistribution économique ».
Le Times citait
un officiel pakistanais expérimenté déclarant, sous le couvert de l'anonymat,
« ça a été une foutue révolution à Swat. Je ne serais pas surpris si elle
balayait l'ordre établi au Pakistan ».
Le gouvernement
Obama intervient maintenant pour défendre cet « ordre établi » des
relations de propriétés féodales, d'une large inégalité sociale et de la
domination de l'armée sur le gouvernement. Cela entraînera la suppression non
seulement d'une poignée de « terroristes », mais d'une insurrection
ayant une large base populaire, nourrie dans une grande mesure par les attaques
de l'armée américaine contre les civils des deux côtés de la frontière
afghano-pakistanaise.
Étant intervenu en
Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003 pour affirmer l'hégémonie américaine sur
les régions stratégiquement vitales et riches en pétrole de l'Asie centrale et
du Golfe persique, l'impérialisme américain n'a réussi qu'à répandre
l'instabilité et à créer les conditions propices à de nouvelles guerres encore
plus sanglantes.