Le samedi 17 octobre, quelque 1.500
personnes ont participé à une réunion contre les licenciements de masse chez
AvtoVaz, la plus grande usine automobile russe construite à la fin des années
1960.
La réunion à Togliatti, une ville de la
province de Samarskii comptant 700.000 habitants et dont 100.000 travaillent
chez AvtoVaz, avait été tenue à l’initiative du syndicat indépendant
« Unity ».
Selon l’un des participants aux
manifestations, de nombreux travailleurs de l’entreprise sont à présent payés
entre 5.000 et 6.000 roubles par mois (170-205 dollars) alors qu’il y a six
mois ils recevaient entre 15.000 et 16.000 rouble (515-550 dollars) par mois.
Depuis septembre, l’usine est passée à la semaine de 20 heures.
La résolution passée lors de la réunion
exigeait le retour à la semaine de 40 heures à partir du 1er
novembre, la garantie écrite de non licenciement de la part du président et du
gouvernement et l’introduction d’un salaire minimum de 25.000 roubles (860
dollars) par mois. C’est la somme que les propriétaires qui avaient pris le
contrôle de l’usine il y a quelques années avaient promis de payer aux travailleurs.
AvtoVaz appartient à l’entreprise
publique Rostechnologii, à la tête de laquelle se trouve Sergeï Tchemezov, un
ami personnel du premier ministre, Vladimir Poutine. Vladimir Artiakov, nommé
président du groupe AvtoVaz par Rostechnologii, est devenu depuis le gouverneur
de la province de Samara.
Les participants à la réunion ont exigé
que le gouvernement respecte le principe selon lequel les salaires de la
direction n’excèdent pas plus de cinq fois ceux des travailleurs.
Cette question est tout particulièrement
importante vu les rémunérations disproportionnées dont bénéficient les
dirigeants de l’entreprise indépendamment de la production. Suite à la crise
économique et en raison d’une direction extrêmement dépensière et prédatrice,
AvtoVaz a fini par se retrouver en grande difficulté.
En 2008, les dirigeants avaient reçu plus
que le montant total de la facture salariale réservée au restant des employés.
Ceci est caractéristique pour la majorité des grandes entreprises privées de
Russie.
Malgré les revendications restreintes
réclamées par les organisateurs de la réunion et leurs appels au gouvernement,
la protestation reflète un mécontentement grandissant au sein de la classe
ouvrière russe et un effort de la part des travailleurs pour trouver des formes
de lutte afin de pouvoir défendre leurs droits et leurs intérêts.
En juillet dernier, les actions
courageuses des gens de Pikalevo, une petite ville de 20.000 habitants située à
200 kilomètres à l’Est de Saint-Petersbourg, avaient trouvé un large écho parmi
la population en général. Lors des protestations contre une situation
socio-économique insoutenable, une centaine de personnes avaient bloqué
l’autoroute fédérale Novaya Lagoda-Vologda. Ils avaient réclamé le paiement des
arriérés de salaires et la remise en activité d’usines qui avaient cessé la
production dans la ville.
A Pikalevo, la situation était restée tendue
des mois durant. Pour résoudre la crise, Poutine fut contraint de s’y rendre.
Sous la pression exercée par Poutine, les propriétaires de trois firmes de
technologie qui partagent des liens dont l’une, la holding de l’aluminium, est
détenue par l’oligarque russe Oleg Deripaska, avait accepté de redémarrer la
livraison des matières premières et de reprendre la production.
L’exemple donné par les habitants de
Pikalevo fut rapidement repris par beaucoup d’autres collectifs de travailleurs
et de groupes sociaux du pays. Durant l’été et au début de cet automne, une
vague de protestations s'est déroulée à travers la Russie lors desquelles les
travailleurs, les retraités et même les soldats ont menacé de bloquer les
autoroutes ou de s’engager dans d’autres formes de protestations au cas où
leurs revendications étaient ignorées.
Les craintes du gouvernement quant aux
conséquences de telles manifestations ont incité le président Dmitry Medvedev à
publier un communiqué spécial mettant en garde les gouverneurs qu’ils seraient
tenus personnellement responsables du développement de nouveaux points chauds
provoqués par les troubles sociaux.
Pikalevo, tout comme Togliatti, est un
exemple classique d’une « cité mono-industrielle » russe, centres
urbains dans lesquels l’économie locale et la population sont entièrement
tributaires d’une seule industrie pour subvenir à leurs besoins. L’on compte
plus de 400 cités du genre dans le pays et qui représentent un quart de la
population urbaine de Russie. Jusqu’au moment de la crise économique, les cités
mono-industrielles représentaient 40 pour cent du PIB de la Russie.
AvtoVaz au bord de la faillite
Le géant de l’automobile de Togliatti est en
bien triste posture. En 2008, il produisait 900.000 voitures. Toutefois, en
raison de l’effondrement de ses ventes cette année, le rendement escompté ne
s’élève qu’à 360.000.
D’ici la fin de 2009, l’entreprise aura
accumulé des pertes de 30,7 milliards de roubles (plus d’un milliard de
dollars) et la dette s’élèvera à 75,2 milliards de roubles (plus de 2,5
milliards de dollars).
Cet été, l’usine avait bénéficié d’un plan
de sauvetage gouvernemental de 25 milliards de roubles (860 millions de
dollars). Toutefois, ils ont été dépensés sans amélioration visible sur le
terrain. C'est après cet état de fait que l’annonce de licenciements de masse,
de l’ordre de 27.000 personnes, a été faite.
Début octobre, effrayé par les conséquences
politiques, le vice premier ministre Igor Shuvalov, s’exprimant au nom du
gouvernement a annoncé que des suppressions d’emplois à grande échelle seraient
permises. Jusque-là, environ 5.000 personnes ont été licenciées.
La direction de l’usine continue d’insister sur l’inévitable nécessité
de licenciements supplémentaires. Le président d’AvtoVaz, Igor Komaro, a
déclaré que « l’effectif excédentaire provisoire » à l’usine était de
21.733 personnes. La direction a promis de revenir à une charge de travail
normale en 2012, après une augmentation du volume de production. Toutefois, ceci n’est qu’une vaine promesse.
Le 19 octobre, la direction de l’usine a
annoncé que l’entreprise était au bord de la faillite et a avancé ses propres
mesures de sauvetage.
Son projet est de demander aux banques
d’Etat de souscrire des obligations à hauteur de 50 milliards de roubles
(environ 1,1 milliard d’euros). L’argent de la vente de ces obligations
servirait à refinancer la dette existante. Cette démarche n’a pas été soutenue
par les principaux créanciers de l’usine dont font partie les banques VTB et
Sberbank. Le patron de cette dernière, German Gref, a déjà annoncé qu’il
« ne pensait pas que la conversion en actions » de la dette était
viable.
Poutine, qui est impliqué dans la résolution
des problèmes à l’usine, a essayé d’exercer une pression sur Renault-Nissan qui
détient 25 pour cent d’AvtoVaz. Début octobre, Poutine avait annoncé que
Renault-Nissan devait participer au financement de l’entreprise automobile sous
peine, dans une menace à peine voilée, de voir sa participation réduite par un
reproportionnement des parts. En réaction, Renault a clairement montré qu’il ne
voulait pas suivre cette voie et a manifesté son mécontentement quant à
l'évolution de ses investissements russes.
Les entreprises russes pratiquent le
licenciement de masse. Depuis janvier 2009, les licenciements sont passés de
150.000 à 200.000 personnes par mois. Le total annuel a déjà atteint le
million. Les réductions d’emplois ont touché tous les domaines, allant de
l’industrie d’extraction au commerce, du bâtiment à la finance.
Une étude sur les cadres dirigeants de 2.613
entreprises et réalisée début octobre par le site Internet portal Rabota@mail.ru a trouvé qu’au cours de l’année
passée, 83 pour cent des entreprises ont réduit les salaires tandis qu’un pour
cent seulement les ont augmentés.
La situation chez AvtoVaz, qui déborde de
dettes et qui projette d’éliminer un cinquième de ses travailleurs, est typique
de l’économie russe qui souffre d’un excès de technologie dépassée et qui est
dominée par des propriétaires privés moins intéressés au développement de la
production qu’à en tirer profit coûte que coûte même au prix d’une dégradation
catastrophique de la base technologique de l’entreprise.
Le sort du géant automobile au bord de la
Volga qui était jadis la fierté de l’industrie soviétique, symbolise l’impasse
dans laquelle ont abouti la Russie et les autres anciennes républiques de
l’Union soviétique à la suite à deux décennies de réformes capitalistes.