Près de 40 pour cent d'enseignants du primaire et du
secondaire ont fait grève mardi dans des milliers d'établissements scolaires de
toute la France et sont descendus dans la rue pour protester contre les
suppressions de postes et la détérioration des moyens alloués à l'éducation
dans tout le système éducatif français.
Manifestation à Paris
Cette mobilisation fait partie de la résistance, dans le
monde entier, des enseignants et des étudiants à la politique d'austérité pour
l'éducation, appliquée par les gouvernements du monde entier et notamment les
dernières en date en Allemagne, Autriche et Etats-Unis.
Cette journée d'action était organisée par la principale
fédération syndicale enseignante, la FSU (Fédération syndicale unitaire), la
CGT (Confédération générale du travail) et SUD-éducation
(Solidarité-Unité-Démocratie.) Le principal syndicat étudiant, l'UNEF (Union
nationale des étudiants de France) et les organisations lycéennes avaient aussi
appelé à soutenir les enseignants.
Elèves du secondaire en grève
Plus de 15 pour cent des postiers du pays étaient aussi en
grève de leur côté contre la privatisation et les fermetures de bureaux de
poste et ont rassemblé 3 000 travailleurs dans une manifestation séparée. La
FSU a rassemblé 8 000 personnes dans la manifestation parisienne. Il y avait un
important contingent plein d'entrain de lycéens et un contingent plus petit
d'étudiants, principalement de la Sorbonne et des universités du centre de
Paris. Les jeunes semblaient en plus grand nombre que les professeurs des
écoles et du secondaire.
Les reportages font état de plus petites manifestations
dans les principales villes de France, ce qui donne à penser que de nombreux
grévistes avaient décidé de rester chez eux plutôt que de rejoindre les
syndicats dans la rue.
Les principales raisons de cette mobilisation des lycéens,
étudiants et enseignants est la réduction systématique des postes
d'enseignants, la dégradation de la formation des enseignants, ainsi que la
réduction de débouchés pour des emplois stables dans l'enseignement dans une
situation où le chômage augmente, atteignant chez les jeunes 25 pour cent,
voire plus.
Quelque 16.000 postes d'enseignants seront supprimés en
2010, soit un total de 50.000 suppressions en cinq ans, ce qui représente près
de la moitié des 136.000 emplois supprimés dans la fonction publique dans le
même temps, en droite ligne avec la politique gouvernementale qui consiste à ne
remplacer qu'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
La déclaration commune de la FSU et de la CGT dit :
« Les effets cumulés des suppressions de postes dans toutes les catégories
de personnels et de l’insuffisance des recrutements entraînent la
dégradation des conditions de travail des personnels et d’études des élèves...
Cela prive de nombreux jeunes de l’accès aux métiers de la fonction
publique...Les réformes mises en oeuvre ou projetées, sont pilotées par la
volonté de réduction des moyens et de transformation « libérale » du
système éducatif. » Les syndicats de l'éducation réclament aussi une
augmentation des salaires pour les personnels de l'éducation dont le pouvoir
d'achat décline depuis des décennies.
L'UNEF, hormis ses appels à davantage de logements pour les
étudiants et à une augmentation des bourses pour ceux peu nombreux qui y ont droit,
parle de l'opposition de masse à la « réforme régressive et scandaleuse de
la formation des enseignants (dite "masterisation") »
Cette mesure va remplacer les deux années de formation qui
font suite à la licence et qui comprennent une année de formation universitaire
sur la matière que l'on va enseigner ainsi que des cours théoriques de
pédagogie. A la fin de cette année, le candidat passe un concours de
recrutement qui lui ouvre les portes d'un poste d'enseignant à vie. Les
candidats qui réussissent le concours, cinq pour cent seulement de ceux qui se
présentent, enseignent quelques heures par semaine durant la seconde année de
formation sous la surveillance d'un enseignant expérimenté et de formateurs
tout en poursuivant leur formation pédagogique.
Selon le nouveau système prévu, tous ceux qui se destinent
à l'enseignement devront faire deux années de master avant de se présenter au
concours de recrutement pour des postes dans le primaire ou le secondaire. Ils
seront ensuite placés dans des établissements scolaires pour enseigner dans les
mêmes conditions que des enseignants expérimentés.
Ainsi l'Etat aura économisé un an du salaire de ces
professeurs qui entrent dans le métier. L'autre avantage pour les finances de
l'Etat, c'est que les candidats ayant échoué au concours, soit 95 pour cent
d'entre eux, seront néanmoins en possession d'une maîtrise d'éducation et
pourront constituer une réserve d'enseignants à embaucher sur des contrats de
courte durée et avec des conditions de travail, de rémunération et des droits
fort amoindries.
L'autre question clé motivant les manifestations des
lycéens comme des enseignants est la réforme du lycée imposée par le ministre
de l'Education nationale, Luc Chatel, une version quelque peu édulcorée de
celle que son prédécesseur Xavier Darcos avait dû remettre à plus tard face aux
mouvements de masse des universités et des lycéens durant l'année scolaire
dernière. Cette réforme réduit l'obligation des lycées d'assurer des horaires
spécifiques d'enseignement des matières afin d'assurer un « soutien
individualisé » qui selon les organisations enseignantes aura tendance à
désavantager les élèves en difficulté et à favoriser les bons élèves.
Les déclarations des syndicats ne font aucune référence aux
expériences des années passées où des mouvements de masse tels ceux de 2003
(sur la question des retraites), de 2006 (opposition aux attaques draconiennes contre
les droits au travail), de 2007/2008 (sur les retraites et les conditions de
travail dans la fonction publique) avaient été menés malgré l'opposition des
syndicats qui avaient tout fait pour séparer et limiter ces luttes à des
actions d'une journée et des manifestations en ordre dispersé.
Ces mobilisationsn'ont pas stoppé l'offensive du
gouvernement contre les droits et les conditions de vie des travailleurs et des
jeunes, mais l'ont au contraire encouragée. Cela a permis au gouvernement, en
plus des réductions significatives des conditions de vie des travailleurs,
d'empiéter sérieusement sur le droit de grève dans les transports en commun et
l'éducation au moyen d'une législation de service minimum.
Les déclarations des syndicats ne mentionnent pas la crise
économique et financière mondiale qui pousse les gouvernements de par le monde
à appauvrir la classe ouvrière et les jeunes pour permettre aux capitalistes de
leur pays de rivaliser sur la scène mondiale.
La déclaration CGT/FSU appelle à la création de postes, à
des conditions de travail, d'étude et de formation meilleures et à la fin des
contrats à court terme et prononce la menace d'un « “un
conflit majeur et durable” si le gouvernement n'apporte pas de réponse à
ces revendications. Il s'agit d'une menace pour contenter leurs adhérents pour
les convaincre de la validité de la perspective syndicale consistant à parvenir
à convaincre le gouvernement Sarkozy d'agir dans l'intérêt des travailleurs et
des jeunes.
La FSU, après avoir fait état d'une participation à la
grève avoisinant 40 pour cent, a lancé cette menace totalement inoffensive: «Le
ministre se contente d’un simulacre de discussions, refusant
d’entendre sur le fond les exigences des personnels. Si le ministre ne
prenait pas en compte l’expression des personnels, le SNES avec la FSU
prendrait de nouvelles initiatives d’action pour imposer d’autres
choix pour l’Ecole et ses personnels. »
Pareillement, l'UNEF s'est plaint de ce que « Luc Cathel
n'a pas souhaité profiter du report d'un an de cette reforme pour ouvrir de
véritables concertations, et s'est enfermé dans les erreurs de son prédécesseur »
et a regretté son « mépris du dialogue social ».
Aucun des partis de « gauche », le Nouveau Parti
anticapitaliste de Besancenot, le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon et le
Parti communiste, ne propose d'autre perspective que celle de faire pression
sur le gouvernement pour qu'il fasse des concessions.
Seule la déclaration de la section allemande de
l'Internationale étudiante pour l'égalité sociale (IEES) intitulée «Pour un mouvement indépendant de
la classe ouvrière pour la défense de l’éducation » distribuée par les sympathisants de l'IEES dans la
manifestation parisienne, montre que la lutte pour un système éducatif de
qualité pour tous est étroitement liée à la lutte pour une transformation
socialiste de la société, impliquant le développement d'un mouvement social à
l'échelle mondiale, visant à remplacer le capitalisme.
Les reporters du WSWS ont interviewé des manifestants.
Elèves du lycée Jacques Decour de Paris
Amélie, élève du lycée Jacques Decour de Paris est en
Première L. Elle a dit que son lycée avait été bloqué par les lycéens. « S’ils
suppriment les postes de prof et les cours de culture générale, c’est
parce qu’ils veulent supprimer la moitié des fonctionnaires »,
a-t-elle dit. Elle a ajouté que c'était une bonne chose que les étudiants se
mobilisent dans les autres pays, mais qu'elle ne pensait pas que la
mobilisation de la rue soit suffisante pour stopper les attaques. Elle a dit
avoir quelque espoir dans le Parti socialiste.
Sofyan du lycée Newton de Clichy (Paris)
Sofyan du Lycée Newton de Clichy (Paris) a dit, « Ils
suppriment des postes de prof et des cours pour la privatisation dans
l’intérêt des patrons; c’est dommage d’en arriver là.
L’éducation devrait être gratuite pour tous et dans tous les milieux. Ce
sera difficile de déstabiliser la droite avec Sarkozy. C'est pas évident. Notre
avenir est dur, le système actuel doit être changé. Il faut tout faire pour y
arriver, alors la crise économique pourra être gérée. »
Bertrand est en Seconde au lycée Rodin de Paris. Il a dit, « La
pression de la rue a réussi la dernière fois contre Darcos [l'ancien ministre
de l'Education nationale.] » Il a dit que les jeunes sont capables de
lutter comme ils l'ont fait dans le passé mais qu'il ne pensait pas qu'il soit
possible de trouver une solution avec les partis politiques et syndicats
actuels. « Il faut arrêter les guerres dans le monde et établir la paix,
mais c’est complexe, car la société est divisée avec des intérêts
différents », a-t-il dit.
Morgan, professeur des écoles stagiaire à Paris
Morgan est professeur des écoles stagiaire à Paris. Il a
dit, « On est au courant du mouvement en Europe pour défendre
l’éducation. On fait des parallèles tous les jours. L’Etat cherche
à faire des économies en éliminant les profs et la culture générale. Les profs
du RASED [Réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté] sont en
baisse. Cela implique plus de profs vacataires, contractuels, la
précarité. »
Il a reconnu que la pression de la rue ne suffisait pas. « Beaucoup
de gens ne sont pas au courant que les profs n’ont plus de formation
pratique », a-t-il dit. «La LRU [loi conduisant à l'autonomie des
universités et qui seront financées par le patronat] est passée et on ne peut
pas l’annuler. On aurait pu faire en sorte qu'elle ne passe pas l'an
dernier avec une présence plus claire des syndicats. »
Bien qu'il
pense que la crise pourrait se résoudre avec les partis politiques existants,
il a dit être consterné par «les guerres entre personnalités » au sein du
Parti socialiste. Il a dit, « Opposons-nous au gouvernement. On a besoin
d'une vraie opposition... J’ai l’impression qu’on est comme
en Italie où l’opposition se concentre sur le personnage de Silvio
Berlusconi et pas sur son programme politique. En France on prend la même
dérive. »