Le
président afghan Hamid Karzaï a signé un décret ce week-end pour
demander que les élections présidentielles aient lieu 30 à 60
jours avant l’expiration de son mandat le 21 mai. Face à une
situation sécuritaire qui se dégrade et à une aggravation de la
guerre, cette décision s’est heurtée à l’opposition non
dissimulée du gouvernement Obama. Elle révèle davantage encore la
fracture entre la Maison-Blanche et son Etat client à Kaboul.
La
secrétaire d’Etat Hillary Clinton aurait immédiatement appelé
Karzaï pour condamner son initiative. Le décret signé par ce
dernier a passé outre la commission électorale du pays qui, sur le
conseil des Etats-Unis, avait reporté les élections jusqu’au 20
août. Le report avait été justifié au motif que l’envoi par
Obama de milliers de soldats supplémentaires dans les prochains mois
permettrait la tenue d’élections dans des régions qui, pour le
moment, sont contrôlées par les talibans ou d’autres insurgés
anti-occupation.
La
décision de la commission électorale était cependant en violation
de la constitution afghane et mettait en cause le statut de Karzaï
durant la période du 21 mai au 20 août. Ses principaux adversaires
au parlement afghan avaient soutenu ces dernières semaines qu’il
devrait se désister et permettre à un gouvernement intérimaire
d’être formé. L’un des noms proposés comme président Afghan
par intérim fut celui de l’ancien ambassadeur du gouvernement Bush
en Afghanistan, puis en Irak et aux Nations unies,
Zalmay Khalilzad.
Karzaï
a devancé toute tentative de l’écarter en appelant à des
élections anticipées. En tant que participant de plus de trente ans
aux intrigues machiavéliques de l’impérialisme américain dans la
région, Karzaï sait qu’une telle manœuvre pourrait être
utilisée comme une excuse pour l’écarter de façon permanente. En
conservant la présidence durant les élections, il compte disposer
des ressources de l’Etat pour promouvoir sa réélection.
Karzaï
se trouve sans aucun doute sous pression américaine pour révoquer
son décret. Qu’il le fasse ou non, ses jours politiques sont
comptés. Non seulement il a provoqué la colère des responsables et
des commandants américains en condamnant les frappes aériennes
américaines et autres opérations ayant causé la mort de civils
afghans, mais son gouvernement est dysfonctionnel.
Le
gouvernement Obama n’a pas caché sa volonté de se passer de la
prétention du gouvernement Bush d’instaurer la « démocratie »
en Afghanistan. Le secrétaire américain à la Défense, Robert
Gates, avait récemment ridiculisé ces anciennes prétentions,
déclarant devant le Congrès que « si nous nous donnons pour
objectif la création là-bas d’une sorte de Valhöll
d’Asie centrale, nous perdrons ».
L’attitude
de l’actuelle Maison-Blanche est motivée par une évaluation
pragmatique des intérêts stratégiques américains en Afghanistan
et dans la région en général. En dépit de plus de sept ans
d’occupation américaine, des millions d’Afghans n’acceptent
pas la légitimité du gouvernement Karzaï qui a seulement pu être
maintenu grâce à la présence d’armées étrangères. Les
talibans et les autres groupes insurgés contrôlent de vastes
portions du territoire, notamment dans les provinces pachtounes du
Sud, et y mènent une guerre de guérilla continue.
Le
nombre des victimes américaines et de l’OTAN est en nette
augmentation. En janvier et en février, 48 soldats étrangers ont
perdu la vie, plus du double de ceux tués durant les deux premiers
mois de 2008. Les forces de sécurité afghanes ont subi des pertes
plus grandes encore. Quelque 1200 policiers
furent tués l’an dernier.
Le
gouvernement Karzaï et les forces de sécurité afghanes créées
par les Etats-Unis sont démoralisés et profondément corrompus. Le
versement de pots de vin, le chantage et le vol tout court sont
monnaie courante. De hauts fonctionnaires, y compris le frère de
Karzaï, sont accusés de prendre part au trafic de drogue. La
principale priorité des actuels responsables afghans semble être
d’accumuler autant de richesse que possible avant d’être obligé
de fuir un retour des talibans.
Cherchant
à tout prix à éviter en Afghanistan une défaite qui irait à
l’encontre des intérêts américains en Asie centrale, Obama et
son personnel parlent à présent d’objectifs « possibles à
atteindre » plutôt que de démocratie. Tout en déployant
17.000 soldats supplémentaires pour intensifier la guerre, le
gouvernement envisage aussi la possibilité d’incorporer dans le
gouvernement afghan des éléments de l’insurrection
anti-américaine.
Le
général David Petraeus, qui a dirigé une série de négociations
avec des éléments de l’insurrection irakienne en 2007 et qui a à
présent pris le commandement des forces américaines en Asie
centrale, a dit que les Etats-Unis chercheront à négocier avec
certaines factions talibanes et qu’ils étaient disposés à
conclure un accord.
Al
Jazeera a rapporté la semaine passée que des responsables
américains et britanniques ont déjà engagé des pourparlers avec
le mouvement Hezb-é islami dirigé par le seigneur de guerre
pachtoune, Gulbuddin Hekmatyar. Hekmatyar avait obtenu un financement
des Etats-Unis pour combattre l’occupation soviétique en
Afghanistan dans les années 1980. Après le retrait soviétique, il
mena une guerre civile meurtrière contre d’autres factions, prit
le contrôle de Kaboul et s’érigea lui-même en premier ministre
du pays. Les talibans le chassèrent du pouvoir en 1996. En 2002,
toutefois, après avoir été privé d’un poste dans le
gouvernement fantoche américain, il fit appel à ses partisans pour
prendre les armes contre l’occupation aux côtés des talibans.
Si
Hekmatyar et des éléments talibans
pouvaient être achetés cela aurait un impact considérable sur
l’intensité de la résistance armée anti-américaine, notamment
dans les provinces de l’Est du pays et dans certaines agences
tribales au Pakistan. Un tel marché nécessiterait toutefois un
réalignement du dispositif factionnel à Kaboul et se ferait presque
inévitablement aux dépens de Karzaï, qui ne dispose d’aucune
base de pouvoir propre et qui avait tout simplement été le
dirigeant du régime fantoche américain.
Si
Karzaï ne part pas de son plein gré alors d’autres méthodes
pourraient être employées. Il y eut une indication de la discussion
de la Maison-Blanche sur le sujet dans l’éditorial du 17 février
du Wall Street Journal.
Après avoir signalé les tensions intenses qui existent entre
Washington et Karzaï, le journal déclare prudemment : « M.
Obama et le vice-président Joe Biden qui avait quitté furieux une
réunion avec M. Karzaï l’année dernière, devraient éviter
l’erreur faite par JFK de renverser l’allié du Vietnam du Sud,
Ngo Dinh Diem. »
Le
sens de cela est clair. Le gouvernement Kennedy n’avait eu aucun
scrupule à autoriser le renversement du loyal fantoche américain
Diem en 1963 lorsqu’il devint un obstacle politique aux projets
américains au Vietnam. Le Wall Street
Journal n’a aucune objection à
l’emploi de telles méthodes et offre quelques conseils selon
lesquels une telle démarche, si elle était envisagée, pourrait
facilement se retourner contre les Etats-Unis et le gouvernement
Obama.