C’est avec étonnement qu’on a réagi, à travers le monde, à l’annonce
vendredi, par le comité norvégien du prix Nobel, que Barack Obama avait été
choisi comme récipiendaire du prix Nobel de la paix 2009.
Nombreux sont ceux qui se sont demandé comment Obama pouvait être choisi
après moins de neuf mois au pouvoir, sans réalisation perceptible à aucun
niveau. Son investiture a eu lieu onze jours seulement avant la date limite
des nominations pour le prix.
Plus significatif cependant est ce qu’Obama a fait étant au pouvoir, qui
n’a rien à voir avec la paix.
En matinée, Obama s’est présenté dans le Rose Garden et a commencé en
déclarant que c’était avec « surprise et profonde humilité » qu’il recevait
le prix Nobel de la paix. Il s’est ensuite dirigé vers la Maison-Blanche
pour rencontrer son conseil de guerre et discuter de l’envoi de dizaines de
milliers de soldats supplémentaires en Afghanistan et de l’intensification
des bombardements dans ce pays et au-delà de la frontière au Pakistan.
Profitant de sa déclaration pour exprimer des menaces voilées à l’Iran,
Obama s’est plié en quatre pour se déclarer le « commandant en chef » et
faire référence aux deux guerres et occupations qu’il préside.
Bien que le comité du prix Nobel l’ait loué pour sa « vision d’un monde
sans armes nucléaires », Obama a noté que cet objectif « pouvait ne pas être
atteint au cours de ma vie ». Etant donné que, dans les pourparlers avec
Moscou, son administration a exigé le droit de maintenir un minimum de 1500
ogives nucléaires, il sait de quoi il parle.
« Nous devons faire face au monde tel que nous le connaissons », a
affirmé Obama, soulignant la distinction entre sa supposée « vision » et la
réalité des politiques belliqueuses de son administration.
A première vue, il semble ridicule d’accorder un prix pour la paix à un
président américain. Ce choix pourrait bien s’avérer n’être qu’un embarras
pour l’administration Obama. Comment est-il possible de proclamer champion
de la paix un « commandant en chef » qui est responsable de crimes de
guerre, tels que le bombardement de la population civile en Afghanistan
(l’une de ces attaques a coûté la vie a plus de 100 hommes, femmes et
enfants en mai dernier).
Néanmoins, le prix Nobel de la paix a toujours été une distinction
douteuse. Sa réputation ne s’est jamais vraiment remise de la décision de
décerner le prix, en 1973, à Henry Kissinger, qui aujourd’hui n’est pas en
mesure de quitter les Etats-Unis par peur d’être arrêté en tant que criminel
de guerre. Son corécipiendaire, Le Duc Tho, le leader vietnamien qui avait
négocié les accords de paix à Paris avec Kissinger, avait refusé d’accepter
le prix, affirmant que les accords n’avaient pas amené la paix à son pays.
Quelques années plus tard, Menachem Begin fut choisi pour le prix. Le
comité du prix Nobel avait choisi d’ignorer sa longue carrière comme
terroriste et tueur, l’honorant pour avoir conclu les accords de Camp David
avec Anwar Sadat de l’Égypte, son corécipiendaire.
Jimmy Carter, dont l’administration avait été l’instigatrice de la guerre
en Afghanistan qui fit un million de morts, a reçu la même récompense en
2002.
Le comité ne peut être accusé de violer ses propres principes, quels
qu’ils soient. Le fondateur du prix, Alfred Nobel, était l’inventeur de la
dynamite. Il serait sans aucun doute intrigué par les efforts du Pentagone
pour accélérer la production des pièces massives d’infiltration (Massive
Ordnance Penetrator, MOP), une bombe de 30.000 livres conçue pour oblitérer
des cibles souterraines. L’arme est en préparation pour une utilisation
possible contre l’Iran.
Malgré sa louange pour la « vision » d’Obama et pour avoir « attiré
l’attention du monde et donné à son peuple de l’espoir en un avenir
meilleur », le comité Nobel n’a pas choisi Obama en se basant sur des
illusions dans son discours électoral.
Le prix Nobel de la paix est, et a toujours été, une récompense politique
ayant pour but de promouvoir des politiques définies.
La sélection a été faite par un comité composé de cinq membres du
parlement norvégien provenant des cinq principaux partis, allant de
l’extrême-droite aux sociaux-démocrates. Ses décisions reflètent les
positions qui prévalent dans l’élite dirigeante européenne en général.
Thorbjorn Jagland, président du comité et ancien premier ministre
norvégien, a défendu le choix d’Obama dans une entrevue avec le New York
Times de vendredi, exprimant le cynisme derrière le choix. « C’est
important pour le comité de reconnaître les gens qui luttent et qui sont
idéalistes, mais nous ne pouvons faire cela à toutes les années », a-t-il
dit. « De temps en temps, nous devons entrer dans la sphère de la
realpolitik. »
Les considérations politiques pragmatiques, la realpolitik, a sans
nul doute été le facteur décisif pour l’attribution du prix à deux autres
Américains bien connus : Carter en 2002 et Al Gore en 2007. Carter a été
choisi juste avant le déclenchement de la guerre en Irak pour exprimer un
désaccord avec l’unilatéralisme belligérant de l’administration Bush fils.
Le prix a été donné à Gore, le candidat présidentiel des démocrates en 2000,
juste avant les élections de 2008, une indication pas très subtile que
l’Europe avait besoin de se reposer de l’administration Bush.
Si à ces occasions-là le prix a été utilisé pour critiquer la
politique étrangère américaine, cette fois le choix d’Obama signifie au
contraire l’adhésion. Dans les mots de Jagland, « Nous espérons que cela
contribuera un peu à soutenir ce qu’il tente d’accomplir. »
La contradiction frappante dans l’attribution du prix Nobel de la paix à
Obama alors qu’il prépare l’envoi de nouvelles troupes en Afghanistan est
plus apparente que réelle. Le prix a pour but de légitimer l’escalade de la
guerre en Afghanistan, les attaques américaines sur le Pakistan et sa
continuation de l’occupation de l’Irak, en donnant l’approbation de l’Europe
à ces guerres pour la paix.
Le prix sert aussi à miner l’opposition populaire aux Etats-Unis
mêmes et internationalement aux guerres que mènent déjà l’administration
Obama, ainsi que celles qu’elle prépare.
Les puissances européennes soutiennent la guerre en Afghanistan, une
position qui trouve le plus souvent son expression dans la presse.
L’éditorial de jeudi, 8 octobre, du quotidien britannique Independent,
par exemple, affirmait qu’il soutenait « en principe » l’appel pour
l’envoi de 40.000 soldats américains supplémentaires en Afghanistan.
Pendant ce temps, l’Allemagne, la France et d’autres pays ont aussi
changé leur position sur l’Iran, appuyant la campagne de Washington pour des
mesures plus dures contre ce pays.
Les cercles dirigeants de l’Europe ne voient pas en Obama le champion de
la paix, mais plutôt un départ de l’unilatéralisme de l’administration Bush
et une volonté de tenir compte du soutien de l’Europe dans les visées
stratégiques de l’impérialisme américain.
Sans doute, les gouvernements européens ont considéré que leur soutien
aux interventions militaires américaines se traduira en une participation à
l’exploitation des réserves énergétiques de l’Asie centrale et du golfe
Persique.
De plus, en légitimant ces guerres et en faisant la promotion d’un retour
au multilatéralisme dans la politique étrangère américaine, les puissances
européennes voient un moyen de légitimer leur propre virage vers le
militarisme et de miner l’opposition à la guerre au sein de leur propre
population.
Le prix Nobel de la paix à Obama, loin de signifier un espoir que
la plus grande puissance militaire au monde se tourne vers la paix, est
lui-même une approbation de la guerre et représente un avertissement que
l’intensification de la crise du capitalisme mondial crée les conditions
pour la résurgence du militarisme et menace du développement des conflits
internationaux.