Le 30 octobre, la juge d'instruction Xavière
Simeoni a renvoyé l'ancien président Jacques Chirac devant le tribunal
correctionnel pour détournementdes finances de la ville de Paris par la
création d'emplois fictif. Chirac était maire de Paris de 1977 à 1995, avant de
devenir président (1995-2007.) L'ordonnance de 215 pages de Simeoni l'accuse
d'avoir détourné 4,5 millions d'euros pour l'embauche de chargés de mission
qui, au lieu de travailler pour la ville ont travaillé pour ses projets
politiques. Si Chirac était déclaré coupable, il pourrait se voir infliger 10
ans de prison et une amende de 150 000 euros. Les audiences vont commencer l'an
prochain. La mise en accusation d'un ancien chef d'Etat représente une atteinte
majeure à la légitimité de l'establishment politique.
La menace existe que soit mises au grand jour
d'autres révélations explosives durant son procès et ceci survient au milieu de
divers procès pour corruption ciblant de larges sections de l'establishment,
dont l'ancien ministre de l'Intérieur Charles Pasqua et l'ancien premier
ministre Dominique de Villepin. Il ne fait quasiment pas de doute que Chirac
est coupable de ce dont on l'accuse, ou que sa culpabilité fait partie de la corruption
institutionnalisée de la vie politique française. Cependant, les accusations
dont il fait l'objet et les sommes d'argent dont il est question ne font que
souligner à quel point des délits plus significatifs commis durant le mandat de
Chirac restent impunis.( lire : France: Les scandales
politico-financiers)
L'enquête sur l'affaire de corruption à la mairie
de Paris avait commencé en 1999 et en 2003 de nombreux collaborateurs de
premier plan de Chirac avaient été mis en accusation. Chirac avait fait voter
une loi accordant l'immunité judiciaire au président au pouvoir, se protégeant
ainsi de toute poursuite jusqu'en 2007. Mais en 2004, Alain Juppé dirigeant du
parti conservateur au pouvoir, l'UMP (Union pour un mouvement populaire) et
ancien premier ministre de Chirac, fut condamné pour « abus de
confiance » dans cette affaire.
Le 5 décembre 2003, la Cour d'appel de Paris avait
déclaré que la plupart de leurs délits étaient hors de la limite de
prescription de trois ans. Mais en décembre 2005, la Cour de cassation avait
annulé la décision de la Cour d'appel. Simeoni a repris l'enquête en 2007 pour
finalement l'achever le 24 avril 2009.
Simeoni écrit : « Le maire de Paris a eu une action déterminante, tout d’abord
au niveau de la conception et de la mise en place d’agents dits chargés de
mission à la mairie de Paris dès 1977, ensuite, au sujet de leur recrutement. » Elle poursuit, « Jacques Chirac est parvenu ainsi à se ménager, sous
couvert des contrats de chargés de mission, des relais dans la vie politique,
sociale, associative, syndicale, sportive, visant à asseoir son influence
politique et à servir à plus ou moins long terme ses propres intérêts et
ambitions... »
L'ordonnance de renvoi devant le tribunal
correctionnel rapporte que l'enquête a découvert 43 contrats de travail
suspects. Ils entrent dans deux catégories : les chargés de mission qui
avaient « fourni des prestations,
sans rapport avec leur rémunération » et ceux qui n'avaient « fourni
aucune prestation à la Ville ». Quinze bénéficiaires de ces contrats ont été mis en
examen. Et sept sont renvoyés devant le tribunal correctionnel. Mis à part Chirac, on compte parmi les accusés:
Jean de Gaulle, petit-fils du général Charles de Gaulle ; un frère de
Jean-Louis Debré, l'actuel président du Conseil constitutionnel ; et
l'épouse de l'ancien ministre des Affaires étrangères Hervé Charrette.
Une autre figure notable sur le banc des accusés
est Marc Blondel, le dirigeant du syndicat Force ouvrière (FO) de 1989 à 2003
et collaborateur de l'OCI (l'Organisation communiste internationaliste
ex-trotskyste de Pierre Lambert, qui est devenue le POI, Parti ouvrier
indépendant.) Selon l'ordonnance, il avait accepté que lui soit attribué un
chauffeur à plein temps aux frais de la ville de Paris : « l’élément intentionnel des infractions de
détournement de fonds publics et de recel de détournements de fonds publics ne
fait aucun doute : le remboursement partiel des sommes par le syndicat FO
est la preuve de la conscience de l’illégalité de la situation. »
Un long passage de l'ordonnance traite de cinq
chargés de mission, de 1992 à 1995, qui étaient en détachement de l'association
Réussir l'an 2000. La tâche de cette association était d'oeuvrer pour la
candidaturede Chirac à la présidentielle en 1995.
Il est significatif que son fondateur et secrétaire
général ait été Nicolas Sarkozy, l'actuel président. Selon le trésorier de
l'association, Sarkozy lui avait remis le premier financement, « un chèque de la société Beghin-Sey d'un montant de
100.000 francs. » Mais un peu
plus tard, Sarkozy rompait avec Chirac pour soutenir le rival également
conservateur de ce dernier lors des élections de 1995, Edouard Balladur. Le
trésorier rapporte qu’« A partir
de la fin de l’année 1993, l’association était toute dévolue au candidat
Chirac. Les partisans de M. Balladur dont M. Sarkozy ont quitté
l’association... [ce qui] devait permettre à M. Chirac de mieux préparer la
campagne présidentielle de 1995 . »
L'establishment politique est divisé sur la
question de savoir s'il est plus néfaste de laisser le procès se tenir ou bien
de donner le spectacle d'un ancien président qui réussit à éluder le procès.
Pasqua, un rival conservateur de Chirac et condamné
à un an de prison ferme dans le scandale de ventes illégale d'armes
« Angolagate » a pris les devants en laissant entendre qu'un procès
pourrait révéler une malfaisance substantiellement plus vaste. Il a fait
remarquer que les Français « savent
bien qu'à droite comme à gauche, tout le monde a eu recours à des emplois dits
aujourd'hui fictifs...On devrait considérer que c'est du passé. » L'ancien premier ministre et secrétaire
général de l'UMP Jean-Pierre Raffarin s'est aussi opposé au procès de Chirac.
D'autres personnes au sein de l'UMP ont appelé à ce
que le procès se tienne. L'ancien chef de cabinet de l'Elysée a écrit dans un
éditorial du Figaro daté du 2 novembre que « les emplois
fictifs » étaient une série d'incidents isolés et qu'il voulait
« qu'un procès se tienne rapidement » pour prouver l'innocence de
Chirac.
Tandis que Sarkozy a invoqué le principe de la
séparation des pouvoirs pour ne pas avoir à faire de commentaires, Christine
Boutin de l'UMP a dit, « Même si
cela abîme l'image de la France dans le monde, il est normal qu'il soit traduit
en correctionnelle, mais j'appelle à la clémence des juges compte tenu de son
âge. »
Ségolène Royal, candidate du Parti socialiste à
l'élection présidentielle de 2007, s'est fait l'écho de l'attitude ambivalente
qui domine au PS : « Même
s'il le mérite, je pense que ce n'est pas bon pour l'image de la France... il a
donné beaucoup au pays… Aujourd'hui, c'est un homme quand même qui mérite
d'être tranquille... En même temps il faut que la justice soit la même pour
tous, pour les petits comme pour les puissants. »
Les circonstances de la mise en accusation
elle-même soulignent les divisions existant au sein de l'appareil judiciaire.
Cela résulte du rapport de force entre les juges d'instruction, qui ne sont pas
sous le contrôle direct de l'exécutif, mais dont Sarkozy projette de supprimer
les postes au début de 2010, et le Parquet dont les membres sont nommés et
révoqués par l'exécutif. Le Parquet de Paris s'était jusqu'au 10 octobre
clairement prononcé contre un procès à l'encontre de Chirac. Cette fois, il a
décidé de ne pas faire appel de la décision de renvoyer Chirac devant un
tribunal correctionnel, alors que le Procureur de Paris Jean-Claude Marin avait
récemment, au mois de septembre, requis un non-lieu.
Emmanuelle Perreux, présidente du syndicat de la
magistrature, a fait remarquer : « Si le parquet avait eu la maîtrise de cette affaire, comme
ce sera le cas après la suppression du juge d'instruction, cette affaire aurait
été classée. »
L'establishment politique a des craintes à
avoir non seulement concernant la réputation de ses politiciens, mais aussi de
ses tribunaux. Si Chirac montait une défense agressive, cela impliquerait de
discréditer Simeoni. L'institution des juges d'instruction est déjà sujette à
controverse, avec notamment le scandale de l'affaire d'Outreau impliquant la
persécution judiciaire de parents accusés à tort de pédophilie, et la détention
plusieurs années durant, par le juge Jean-Louis Bruguières, de citoyens
français retenus par les Etats-Unis à la prison de Guantànamo Bay, alors même
qu'aucune charge n'était retenue contre eux. (Lire aussi France
: Le Juge Bruguière - de l'utilisation de l'anti-terrorisme comme
instrument politique.)
La recherche de la justice contre Chirac est en fin
de compte une question de classes qui doit être résolue par un mouvement
politique de la classe ouvrière et non pas par les rouages de la justice. Les
négociations sur le sort juridique de Chirac soulignent le fait que son procès
n'est pas une enquête sérieuse sur sa présidence, mais un épisode tactique
d'une lutte qui se joue au sein de l'appareil d'Etat et politique. Sa mise en
accusation, sur des charges relativement mineures, ne porte pas sur les délits
plus graves perpétrés par l'impérialisme français durant le mandat de Chirac.
Les mandats de Chirac ont vu la suppression des
preuves du soutien de la France au régime qui a perpétré le génocide du Rwanda
en 1994, les interventions impérialistes dans les pays africains dont la Côte
d'Ivoire et le Congo, et la participation de la France dans l'invasion de
l'Afghanistan, soutenue par les Etats-Unis. Dans le pays, Chirac a mené une
politique très impopulaire d'appauvrissement des travailleurs au moyen
d'attaques sociales, provoquant une grève massive des cheminots en 1995 et un
mouvement de grève nationale contre la réduction des retraites en 2003. Il a
aussi supprimé les preuves de corruption politique et patronale de grande
ampleur dans les scandales d'Elf, des frégates de Taïwan et d'EADS.
Pour tous ces délits plus fondamentaux, Simeoni et
l'ensemble de l'establishment politique et judiciaire ne l'ont pas
inquiété.