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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Vingt ans après le retour du capitalisme

Le niveau de vie en Europe de l'Est chute toujours

Par Stefan Steinberg
28 octobre 2009

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À la suite de sa réunion à Istanbul au début du mois, la Banque mondiale a publié un rapport qui témoigne de l'immense déclin du niveau de vie qui se produit dans l'ex-Union soviétique et en Europe de l'Est dans la foulée de la crise économique et financière mondiale.

Intitulé « La crise mondiale foudroie les pays émergents d'Europe et d'Asie centrale », ce rapport décrit une « forte augmentation du chômage et de la pauvreté » dans toute la région.

Le Vice-président de la Banque mondiale pour l'Europe et l'Asie centrale, Philipe Le Houérou, a déclaré lors d'une conférence de presse à Istanbul : « Ce qui a commencé comme une crise financière est devenu une crise sociale et humaine. La crise mondiale est arrivée dans la foulée des crises alimentaire et énergétique qui, en réduisant le pouvoir d’achat des populations de la région, les avaient déjà affaiblies. Actuellement, la poussée de la pauvreté et du chômage fait sombrer des ménages dans la misère, et aggrave encore la situation de ceux qui étaient déjà pauvres. »

Ce rapport note que « la crise financière et économique mondiale a littéralement foudroyé de nombreux pays émergents d’Europe et d’Asie centrale » et prédit un déclin de 5,6 pour cent de la croissance économique pour la région en 2009.

La Banque mondiale calcule que le nombre de chômeurs dans la région a grimpé de 8,3 millions en 2008 à 11,4 millions en 2009. Il a doublé dans les pays baltes, augmenté de 60 pour cent en Turquie, et d'un tiers dans les autres pays de la région.

L'économiste en chef pour l'Europe et l'Asie centrale de la Banque mondiale, Indermit Gill, a déclaré : « Au lieu de voir le nombre de pauvres diminuer de 15 millions en 2009, nous prévoyons maintenant de le voir augmenter dans ces mêmes proportions », et a ajouté : « La région compte déjà 145 millions de pauvres — soit près d’un tiers de la population totale. Pour eux, la crise n’a fait qu’empirer des conditions de vie déjà difficiles. Les perspectives économiques s’améliorent pour une bonne partie de la planète cet automne ; mais pour les travailleurs et leurs familles des pays émergents d’Europe et d’Asie centrale, elles ne sont pas encourageantes. »

Tout en attirant l'attention sur l'étendue de la pauvreté à travers toute la région, ce rapport et les représentants de la Banque mondiale à Istanbul n'ont pas dit un mot sur le rôle même de l'agence dans la perpétuation de la misère.

La Banque mondiale préfère demander davantage de décisions politiques semblables à celles qui ont déjà entraîné la paupérisation des travailleurs d'Europe de l'Est. La plus importante priorité pour cette région, selon Le Houérou, doit être d’« assainir le secteur bancaire […] améliorer le climat des affaires pour attirer les flux de capitaux privés, rehausser l’efficacité des dépenses publiques ».

Gill a noté qu'après les énormes renflouements des banques, les déficits publics dans cette région augmenteront, passant de 1,5 pour cent du PIB en 2008 à 5,5 pour cent en 2009. Selon lui, les dépenses sociales représentent plus de la moitié des dépenses publiques. Il en ressort que le point principal pour les gouvernements est que « les pouvoirs publics devront rehausser l’efficience de l’éducation, des soins de santé et de la sécurité sociale ». Cela signifie de nouvelles coupes importantes dans un système de protection sociale déjà mal-en-point. Les « réformes » nécessaires, a conclu Gill, « permettront d’assainir les finances publiques, de renforcer l’économie et de créer des sociétés plus équitables. Tout gouvernant responsable doit sérieusement s’y intéresser. »

Au lieu de rendre les sociétés « plus justes », les propositions de la Banque mondiale ne vont faire qu'accélérer la croissance démesurée de l'inégalité sociale et de la pauvreté en Europe de l'Est et en Asie centrale. Même s'il se concentre sur les répercussions de la crise financière de 2008, le rapport de la Banque mondiale reconnaît qu'un tiers de la population de la région vit dans la pauvreté. Cela constitue une mise en accusation explosive du système libéral vingt ans après la réintroduction du capitalisme dans l'Union soviétique et en Europe de l'Est.

Après l'effondrement de l'Union soviétique et de ses états satellites staliniens, la Banque mondiale, ainsi que toute une horde d'autres institutions financières internationales et l'Union européenne ont joué un rôle de premier plan pour infliger les « traitements de choc », qui visaient à imposer les relations économiques du libre marché capitaliste le plus rapidement possible dans les pays d'Europe de l'Est et en Russie. En même temps, le « Big Bang de la libéralisation économique », qui a suivi, s'est déroulé à une période où les banques des pays capitalistes avancés se précipitaient vers les formes d'investissement les plus risquées et spéculatrices pour maximiser leurs profits.

Les activités des spéculateurs de Wall Street et les taux de profit à deux, voire trois, chiffres des fonds d'investissements internationaux sont devenus un modèle du genre de capitalisme libéral introduit dans les anciens pays staliniens. À la demande de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de l'UE, des programmes sociaux bien établis dans ces pays ont été balayés du jour au lendemain et remplacés par un système de « filet de sécurité », qui n'accorde qu'un minimum d'aides sociales.

Commentant le rôle de l'Union européenne dans ce processus, Ivan Krastev, directeur du centre des stratégies libérales de Sofia, notait en 2004 [avant l'entrée des pays de l'Est dans l'UE] : « Il est remarquable que lorsque l'UE soutient des projets de développement économique en dehors de ses frontières, elle exporte une version de cette même orthodoxie néo-libérale qu'elle dénonce à l'intérieur. »

Les résultats de cette politique, ce sont des niveaux sans précédent d'inégalité sociale et de pauvreté dans toute cette région. Alors que la presse occidentale publie actuellement une grande quantité d'articles qui glorifient sans retenue l'introduction des relations économiques capitalistes, elle ne donne que peu d'informations sur les conditions sociales dominantes dans ces pays. Un survol rapide des articles produits durant les dernières années suffirait à anéantir cette euphorie au sujet des avantages prétendus de l'économie de marché.

Dans une étude publiée quelques années avant la crise financière de 2008, la chercheuse russe Olga Kislitsyna notait déjà qu'en termes de stratification des revenus dans les économies en transition, la Russie était en première position et de loin. « Les dix pour cent les plus pauvres de la population russe représentent moins de 2 pour cent du volume total des revenus, alors que les dix pour cent les plus riches en représentent environ 40 pour cent », écrit-elle. Son étude indique que : « Du point de vue de l'inégalité des revenus, la Russie est plus proche du modèle latino-américain » et que seuls trois pays sont plus inégaux que la Russie : le Brésil, le Chili et le Mexique.

Kislitsyna note que ce qui est exceptionnel au sujet du développement de l'inégalité sociale en Russie, c'est la vitesse à laquelle elle s'est installée. En moins de vingt ans, une société dans laquelle le niveau de vie était globalement bas à cause des décisions politiques désastreuses de la bureaucratie stalinienne, tout en restant relativement égalitaire, a été transformée en l'une des plus inégales de la planète.

Les milliardaires russes ont beaucoup souffert dans la foulée de la crise financière, mais le magazine Forbes, indique sur sa liste mondiale pour 2009 que la Russie a encore 32 des 793 milliardaires de la planète. Ces 32 Russes se partagent une richesse de 102,1 milliards, contre 471,4 milliards partagés entre 87 milliardaires en 2008.

La réintroduction des relations économiques capitalistes a également entraîné l'apparition d'une très fine couche de classe moyenne – en particulier dans les principales zones urbaines. Cependant, ce qui prévaut dans les grandes villes, ce sont la pauvreté, le chômage, ou le sous-emploi, et les conditions de vie dans les zones plus à l'écart et à la campagne sont généralement considérées comme catastrophiques.

En dépit d'une renaissance économique ces dernières années, la performance économique de la Russie est toujours aux alentours des trois quarts de ce qu'elle était en 1989, avant l'introduction du libre marché capitaliste. La baisse du PIB dans les autres ex-républiques soviétiques est encore plus dramatique. En 2008 – avant le début de la crise mondiale – les économies de la Géorgie et de la Moldavie s'étaient contractées jusqu'à ne représenter que 40 pour cent de ce qu'elles produisaient en 1989.

Parallèlement, la croissance des inégalités de revenus en Russie s'est faite avec un coût social énorme. Selon le British Medical Journal, l'effondrement de l'Union soviétique en 1991 a entraîné une importante augmentation du taux de mortalité en Russie, les plus grandes augmentations étant enregistrées pour les morts dues à l'alcool suivies par les morts par accident et les morts violentes.

Selon les recherches de l'épidémiologiste Michael Marmot, présentées dans un livre de 2004, The Status Syndrome, la restauration du capitalisme dans les années 1990 a produit un excédent de décès de 4 millions de personnes.

Avant la réintroduction du capitalisme, entre 1984 et 1987, l'espérance de vie en Russie est passée de 61,7 à 64,9 ans pour les hommes et de 73 à 74,3 ans pour les femmes. Mais de 1987 à 1994, l'espérance de vie des hommes russes est tombée à juste 57,6 ans et celle des femmes à 71 ans.

Au début des années 1970 – la période souvent qualifiée de « stagnation » communiste – l'écart de l'espérance de vie entre l'Union soviétique et les pays capitalistes avancés était de 2,5 ans. Au milieu des années 2000, cet écart s'était élargi à presque 15 ans (Cf. rapport du Programme de développement des Nations Unies de 2007).

Les auteurs concluaient ce rapport ainsi : « L'amplitude et la rapidité des fluctuations des taux de mortalité et de l'espérance de vie établis ici pour la Russie sont sans pareilles pour une période de paix. »

Toutes ces statistiques enregistrent l'énorme baisse des aides et des minima sociaux qui s'est produite dans les anciens pays du bloc stalinien suite à la libéralisation économique. Dans ce processus, le rôle des ex-bureaucraties staliniennes doit également être traité. Ils ont joué un rôle majeur en facilitant ce déclin social énorme.

Non seulement la bureaucratie soviétique emmenée par Mikhaïl Gorbatchev a créé les conditions politiques de la réintroduction du capitalisme, mais de nombreux membres dirigeants du Parti communiste en Union soviétique et dans toute l'Europe de l'Est sont devenus les dirigeants de firmes, de banques et de gouvernements capitalistes, prenant directement part à l'application des traitements de choc prescrits par le FMI et la Banque mondiale.

Si la Russie a connu une énorme croissance de l'inégalité sociale et une croissance correspondante de la pauvreté, la situation dans les autres pays d'Europe de l'Est est bien pire. Il suffit de regarder la situation actuelle en Roumanie.

Selon une étude de l'agence européenne Eurequal : « La Roumanie est l'un des pays les plus pauvres en Europe et l'un des plus bas en termes d'Indice de développement humain. Ni le post-communisme, ni l'accession à l'UE n'ont changé ce placement. » Ce rapport note ensuite que « Le post-communisme (c'est-à-dire le capitalisme) a entraîné une augmentation des inégalités sociales, non seulement en ce qui concerne la distribution du revenu mais aussi dans la fréquence des extrêmes, donc la pauvreté est considérée comme un problème très important. »

Un regard sur la presse nationale révèle la réalité de l'arrêt des services de base et ce qui se cache derrière les euphémismes qui font références au « problème de la pauvreté » en Roumanie.

Sous le titre A winter of discontent [Un hiver du mécontentement – référence au "winter of discontent" de 1979 en Grande-Bretagne : de grandes grèves contre le gouvernement travailliste, ndt], l'édition actuelle d'Adevarul écrit : « J'allume la télévision. Désastre ! On voit des écoles à Brasov, en Transylvanie : des enfants habillés comme pour une bataille de boules de neige grelottent dans une école qui n'a plus d'argent pour payer le chauffage. Et personne n'a l'air de s'en soucier ! Le journaliste examine un thermomètre, qui indique 12 °C dans la salle de classe. Puis on voit une mère préparer une boite pour le goûter. Pas de sandwiches pour ce gosse, mais elle prend soin de lui donner une dose de Nurofen (selon une étude récente, la plupart des écoliers roumains de 8-9 ans sont en état de fatigue chronique et dépressifs).

« Deuxième nouvelle, en provenance de l'hôpital Zlatna, toujours en Transylvanie : Il n'y a eu aucun signe de vie de la part des radiateurs depuis l'année dernière. Touchez-les ; ils sont aussi froids que les corps de la morgue. Un patient encore en vie se recroqueville en position fœtale sous des couches de couvertures. Dans les chambres, la température n'est qu'à deux ou trois degrés au-dessus de la température extérieure. Une dame emmitouflée dans ses habits au point de ressembler au bibendum Michelin, se plaint d'être arrivée avec une maladie et de repartir avec une autre… »

(Article original paru le 24 octobre 2009)


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